En combinaison intégrale, chaussettes de tennis aux pieds, André s’extrait des eaux translucides du Cap Lahoussaye, avec, à la main, des morceaux de tissus emmêlés dans un fil de pêche. Ici, les vagues viennent s’échouer sur la roche volcanique, surplombée par des falaises de six mètres de haut. A 28 ans, André est un habitué des lieux : «Je viens là plusieurs fois par semaine, je ramasse les déchets pour que les poissons aient un lieu de vie meilleur.»
Sur le littoral réunionnais, le Cap Lahoussaye est l’un des stops incontournables, prisé des touristes pour la vue, la plongée ou pour observer la vie sous-marine avec un masque et un tuba. Grâce à ses plages paradisiaques et ses cirques naturels -ces vallées encaissées formées par l’érosion de l’eau et du vent-, l’île de La Réunion attire chaque année plus de 550 000 visiteur·ices. Selon l’observatoire du tourisme, 80% d’entre elles et eux viennent de France métropolitaine et 12% de l’Océan Indien. Les autres arrivent d’ailleurs en Europe : d’Allemagne, de Belgique ou de Suisse.
«On voit des touristes marcher sur les coraux»
Une pression touristique – même si elle est modérée – qui peut avoir des conséquences sur l’environnement réunionnais, particulièrement fragile, avec ses lagons, ses forêts humides et sa biodiversité endémique. «On voit régulièrement des touristes marcher sur les coraux du lagon», s’agace Marie-Chantal Renardière, à la tête de l’association de protection «Les dalons du lagon», qui passe le plus clair de son temps sur la plage de l’Hermitage, l’une des plus visitées de l’île. Pourtant, des policier·es de l’environnement sont présent·es sur le littoral. «Ils rappellent qu’il est interdit de piétiner les coraux, de les prélever et qu’il vaut mieux éviter les crèmes solaires pour les protéger. Le lagon est un environnement très sollicités parce qu’il y a du monde toute l’année, avec des pics de fréquentation sur certaines plages», note Tevamie Rungassamy, responsable du pôle patrimoine naturel de la réserve naturelle marine de La Réunion, qui protège 40 kilomètres de linéaires côtiers, sur la côté ouest de l’île.
Mais au-delà de ces pressions sur les milieux naturels, ce sont surtout les événements climatiques extrêmes qui participent à la dégradation du milieu. En faisant déborder les ravines, le passage du cyclone Garance, le 28 février dernier, a provoqué d’énormes coulées de boue dans le lagon (notre article). «C’est la pire catastrophe écologique qu’a connu la réserve marine. Au moins 40 hectares de récifs coralliens ont été entièrement détruits dans l’Ouest de l’île», souffle Bruce Covin, spécialiste de l’état de santé des récifs coralliens au sein de la réserve naturelle marine. Des coulées de boue qui ont aussi emporté avec elles des tonnes de déchets. «Depuis, on trouve de tout dans l’eau : du bois, du plastique, des pneus, des morceaux de tissus… Tout ce qui a transité par les ravines», se désole André, l’apnéiste du Cap Lahoussaye.
Avec la construction d’hébergements touristiques, l’urbanisation amplifie le phénomène. «Les aménagements entraînent une imperméabilisation des sols. En ruisselant, les eaux se chargent d’ordures, d’intrants chimiques, avant d’atterrir dans le lagon. Les coraux, qui vont aimer les eaux claires, peu denses en nutriments, vont avoir tendance à se dégrader, notamment avec la présence d’algues, qui prennent le dessus et peuvent les effriter», souligne Tevamie Rungassamy.
«L’un des plus gros phénomènes de blanchiment de ces 30 dernières années»
Sans compter que cette catastrophe climatique avait été précédée d’une autre, peu avant. «Nous avons eu des eaux très chaudes début 2025, avec l’un des plus gros phénomènes de blanchiment de ces 30 dernières années», souligne Isabeau Jurquet, directrice de la réserve naturelle marine. «Au moins 80 % des coraux ont blanchi», appuie Bruce Covin.
Si le blanchiment n’annonce pas la mort des coraux, cela les fragilise grandement. «On a parfois observé des taux de récupération de 80%, mais la température de l’eau était moins élevée», note Bruce Covin, peu confiant, qui alerte sur la disparition des écosystèmes si ces phénomènes climatiques se multiplient et si rien n’est fait pour limiter l’urbanisation.
Dans ce contexte, les activités de plein air pourraient, à l’avenir, être compromises. «Toutes les activités de découverte du lagon pourraient être impactées, estime Ludovic Lauret, le chargé de mission transition écologique et développement durable de la Direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (Deal). Cette année, on note notamment une plus faible fréquentation des baleines [qui viennent mettre bas ou élever leurs petits dans les eaux réunionnaises de juin à octobre, NDLR]. On ne sait pas encore si cela a un lien avec le réchauffement climatique mais c’est une possibilité.» Sur les hauteurs de l’île, la biodiversité est également déstabilisée. «Auparavant on n’y trouvait pas de fruits exotiques, désormais ces arbres fleurissent, et d’autres espèces endémiques indigènes, très sensibles aux évolutions des températures, pourraient être amenées à disparaître. Cela peut aussi avoir des conséquences sur les aménagements touristiques et sur la diversité des espèces à découvrir.»
Sans compter qu’avec l’élévation du niveau de la mer, certaines plages sont menacées. «L’une d’elle a déjà presque disparu. La plage des Roches Noires dans l’ouest, souffrait du phénomène d’érosion et les inondations provoquées par le cyclone ont fait disparaître une grande partie du sable», souligne le chargé de mission transition écologique et développement durable de la Deal. A Saint-Leu, un peu plus au sud, la mer «grignote également les espaces forestiers au fur et à mesure».
Erick Fontaine, à la tête du Mouvement des citoyens engagés, s’inquiète, lui, de la ressource en eau. Car les épisodes de sécheresses, qui se multiplient, ont de lourdes conséquences sur les stocks. «Nous avons déjà eu des restrictions d’eau dans l’Est, du mois d’août au mois de février. Et cette année, les coupures pourraient être encore plus nombreuses», craint le Réunionnais. Lors de la dernière saison des pluies, les précipitations ont en effet été 28% plus faibles que la normale, selon Météo France. Et la saison sèche précédente avait été exceptionnellement déficitaire.
Objectif : un million de visiteurs par an
Pour autant, le comité réunionnais du Tourisme se fixe pour objectif de quasiment doubler le nombre de visiteur·ices, en attirant un million de personnes par an sur l’île dans les années qui viennent, sans calendrier précis pour le moment. Pour Ludovic Lauret, «il faudrait plutôt se concentrer sur ce qu’on peut mettre en place en matière de développement durable».
D’autant que, selon Météo France, les cyclones pourraient être de plus en plus violents dans l’océan indien, en lien avec le réchauffement de l’eau d’environ +0,5°C à +0,6°C ces cinquante dernières années. Ce qui provoquerait de très lourds dégâts, sur les infrastructures mais également dans les milieux naturels, en déracinant les arbres, en asséchant les sols et en provoquant d’importantes inondations.
Sur l’île, les épisodes de sécheresse pourraient également devenir plus réguliers. Selon Météo France, le mois de janvier 2025 a ainsi été le plus sec jamais observé en 54 ans, avec seulement 25% des pluies habituelles. «Toute la Réunion a été touchée par un déficit exceptionnel de précipitations de juillet 2024 à janvier 2025», indique Claire Backenstrass, chargée d’étude au sein de Météo France à La Réunion. Car en augmentant, les températures favorisent l’évaporation des sols et de l’eau stockée. «Le thermomètre dépasse les records, confirme Ludovic Lauret. Les prévisions donnent des températures de plus de 42°C au Port, à Saint Paul et à Saint Leu, dans l’Ouest de l’île.»
Des mouvements de terrains plus fréquents
De fortes températures qui peuvent également avoir des conséquences dans les cirques. «Les éboulis y sont de plus en plus marqués, en raison des mouvements de terrains», poursuit le chargé de mission transition écologique et développement durable de la Deal. Le 5 août dernier, un glissement a provoqué un éboulement sur le sentier de la descente de l’enclos du volcan, le Piton de la Fournaise. Un arrêté interdit depuis l’accès au site, incontournable pour les visiteur·ices. «Ces éboulis sont favorisés par les cyclones mais aussi par des étés de plus en plus longs, couplés à des précipitations intenses», souligne Ludovic Lauret.
Selon les conclusions du rapport scientifique BRIO, conçu spécifiquement pour La Réunion et publié en 2023, qui présente des projections climatiques jusqu’en 2100, une hausse des températures de +1 à 3,5 degrés est en effet envisagée. Avec une réduction des précipitations.
Mais un risque accru d’inondations. Selon Météo France, «le niveau de la mer s’est élevé de plus de 5mm par an dans le sud-ouest de l’océan indien, c’est plus que la moyenne mondiale qui est de 3,7 mm.» Et les projections à 2100 prévoient que le niveau de la mer augmente de 30 à 50 centimètres. Et même de 60 cm à 1 mètre en cas de déstabilisation des calottes polaires.