«Lorsque les coraux sont cassés ou meurent, les bébés poissons se retrouvent sans maison et se font manger par les gros poissons.» En cette fin mai, sur la plage de l’Hermitage à Saint-Paul (La Réunion), Bruce Cauvin brandit une à une ses affiches de coraux devant une classe de CM1, venue participer à un atelier de sensibilisation. Puis, il demande au petit groupe de partir à la recherche de branches de corail sur la plage. «Celles qui se retrouvent sur le sable sont toutes mortes. Et, petit à petit, à force de s’entrechoquer dans les vagues, elles se transforment en sable», lance le responsable Éducation et sensibilisation de la réserve naturelle marine de La Réunion.
En dépit de son énergie contagieuse, Bruce Cauvin n’a pas le moral. Depuis le passage du cyclone Garance, le 28 février dernier, le professionnel n’ose plus mettre la tête sous l’eau à l’ouest de l’île. «À Saint-Leu, plus de 90% des coraux ont été détruits, observe-t-il, ému. C’est la plus grosse catastrophe écologique qu’a connue la réserve marine.» En 1989, le cyclone Firinga avait également endommagé près de 90% du récif corallien de La Réunion «mais, cette fois, c’est pire», assure le professionnel. Il avait déjà constaté un blanchissement des coraux, début février, avec au moins 80% des récifs impactés – en raison d’une eau anormalement chaude. Un phénomène qui peut conduire à la mort du corail s’il ne parvient pas à se régénérer. Au total, les employé·es de la réserve naturelle marine de La Réunion estiment que 100 hectares de platiers coralliens ont été endommagés, et environ 40 ont été totalement détruits.
«Plusieurs sites ont été totalement décapés»
À 1 400 kilomètres de là, à l’ouest, l’archipel français de Mayotte a été terriblement affecté par le cyclone Chido, le 14 décembre 2024. Et ce, alors que la biodiversité marine fait partie des plus grandes richesses du 101ème département français, qui possède 1 500 kilomètres carrés de lagon – l’un des plus grands du monde. «Plusieurs sites ont été totalement décapés. Il y a des zones où il ne reste plus rien. Les coraux ont laissé place à de la roche», souligne Yoan Doucet, chef de service ingénierie du parc naturel marin (PNM) de Mayotte, géré par l’Office français de la biodiversité (OFB). Des sites «très localisés», selon le spécialiste, surtout situés au nord et à l’est de l’archipel.

Et les zones qui avaient subi un phénomène de blanchissement – lié notamment à la hausse des températures de l’eau et à l’acidification des océans – ont été «plus impactées» que les autres. Selon le PNM de Mayotte, les écosystèmes avaient été particulièrement fragilisés, en 2024, par le phénomène El Niño (une anomalie océanique naturelle et cyclique aux effets globalement réchauffants sur l’atmosphère), qui a engendré une mortalité estimée à près de 39%.
De fortes coulées de boue
Si certains coraux ont été brisés par la forte houle pendant le passage de cyclones successifs cet hiver, l’intensification des pressions extérieures a aussi joué un rôle dans ce désastre. «À Mayotte, il existe une forte problématique d’érosion des sols, qui génère de fortes coulées de boue dans le lagon et étouffe les coraux», souligne Yoan Doucet. Selon le projet «Lutte contre l’érosion des sols et l’envasement du lagon à Mayotte», environ 20 000 tonnes de boue atterrissent dans le lagon chaque année. Avec les fortes pluies engendrées par le cyclone Chido, puis par le cyclone Dikeledi le 18 janvier 2025, l’envasement du lagon s’est amplifié. Une pression liée à «la déforestation pour l’agriculture et le secteur du bâtiment, et à l’urbanisation croissante», souligne Michel Charpentier, président de l’association de protection de l’environnement Les Naturalistes.
Retour à La Réunion. Les pluies diluviennes qui ont succédé aux vents violents après le cyclone Garance ont provoqué le même phénomène qu’à Mayotte, à cause des fortes inondations. «À Saint-Leu, au sud-ouest de l’île, les coraux ont été recouverts de boue», souligne Bruce Cauvin. Le développement de l’agriculture dans l’ouest et l’urbanisation croissante sont en partie responsables. «Il y a une dégradation du milieu, note Sébastien Jaquemet, enseignant chercheur à l’Université de La Réunion, spécialiste de la biodiversité marine tropicale. Auparavant, les eaux de l’ouest étaient claires. Mais le développement de l’île, avec la construction de nouvelles infrastructures, a généré une dégradation de la qualité de l’eau et de l’environnement côtier.»

Et, sur les deux territoires français, le déversement de déchets dans le lagon ajoute une pression supplémentaire. Pour Bruce Cauvin, responsable de la protection des récifs coralliens de l’île de La Réunion, l’enjeu est de mieux gérer le ruissellement des eaux qui se déversent dans la mer via les ravines, et qui peuvent transporter des animaux morts, des ordures ménagères ou des déchets végétaux. Le 28 février, à Saint-Denis, au nord de La Réunion, des voitures, de l’électroménager, des matériaux comme de la tôle, mais aussi des troncs arrachés se sont retrouvés directement dans l’océan. À Mayotte, le cyclone Chido a emporté «des tas de débris et de déchets», note, de son côté, Yoan Doucet, qui rappelle la présence très régulière de filets de concentration de poissons dérivants dans le lagon : «On voit souvent des dizaines de mètres de filets emmêlés, échoués sur les récifs coralliens.»
«Neuf mètres de houle à l’extérieur du lagon»
Pour tenter de préserver les coraux, le parc naturel marin de Mayotte mise surtout sur une «restauration passive des écosystèmes». «Nous cherchons à savoir dans quel état de santé est le récif et à limiter les pressions qui affaiblissent les coraux. Il y a un gros travail à faire là-dessus. La population voit que le récif est très protecteur. Pendant le cyclone, il y avait neuf mètres de houle à l’extérieur du lagon, et quatre mètres à l’intérieur. La barrière a joué son rôle», souligne Yoan Doucet. Le PNM de Mayotte travaille ainsi avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) pour lutter contre l’érosion, et avec l’industrie de la pêche, dans l’espoir de faire évoluer les pratiques. De son côté, la réserve marine naturelle de La Réunion mise aussi sur des actions de prévention, notamment avec les scolaires, et emploie des «policiers de l’environnement» pour faire respecter la réglementation dans les zones protégées.
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Plusieurs projets de bouturage de coraux sont par ailleurs en cours sur les deux territoires. Cette technique de restauration repose sur la capacité des coraux à se régénérer à partir de fragments cassés. L’idée est de prélever de petits morceaux sur des colonies mères en bonne santé, et de les fixer sur des supports artificiels, avant de les placer dans des zones privilégiées pour la lumière, le courant et la température.
À Mayotte, l’Institut de recherche pour le développement (IRD) porte le projet Future maore reefs (FMR), dont l’objectif est de tester l’efficacité de récifs artificiels construits à partir de blocs de basalte – une roche volcanique présente sur l’île – pour favoriser la recolonisation de coraux et la biodiversité marine. Un projet qui vise à sensibiliser les scolaires mais qui a, lui aussi, été victime du cyclone. À Longoni, au nord de l’île mahoraise de Grande-Terre, où le récif naturel a été «totalement détruit», selon l’IRD, le taux de survie des boutures est de 46%. «On ne peut pas recréer une barrière de corail avec cette technique, elle n’est pas assez mature d’un point de vue scientifique, explique Yoan Doucet. Il faut davantage travailler sur les pressions qui existent sur le lagon. Sans cela, les boutures ne prendront pas.»