«Ça fait tellement longtemps qu’on prépare et qu’on attend ce jour.» C’est un procès unique, le premier du genre en Belgique, qui s’est ouvert ce mercredi à Tournai, dans l’ouest du pays. Celui d’un agriculteur, Hugues Falys, contre le Goliath de l’énergie : TotalEnergies. L’agriculteur a assigné le groupe en justice en 2024 et l’accuse d’être responsable de ses lourdes pertes agricoles liées à la multiplication des événements météorologiques extrêmes. Il espère obtenir réparation.
Dans cette affaire baptisée par les médias belges «The farmer case» (l’affaire de l’agriculteur, en français), Hugues Falys a été rejoint par trois ONG : FIAN, qui défend l’accès pour toutes et tous à une alimentation de qualité, Greenpeace et la Ligue des droits humains de Belgique (LDH). Le procès s’est ouvert en début de matinée et la parole a été donnée aux plaignant·es tout au long de cette première journée. Le jugement, susceptible d’appel, n’est pas attendu avant début 2026.

À son arrivée au tribunal, l’agriculteur a été accueilli par des dizaines de manifestant·es qui brandissaient des banderoles et arboraient des t-shirts «Arrêtez les criminels climatiques».
Le raisonnement d’Hugues Falys est le suivant : dès lors que les pertes d’un·e exploitant·e peuvent être calculées et que la responsabilité climatique du géant pétrolier français est démontrée, la voie est ouverte pour contraindre l’entreprise à cesser ses investissements dans les énergies fossiles et à se tourner pleinement vers les renouvelables. «Nos arguments sont solides, les arguments de TotalEnergies sont légers», a assuré l’agriculteur juste avant le début de l’audience.
«Il a fallu réduire le cheptel»
L’agriculteur – qui est aussi porte-parole du syndicat agricole Fugea –, dit avoir vécu quatre épisodes extrêmes entre 2016 et 2020 dans son exploitation du Hainaut : un violent orage qui a détruit ses cultures de fraises et de pommes de terre, puis trois séquences de sécheresse aux graves conséquences pour son activité d’éleveur bovin. «Ces sécheresses ont diminué considérablement la production de fourrages. Il a fallu réduire le cheptel avec des conséquences en termes de revenus», raconte-t-il.
Les deux objectifs du procès sont «la réparation et la transformation», fait valoir la Ligue des droits humains (LDH) de Belgique. Si les pouvoirs publics belges ont déjà dû répondre devant les tribunaux de leurs actions insuffisantes face au dérèglement climatique, c’est la première fois dans le pays qu’un contentieux lié au climat vise une entreprise du secteur pétrolier.
Pourquoi cibler TotalEnergies plutôt qu’une autre firme active en Belgique ? Le groupe français est «le premier affineur et distributeur» de produits pétroliers dans le pays, répond Céline Romainville, de la LDH. Elle pointe sa responsabilité «majeure et indéniable» dans les émissions polluantes. En Wallonie, «huit agriculteurs sur dix sont confrontés à de graves difficultés liées au dérèglement climatique», estime l’ONG.
Pratiques commerciales trompeuses
De son côté, la multinationale estime qu’il n’est «pas légitime» de dénoncer tout le fonctionnement du système énergétique mondial depuis plus de 100 ans en attaquant une «seule entreprise, qui ne pèse qu’un peu moins de 2% du secteur pétrolier et gazier».
«C’est une action que nous déplorons parce que nous pensons que la judiciarisation du débat climatique n’est pas à la hauteur des enjeux», a déclaré Sébastien Champagne, avocat du groupe pétrolier, en marge de cette première journée d’audience. La plaidoirie des avocat·es de TotalEnergies est prévue le 26 novembre, avant deux autres audiences de débat contradictoire début décembre.
Le géant français a déjà été mis en cause dans des procès climatiques, accusé notamment d’avoir dissimulé pour des raisons économiques sa connaissance de l’impact de son activité sur l’environnement. Fin octobre, il a été condamné à Paris pour «pratiques commerciales trompeuses», pour avoir vanté ses engagements vers la neutralité carbone d’ici 2050 (notre article). Les associations environnementales à l’origine de la procédure avaient alors salué «un précédent juridique majeur contre la désinformation climatique des majors pétrolières».
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