Reportage

Au Brésil, la filière artisanale du latex en plein essor : «Il est extrait des arbres sur pied, sans causer de déforestation»

Latex la première. L’Amazonie brésilienne est le seul endroit au monde où poussent des hévéas natifs, ces arbres dont est extrait le latex qui sert à fabriquer le caoutchouc. Depuis quelques années, l’extraction artisanale connaît un nouveau souffle dans le pays. Estampillée «durable», elle participe à protéger la forêt mais reste économiquement fragile.
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Baskets, pneus, préservatifs : le caoutchouc naturel est prisé pour ses propriétés élastiques et résistantes. Au Brésil, il a longtemps été cultivé de manière intensive et exporté vers l’Europe. Aujourd’hui, des communautés locales l’extraient à partir d’arbres natifs – qui ne poussent qu’ici – issus des forêts nationales ou de l’une des 90 réserves naturelles dédiées à cette exploitation.

Ainsi, la marque française de baskets Veja ou l’entreprise brésilienne de préservatifs Natex s’approvisionnent en caoutchouc au sein de la réserve Chico Mendes, à l’ouest de l’Amazonie brésilienne.

Cette réserve, qualifiée d’«extractiviste», est la première du genre à avoir été créée et porte le nom de l’ouvrier qui s’est battu pour qu’elle existe. Dans les années 1970, Chico Mendes, militant écologiste et syndicaliste, a défendu le droit des habitant·es de la forêt à y vivre et à y travailler. Il s’agissait de la protéger de grands propriétaires et d’éleveurs qui souhaitaient l’exploiter de manière intensive.

Les «seringueros», ces ouvrier·es chargé·es de la récolte du latex, font de fines entailles dans l’hévéa pour récolter le précieux liquide. © Rogério Mendes

Contrairement à ce que leur nom peut laisser penser, ces réserves extractivistes (ou resex) n’ont rien à voir avec l’exploitation intensive des ressources naturelles. Leur statut est défini par la loi et elles sont issues d’une réforme agraire de la fin des années 1980 : leur création a permis d’exproprier les grands propriétaires des exploitations de caoutchouc afin que les arbres puissent être gérés collectivement par les ouvrier·es, selon des règles plus protectrices pour la forêt.

Ces travailleur·ses du latex sont appelés seringueiros. Elle et ils creusent des entailles horizontales dans le tronc de l’hévéa afin que la sève – le latex – s’écoule le long d’une scarification verticale et remplisse un récipient. Ces ouvrier·es ont une fine connaissance du rythme d’écoulement de la sève de chaque arbre ou de leur besoin de repos et font des kilomètres dans la forêt pour prélever le précieux liquide. Lorsque l’écorce est ainsi saignée, avec des outils appropriés, l’arbre peut vivre très longtemps en bonne santé. «Le latex est extrait des arbres sur pied, sans causer de déforestation», explique à Vert Lyvia Julienne Sous Rego, professeure en ingénierie forestière à l’université fédérale du Sud de Bahia.

Maria Rosenildes Guimarães, professeure à l’université de Campinas et coordinatrice de l’Institut d’études intégrées citoyen de l’Amazonie, a participé à un travail de recensement des petites exploitations gérées par des communautés locales et autochtones dans l’État du Pará. C’est dans cette région, dans la ville de Belém, que se tient la 30ème conférence mondiale (COP30) sur le climat. L’occasion pour l’État du Para de montrer son soutien aux petites exploitations durables de latex. La chercheuse rappelle que «ce mode de subsistance dans la forêt, lorsqu’il n’est pas exploité par l’industrie, assure une relation durable entre les communautés et leur environnement».

Le nouvel essor des petites exploitations de caoutchouc

L’extraction du caoutchouc à partir d’arbres natifs et non de monocultures plantées permet de préserver la forêt. En évitant les méthodes de production industrielles, les travailleur·ses suivent le rythme d’écoulement et le besoin de repos des arbres, et préservent ainsi la ressource. Cette activité offre une alternative à l’élevage de bovins et à l’agriculture intensive, qui nécessitent de raser la forêt pour en faire des champs ou des pâturages.

L’exploitation du caoutchouc brésilien, populaire au début du 20ème siècle, s’est industrialisée avant de connaitre un fort déclin, concurrencée par les plantations d’hévéas d’Asie du Sud-Est. Aujourd’hui, la Thaïlande, l’Indonésie et le Vietnam l’exploitent de manière intensive et en sont les premiers producteurs au monde. Le Brésil, lui, n’extrait «que» 250 000 tonnes de caoutchouc naturel, soit 2% de la production mondiale – contre 90% au 19ème siècle. Ce matériau est aussi concurrencé par le latex de synthèse, qui représente 50% de la production mondiale.

«Ces dernières années, nous avons assisté à une renaissance de l’activité d’extraction du caoutchouc au Brésil», observe Lyvia Julienne Sous Rego. Loin des monocultures industrielles, ce sont bien les pratiques artisanales traditionnelles qui connaissent un essor.

«Ce mouvement a commencé à prendre de l’ampleur à partir des années 2000, renforçant le lien entre conservation de l’environnement et génération de revenus», précise-t-elle. La production du matériau naturel se maintient dans 12 États brésiliens et fait vivre environ 25 000 familles.

De petites exploitations raisonnées bénéficient d’un nouveau dynamisme, comme dans l’État de l’Amazonas ou à Tapajós, dans l’État du Pará. Là, des communautés locales de seringueiros travaillent en partenariat avec des chercheur·ses pour affiner leur production et maintenir des revenus stables, tout en assurant la préservation de la forêt.

Un dynamisme que connait également l’île de Marajo, en face de Belém. Après une activité au ralenti pendant plusieurs années, l’entreprise Seringô a obtenu une aide financière du Pará pour relancer son activité. Elle vend désormais 200 baskets en caoutchouc naturel par jour. L’État accorde aussi des subventions – dont le montant a été augmenté en 2021 – aux familles des producteurs de latex.

Le caoutchouc concurrencé par l’élevage

Toutefois, pour que les communautés vivent dignement de cette activité, Maria Rosenildes Guimarães appelle à «une vraie politique de soutien». «Pour que cette activité à haute valeur ajoutée reste viable, il faut aider financièrement les communautés qui exécutent toutes les étapes de la chaine de production du caoutchouc», insiste-t-elle.

Car «les hévéas autochtones ont une plus faible productivité» que ceux qui sont plantés, note Lyvia Julienne Sous Rego. Dans certaines resex, on observe une concurrence avec l’élevage, plus rémunérateur sur le court terme pour les habitant·es. Une pression qui n’épargne pas la réserve Chico Mendes, où les incendies volontaires font rage, en particulier pendant la saison sèche.

Aujourd’hui, «la réserve est confrontée à plusieurs défis», raconte à Vert Rogério Mendes, le fils du seringueiro Raimundão, cousin de Chico Mendes. Il liste les menaces qui pèsent sur ce modèle de protection des communautés et de la forêt : «L’expansion de l’élevage à l’intérieur et autour de la resex, l’augmentation de la déforestation et de l’accaparement des terres, ou encore l’exode des jeunes qui migrent vers la ville à la recherche d’opportunités».

Un incendie intentionnel pour déforester, dans la réserve Chico Mendes. © Rogério Mendes

Le statut social des seringueiros est devenu moins prestigieux que celui d’éleveur car les bénéfices économiques restent maigres. Sans compter que «le travail d’extraction du latex est pénible, détaille Rogério Mendes. Il nécessite de longues marches dans la forêt et le prix payé pour le caoutchouc n’est pas toujours rémunérateur, il est difficile de survivre uniquement grâce à cela.»

Pour assurer un modèle plus pérenne, Veja assure à Vert acheter le latex quatre fois plus cher que le prix du marché, selon des accords à long terme avec les communautés locales pour «offrir aux familles et aux coopératives des primes financières en reconnaissance du service environnemental qu’elles rendent». Mais ce mode d’approvisionnement qui s’adapte au rythme de collecte des seringueiros est loin d’être la norme.

Pour toutes ces raisons, nombre d’ouvrier·es du latex ont diversifié leurs activités et récoltent des noix, des açais (un fruit transformé en sorbet) ou produisent du miel en complément. Le tourisme communautaire, qui met directement en lien les communautés locales et les touristes, offre également un complément de revenus. Pour assurer un avenir à ce modèle d’extraction lent et respectueux de la forêt, un projet d’école de seringueiros est en cours de création aux abords de la résex.

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