Enquête (2/3)

Covoiturage, mobilités douces… Pour inciter les supporters à voyager plus vert, les clubs de football misent sur la convivialité

Foot du volant. Dans le foot pro, ce ne sont ni les maillots ni les stades chauffés qui pèsent le plus sur le climat, mais les supporters et supportrices sur la route. Pour réduire leur empreinte carbone, certains clubs de Ligue 1 encouragent des modes de déplacement alternatifs. Deuxième volet de notre enquête sur un monde qui affirme vouloir tourner plus rond.
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Assis sur les marches en béton du stade Francis-Le Blé, Jérémy, trentenaire aux cheveux bleus et supporter de toujours du Stade Brestois, ouvre fièrement sa veste : «Ce maillot du club, je l’ai eu grâce au covoiturage.» Depuis janvier, le club de football professionnel de Brest (Finistère) teste une nouvelle stratégie pour inciter les supporter·ices à utiliser les mobilités douces. L’application Weflo, développée par la start-up nantaise Transway, est au cœur de cette initiative.

Cet article est le deuxième épisode de notre série qui mêle football et écologie. Pour (re)lire le premier : «Sur l’écologie, le monde du football reste sur la touche : “L’environnement est la dernière roue du carrosse”», cliquez ici.

Et c’est un gros chantier. Pour tous les clubs de France de Ligue 1 (le championnat de première division), le transport des supporters et supportrices représente environ 63% des émissions de gaz à effet de serre du football professionnel, d’après le Shift Project. Pour cause : la majorité des allers et venues se font en voiture. Le Stade Brestois ne fait pas exception. Ici, d’après le dernier bilan carbone du club, 73% des émissions liées au transport proviennent de ces trajets.

Pour encourager les fans à changer leurs habitudes, le club mise sur la méthode de la carotte : plus on se déplace à pied, en vélo, en covoiturage ou en bus, plus on cumule de points sur l’application Weflo. Ceux-ci donnent accès à des récompenses variées : maillots, remises en boutique, places de match ou, le graal, la possibilité de venir assister aux échauffements des joueurs. Jérémy reconnaît qu’il n’est pas le plus «vert» des écolos : «Au quotidien, je fais le tri et j’essaie d’utiliser moins de plastique, mais je ne fais pas grand-chose de plus.» Selon lui, Weflo l’a poussé à aller plus loin. «J’aurais fait du covoiturage sans l’application, mais là je suis plus proactif», explique-t-il avant de rejoindre les tribunes et de scander «Qui ne saute pas n’est pas Brestois !».

Aujourd’hui, le système de récompense motive Jérémy, ainsi que le bilan affiché après chaque trajet, qui lui permet de savoir concrètement les émissions qu’il a évitées.

Mettre en avant la convivialité

Le match contre le FC Nantes va bientôt débuter. Le stade se remplit peu à peu : 15 000 spectateur·ices sont attendu·es. Parmi elles et eux, probablement une partie des 336 utilisateur·ices de l’application. Ce chiffre reste à relativiser, car le club n’a pas encore les moyens de vérifier si les trajets déclarés ont réellement été effectués.

Pour convaincre les spectateur·ices de voyager plus «vert», Clément Le Belleguy, en charge de la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) du club, a lancé une campagne sur les réseaux sociaux et une newsletter dédiée. «Nous avons la chance d’avoir une audience importante auprès d’eux», explique-t-il. Selon lui, l’argument qui fait mouche n’est pas forcément environnemental, mais plutôt celui de la praticité et de la convivialité : «Si on plaçait l’aspect écologique en premier, seule une petite partie des supporters se sentirait concernée.»

Le Stade Brestois est le premier club à tester l’application Weflo, habituellement réservée aux entreprises et collectivités. Quelques ajustements sont encore nécessaires pour répondre aux besoins du football. © Stade Brestois/Weflo

À terme, l’objectif est que 10% des fans utilisent Weflo. «L’idéal serait 100%, mais il est important de se fixer des objectifs atteignables pour ne pas se décourager trop vite», ajoute Clément Le Belleguy. Il souligne que cette stratégie reste expérimentale : «Nous ne maîtrisons pas tout : météo, horaires, transports en commun, innovation technologique… Mais nous testons, mesurons et adaptons nos actions pour l’avenir.»

La Ligue de football professionnel distribue les bons points

En parallèle du projet controversé de construction d’un nouveau stade, le club brestois est parti à la chasse aux émissions. D’où vient cet élan ?

En 2022, le ministère des sports a publié un plan de sobriété énergétique du sport, qui a incité les clubs à collecter et transmettre davantage de données, jusque-là souvent lacunaires. D’après Jérôme Belaygue, directeur de la communication externe et RSE de la Ligue de football professionnel (LFP), ce travail a nourri de nombreuses propositions au ministère. La Ligue a profité de la publication du plan pour intégrer ses préconisations dans la «Licence club», en créant une nouvelle catégorie de critères RSE. La Licence club est un cahier des charges construit autour de plusieurs critères, qui rapportent des points aux clubs s’ils sont remplis. Si ces derniers n’obtiennent pas suffisamment de points, ils ne peuvent pas toucher l’intégralité des droits de diffusion (versés par la LFP) des matchs à la télévision – principale source de revenu des clubs pros.

Au club breton, comme dans les six clubs de Ligue 1 interviewés par Vert, l’intention de remplir ces nouveaux critères pour toucher la part fixe des droits télévisés a motivé ou fini de motiver les troupes. Pour décrocher le sésame, les clubs doivent obtenir au moins 7 000 points sur 10 000 – depuis 2022, 750 points sont conditionnés au respect de l’environnement. «C’est l’outil privilégié pour impliquer tous les clubs, et rapidement», commente Jérôme Belaygue.

Une fois les règles posées par la LFP, les clubs doivent passer à l’action. Pour réduire l’impact des déplacements des supporters et supportrices, une dizaine d’entre eux (comme le Racing Club de Strasbourg Alsace ou le Stade Rennais), ainsi que la LFP, ont choisi une autre solution : Stadium Go. Cette application est uniquement dédiée au transport en voiture, une sorte de Blablacar pour fans de sports. Depuis sa création en 2019, d’après Stadium Go, les trajets organisés ont permis d’éviter l’émission d’environ 600 tonnes de CO2, soit l’équivalent de 3,39 allers-retours Paris-New York en avion. Des résultats qui paraissent timides au regard de l’enjeu. «C’est un sujet de long terme», insiste Romain Lauvergnat, le fondateur de l’appli.

Des supporter·ices du Mans (Sarthe) se rendent au stade. © Stadium Go

Il insiste sur la difficulté de changer les habitudes dans le football : «Beaucoup de supporters utilisent leur voiture personnelle par confort et habitude. Créer un premier covoiturage est facile, mais fidéliser les utilisateurs reste le vrai défi.» Pour cette raison, l’application a introduit un système de récompense des voyageur·ses. Le nombre d’utilisateur·ices a plus que doublé en deux saisons, bondissant de 16 350 en 2022-2023 à 36 490 en 2024-2025.

Afin de passer à la vitesse supérieure, Romain Lauvergnat aimerait signer en France le même type de contrat que celui qu’il vient de parapher avec la Ligue de football suisse. Pendant trois saisons au minimum, les supporter·ices de 22 clubs de foot helvètes pourront organiser leur covoiturage vers les stades via une plateforme unique. Celle-ci devrait notamment rendre l’offre plus lisible pour les spectateur·ices et permettre de mutualiser les efforts des clubs. Il est encore trop tôt pour savoir si cette stratégie porte ses fruits.

Plus dans le bus

Autre levier pour réduire l’impact des voyages des fans de foot : monter des stratégies avec les transports publics, dont l’efficacité dépend fortement de la volonté des collectivités. D’après la LFP, les critères environnementaux de la Licence club ont permis de mettre en place des systèmes de couplage de billets de match avec des titres de transport. Concrètement : des voyages gratuits ou moins chers pour les détenteur·ices d’une place au stade. À Montpellier (Hérault), où les transports sont gratuits, les services notent une hausse de 25 % de fréquentation de la station Stade de la Mosson par rapport à la moyenne des autres samedis. Si cette augmentation suggère un effet positif du dispositif sur les déplacements des supporter·ices, elle ne permet pas à elle seule de mesurer son impact réel sur la réduction de l’usage de la voiture ou sur l’empreinte carbone.

À Brest, le voyage en transport en commun coûte 20 centimes de moins les jours de match, mais «l’impact reste faible», reconnaît le responsable RSE du club. © Marine Mugnier/Vert

Un système de navettes gratuites existe aussi dans certaines villes, comme à Lille (Nord), où 1 000 à 1 500 spectateur·ices par match sont transporté·es vers le stade Pierre-Mauroy. Une solution qui n’est pas magique pour autant. À Toulouse (Haute-Garonne), certaines navettes n’ont pas fonctionné. Des bus gratuits financés par McDonald’s (sponsor de la Ligue 1) pour faire le trajet depuis plusieurs communes de la région vers le stade ont peiné à trouver leur public – et le dispositif ne sera reconduit qu’avec les jeunes des clubs partenaires.

Jet-set et matchs

Côté voyage des joueurs pros, ça bouge aussi. «On est en train de voir si on ne peut pas se déplacer en char à voile», ironisait en 2022 l’entraineur du Paris Saint-Germain Christophe Galtier. Il répondait alors à un journaliste qui suggérait à l’équipe d’effectuer ses trajets Paris-Nantes en train plutôt qu’en jet privé. La sortie du coach avait fait polémique.

© L’Équipe

Il faut dire que, si le transport des joueur·ses et du staff n’est pas le poste le plus polluant, il représente tout de même 13% des émissions du football professionnel et a une valeur hautement symbolique. Là encore, le changement se heurte aux habitudes. Comme le décrit Manon Lombard, responsable RSE du Toulouse FC : «Si un match se joue à Rennes, il peut se terminer vers 19h30. Le temps de se doucher et de quitter le stade, il n’y a plus de train direct pour rentrer à Toulouse. Il faut alors passer par Paris et payer une nuit d’hôtel. Les clubs sont donc très réticents à cette option. Ils jugent qu’elle affecte trop la récupération des joueurs.»

La recherche de performance freine ainsi l’évolution vers une transition écologique durable. Florent Ogier, footballeur professionnel et ex-joueur du Clermont Foot 63, confirme à regret : «L’objectif principal reste la performance et le résultat. Aborder des questions environnementales, c’est prendre du temps sur autre chose qui ne correspond pas à cette logique.»

Néanmoins, les critères mis en place par la LFP ont permis d’amorcer un tournant. En fonction du calendrier, ils préconisent aux clubs les déplacements à effectuer en bus ou en train, en ciblant ceux qui durent moins de cinq heures aller-retour. Une solution qui dépend donc fortement de la situation géographique des clubs. En 2023-2024, la LFP a recensé 143 trajets «réalisables sans avion» en Ligue 1 et Ligue 2. Au final, 165 déplacements ont été effectués en train ou en bus, soit 24% du total.

Pour accélérer ce virage vert, la LFP s’appuie depuis 2023 sur Mob’Sport, premier programme dédié au sport financé par des certificats d’économie d’énergie, un dispositif obligeant les fournisseurs d’énergie à soutenir des projets réduisant la consommation et les émissions de CO2. Mob’Sport accompagne huit clubs dans la mesure et la réduction de leurs déplacements. Une sorte de laboratoire des bonnes pratiques sur la mobilité, mais aussi un espace d’échange entre pairs. Après une phase de diagnostic la saison dernière, les clubs sélectionnés devraient commencer à déployer cette année des initiatives à destination des spectateur·ices.

Encore balbutiants, les efforts engagés par le football professionnel amorcent doucement la trajectoire vers un football plus durable. Selon le Shift Project, 85% des émissions liées au déplacement des spectateur·ices pourraient être évitées… à condition que les clubs et les fans jouent vraiment collectif.

Cet article a reçu le soutien du Journalismfund Europe.
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