Reportage

«Nous sommes les témoins directs des effets du changement climatique» : 50 000 autochtones et activistes manifestent à la COP30

Débattre le pavé. Le «sommet des peuples» a transformé Belém, ville brésilienne hôte de la conférence mondiale sur le climat, en capitale internationale des luttes sociales. Les militant·es ont défendu un agenda alternatif et radical lors d’une marche historique. Vert y était.
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Une marche funèbre pour les combustibles fossiles et une planète gonflable géante protégée par des centaines d’autochtones. Samedi, une déambulation chargée de symboles et d’espoir a fait vibrer les rues de Belém (Brésil), ville hôte du 30ème sommet mondial (COP30) sur le climat. «Nous sommes le centre politique et moral de la COP. Ils peuvent essayer de nous faire taire mais nous parlerons plus fort», scande la militante Rachitaa Gupta, coordonnatrice mondiale de la Global campaign to demand climate justice (Campagne mondiale pour réclamer la justice climatique).

Jamais la participation autochtone (3 000 personnes) n’avait été si importante lors d’une COP. © Anaïs Richard/Vert

«Nous sommes ici pour mettre en avant toutes les demandes populaires qui ont surgi lors de nos discussions, nous appelons à arrêter les fausses solutions», précise le Chilien Eduardo Giesen, en charge de l’antenne sud-américaine et caribéenne de l’ONG.

Pendant quatre jours (du 12 au 16 novembre), le «sommet des peuples» a transformé le campus de l’université fédérale du Pará, à Belém, en une fourmilière de débats populaires. Organisé en parallèle de la COP30, cet événement a été l’occasion de faire entendre des alternatives aux discours technocratiques.

Les incohérences de Lula pointées du doigt

Plus de 20 000 personnes issues de 1 100 organisations du monde entier ont planché sans répit sur une liste de priorités et de solutions concrètes pour tendre vers la justice climatique. Point d’orgue de ce cri global : la marche pour le climat. Elle a rassemblé plus de 50 000 participant·es qui ont parcouru 4,5 kilomètres sous un soleil ardent afin de porter la voix de celles et ceux qui sont invisibilisé·es par les négociations officielles.

Plus de 50 000 militant·es ont répondu à l’appel du sommet des peuples, samedi, à Belém. © Anaïs Richard/Vert

«Nous devons ouvrir le chemin pour sortir des dépendances au carbone, au pétrole et au gaz», a déclaré la ministre de l’environnement brésilienne Marina Silva, perchée sur un char en ouverture de la mobilisation de samedi. Elle est l’une des rares voix du gouvernement brésilien à tenter d’empêcher que la zone de la Marge Équatoriale, à l’embouchure du fleuve Amazone, ne soit livrée aux appétits pétroliers de l’entreprise Petrobras.

«Nous avons besoin de cet or noir, Lula sait ce qui est bon pour le peuple, c’est une ressource qu’il faut utiliser de manière responsable», soutient à l’inverse Neia Marques, conseillère municipale du Parti des travailleurs, fondé par le président brésilien. Les incohérences de ce dernier, anti-déforestation mais accro au pétrole, ont été exposées au grand jour pendant le rassemblement, et plusieurs banderoles et chants ont directement interpellé le dirigeant. «Quelle contradiction : il y a de l’argent pour l’agro[industrie], mais pas pour les démarcations» des terres des peuples autochtones, ont entonné les manifestant·es.

«On ne survivra pas, il ne restera que l’argent»

«C’est un espace clé pour nous, en tant que Quilombolas – descendants d’esclaves vivant en communauté –, nous sommes les défenseurs et défenseuses des territoires et de la planète. Le gouvernement doit reconnaître notre rôle et faciliter la démarcation de nos territoires», souligne Lorena Bereza, 21 ans.

Une marche funèbre pour «enterrer les énergies fossiles», enjeu clé des négociations de la COP30. © Anaïs Richard/Vert

Assise sur un monticule de clémentines à l’arrière d’un pick-up, la jeune représentante de la Coordination nationale d’articulation des communautés noires rurales quilombolas distribue des fruits issus de l’agriculture familiale aux manifestant·es. Elle partage ce combat pour la réforme agraire et la nécessité d’une alimentation durable avec le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST), présent·es en nombre.

«Nous sommes des témoins directs des effets du changement climatique : on ressent dans notre chair la sécheresse, le manque d’accès à l’eau», souligne Loreni de Almega, 55 ans, drapeau rouge du MST solidement tenu dans sa main marquée par les années de travail dans les champs. Elle a pris la route pendant trois jours et trois nuits pour être présente.

Une petite vingtaine d’autochtones arrive soudain à petites foulées, bras dessus bras dessous, au rythme de maracas et de chants saccadés. Les participant·es s’écartent pour les laisser passer. Contrairement à l’espace institutionnel des négociations de la COP, ici, ils et elles sont les protagonistes des discussions. «Si on continue à déforester, on ne survivra pas, il ne restera que l’argent», souffle Chico Puri, autochtone de l’État du Minas Gerais, la peinture rouge de son visage estompée par la sueur.

Convergence mondiale des luttes

Pendant la marche comme lors du forum alternatif, les revendications nationales et régionales se sont mêlées aux luttes internationales. «Le grand héritage du sommet des peuples, c’est l’unification et la convergence de nos luttes au niveau mondial», analyse Francisco Kelvim, porte-parole du Mouvement des affecté·es par les barrages (MAB), qui a créé une antenne internationale pendant la contre-COP. Le MAB et les associations de pêcheur·ses ont appelé à «changer le système, pas le climat».

Pour les peuples autochtones, la priorité doit être donnée à la démarcation de leurs territoires, source de protection. © Anaïs Richard/Vert

Côté solutions proposées par les négociateur·ices officiel·les de la COP, l’annonce de la création du Fonds mondial pour la conservation des forêts tropicales a été vivement critiquée. «La privatisation et la mercantilisation des biens communs sont totalement contraires à la justice climatique», souligne Thuane Nascimento, cofondatrice de l’Observatoire des périphéries. «Le Nord refuse d’accepter qu’il existe une dette climatique à notre égard. Elles et ils font des promesses avec une main et prennent nos ressources de l’autre. C’est du colonialisme vert», renchérit Rachitaa Gupta.

Vers midi, la foule se disperse peu à peu à l’Aldeia Cabana, lieu des défilés des écoles de samba de Belém. Cet espace n’a pas été choisi au hasard : il rend hommage à la révolte de la Cabanagem, insurrection populaire qui a marqué la région entre 1835 et 1840, durant l’Empire brésilien. Un hommage au passé et à la force de lutte des peuples amazoniens, mais aussi une incitation à continuer de résister.

Les militant·es sont accueilli·es par des floppées de policier·es militaires, placé·es stratégiquement pour les empêcher de s’approcher du centre névralgique des négociations officielles, à deux kilomètres de là. La semaine précédente, des peuples autochtones y avaient pénétré à plusieurs reprises pour revendiquer leurs droits.

Une synthèse remise aux autorités

Dimanche, devant une forêt de drapeaux et de banderoles, la synthèse de quatre pages qui résume le travail du sommet des peuples a été officiellement remise à une brochette de représentant·es brésilien·nes, sorti·es quelques heures de la blue zone (réservée aux négociations sur le climat) pour écouter les demandes populaires.

Les militant·es dénoncent une militarisation de la COP30, avec une présence accrue de policier·es militaires pour contrôler les mobilisations populaires. © Anaïs Richard/Vert

Le ministre-secrétaire général de la présidence, Guilherme Boulos, a promis une consultation des peuples autochtones du Tapajós avant tout projet de mégastructure sur la rivière du même nom. Une première victoire pour le contre-sommet. La ministre de l’environnement Marina Silva a quant à elle lu une lettre du président Lula destinée au parterre de militant·es. «La COP ne serait pas viable sans votre participation», y affirme le dirigeant, qui se rendra à Belém mercredi.

Après un appel lancé par le cacique Raoni, militant infatigable de la lutte climatique, le président de la COP30 André Corrêa do Lago s’est engagé à remettre le document – rédigé à plusieurs milliers de mains – aux négociateur·ices du Parque da Cidade. C’est là que se tiennent les négociations et là où lobbies et gouvernements tractent depuis une semaine.

«Nous ne pouvons pas nous substituer aux États, mais le processus de la COP doit changer, en institutionnalisant la présence d’un pourcentage bien plus élevé de membres de la société civile», souligne Darci Frigo, fondateur de Terra de Direitos et membre de la commission politique du sommet des peuples.

Certain·es représentant·es seront présent·es dans l’espace officiel de la conférence toute la deuxième semaine de discussions, avec l’objectif de faire entendre haut et fort les propositions d’un avenir meilleur formulées par les mouvements populaires du monde entier. Ils et elles entendent incarner l’«union dans la diversité».

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