Le vert du faux

Pour la santé, vaut-il mieux boire l’eau en bouteille plutôt qu’au robinet ?

Eau secours. Malgré la série de traitements effectués pour rendre l’eau potable et l’acheminer jusqu’à nos robinets, il subsiste des polluants qui inquiètent. Faut-il dès lors privilégier l’eau en bouteille ?
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Au quotidien, 67% des Français·es consomment de l’eau du robinet, une part qui n’a cessé de progresser ces dernières années. Cette eau est-elle sans risque pour notre santé ?

Cette question est d’autant plus légitime depuis les révélations du quotidien Le Monde et du magazine «Complément d’enquête» (France Télévisions) en septembre 2022. Les deux médias avaient alors déterminé que 20% des Français·es étaient exposé·es à une eau du robinet «non conforme», en raison de la présence de métabolites, terme désignant les résidus de pesticides.

En avril 2023, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) publiait les résultats d’une étude sur «la présence de composés chimiques qui ne sont pas ou peu recherchés lors des contrôles réguliers». L’étude de 130 000 échantillons mettait au jour la quasi-omniprésence des résidus de pesticides dans l’eau potable, même quand ceux-ci n’étaient plus employés depuis des années. C’est le cas du chlorothalonil, dont l’utilisation remonte aux années 1970 avant son interdiction en 2019 au sein de l’Union européenne.

Une eau «non conforme» est-elle dangereuse pour la santé ?

À cause des métabolites de pesticides, l’eau courante n’est plus conforme lorsque la concentration d’une substance dépasse 0,1 µg par litre ou lorsque la concentration de l’ensemble des substances excède 0,5 µg par litre. Une fois ce seuil franchi, des actions préventives et curatives doivent être mises en place ; mais cette eau, considérée comme sans danger par les autorités publiques, peut continuer à être distribuée aux usagers, pour six ans au maximum.

C’est une autre valeur, appelée Vmax (pour «valeur sanitaire maximale»), qui détermine un potentiel risque pour la santé. Seul le dépassement de cette valeur donne lieu à des restrictions immédiates de la consommation de l’eau du robinet.

La plupart des substances polluantes de l’eau courante sont imperceptibles à l’œil nu. © Manki Kim / Unsplash

Ceci étant dit, il faut rappeler que les contrôles sur l’eau ne portent que sur un nombre limité de substances chimiques, principalement en raison des coûts de ces analyses, réalisées dans des laboratoires agréés. Si, en France, un bon millier de ces substances est utilisé pour les cultures, on en cherche un peu moins de 200 en moyenne lors des contrôles de l’eau potable. Et ce nombre peut varier fortement d’une région à l’autre. On ne «voit» donc pas tout ce qui pollue les eaux… tout simplement parce qu’on ne le cherche pas !

Cette situation ne se limite pas aux pesticides, explique à Vert Julie Mendret, chercheuse en traitement de l’eau à l’Université de Montpellier : «Ni les microplastiques, ni les plastifiants ne figurent dans la liste des paramètres recherchés lors des contrôles de l’eau courante. C’est la même chose pour les médicaments. Il faut aussi rappeler que l’intégration de nouveaux paramètres de recherche prend du temps. Par exemple, le suivi des Pfas, les “polluants éternels”, devra être intégré dans les contrôles d’ici… 2026.»

Où se renseigner ?

Les résultats des contrôles effectués continûment sur l’eau courante sont publics et accessibles de différentes manières. Il y a d’abord les factures d’eau, accompagnées une fois par an d’une synthèse (appelée «infofacture») renseignant sur la qualité de l’eau délivrée au cours de l’année précédente.

Pour avoir accès aux résultats au fil de l’eau, on pourra consulter un outil de recherche en ligne qui s’appuie sur les données des Agences régionales de santé, responsables de ce suivi en France : il suffit de renseigner sa position géographique pour accéder aux derniers bulletins de contrôle et aux archives.

Autre option, contacter sa mairie qui communiquera les résultats des contrôles. Dans les copropriétés, le syndic destinataire de la facture d’eau a également accès à ces informations et pourra les transmettre aux résident·es.

D’où vient l’eau du robinet ? Comment devient-elle potable ?

L’eau courante est un mélange d’eau captée dans des réserves souterraines (nappes phréatiques) et d’eau de surface (rivières, fleuves, lacs, barrages).

Après ces captages, une série de traitements a lieu dans des usines de potabilisation : on enlève d’abord les plus gros déchets à l’aide de grilles, puis on tamise les plus petits, comme le sable. Vient ensuite l’étape de coagulation-floculation, avec l’ajout d’un produit coagulant qui permet de regrouper les matières en suspension pour les évacuer. Puis, on élimine les particules invisibles avec une filtration à l’aide de charbon actif, de sable ou encore de membranes. Une désinfection, un traitement d’affinage et l’ajout de chlore viennent compléter le processus de potabilisation.

L’eau en bouteille, une alternative ?

On le comprend, l’eau courante n’a rien d’une eau «pure», débarrassée de toute substance polluante. Faut-il pour autant privilégier l’eau en bouteille ? Ça se discute !

Premier point noir lié à cette consommation, sa dimension écologique. Le conditionnement en contenants plastiques contribue à une pollution massive des écosystèmes, marins en tête, aujourd’hui bien documentée.

En 2019, un rapport des ONG Earthwatch Europe et Plastic Oceans UK montrait que ces bouteilles d’eau était la forme de déchets plastiques la plus présente dans les mers, fleuves et rivières d’Europe. La France se classe dans les cinq pays les plus consommateurs de bouteilles en plastique au monde.

Autre aspect : l’eau en bouteille n’est pas davantage garantie sans polluants que l’eau du robinet. Sachant, comme on l’a vu plus haut, que les contrôles sanitaires ne cherchent pas les microplastiques. «Si l’eau en bouteille peut être utile en cas de dépassement de la Vmax, elle ne peut pas représenter une solution durable, c’est une aberration écologique ! C’est en amont qu’il faut surtout agir, en responsabilisant davantage les activités, industrielles et agricoles, à l’origine de rejets polluants dans l’environnement», plaide Julie Mendret.

Qui va payer ?

Devant l’ampleur de la pollution chimique, la réglementation en matière d’eau potable devra évoluer. Il faudra mieux repérer et traiter les polluants, ce qui nécessite des équipements coûteux pour les unités de potabilisation. Qui va payer pour ces évolutions ? À l’avenir, la consommation d’une eau courante de qualité pourrait bien être réservée aux zones les plus développées économiquement. Et à tous ceux et celles en mesure de s’équiper de systèmes de filtration domestiques ?

Cet article est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, questions d’actualité, ordres de grandeur, vérification de chiffres : chaque jeudi, nous répondrons à une question choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez voter pour la question de la semaine ou suggérer vos propres idées, vous pouvez vous abonner à la newsletter juste ici.