En plein cœur de Belém (Brésil), un village autochtone géant prend vie, à quelques encablures des discussions du 30ème sommet mondial (COP30) sur le climat, qui s’est ouvert lundi. Peintures et plumes jaunes et vertes se mêlent dans un cocktail géométrique. Les tambours et flûtes en bois font vibrer l’air humide, vestige de pluies torrentielles typiques de la capitale du Pará.
Ce mardi 11 novembre au soir, tous les regards sont tournés vers la «scène ancestrale», où Sônia Guajajara, ministre brésilienne des peuples autochtones, s’adresse à la foule. «Une COP en Amazonie ne pouvait pas avoir un autre visage que celui des peuples autochtones. Il n’y aura pas de solution sans notre présence», scande-t-elle, aux côtés de la ministre de l’environnement, Marina Silva, et du cacique Raoni.
La militante s’exprime depuis les locaux de l’École d’application de l’université fédérale du Pará (UFPA), métamorphosée en «Aldeia COP» (Aldeia est le nom donné aux villages autochtones du Brésil) à l’occasion du sommet mondial qui se déroule jusqu’au 21 novembre. Une initiative portée par le ministère des peuples autochtones, créé sous le gouvernement Lula en 2023. L’espace est méconnaissable : d’immenses tentes et installations en bois ont fait leur apparition, prêtes à accueillir des milliers de représentant·es venu·es des quatre coins du Brésil.
«Nous sommes les seuls véritables défenseurs de la forêt»
Les conférences s’enchaînent dans un grand dôme blanc, métissage osé entre architecture ancestrale et futuriste. Au programme de cette première journée : des tables rondes sur le rôle des autochtones dans la gouvernance globale, le financement climatique ou encore l’importance de créer des banques de données sur la biodiversité dans les territoires autochtones. «Nous sommes les seuls véritables défenseurs de la forêt. Nous sommes ici pour revendiquer ce rôle, alors que le monde discute du climat», s’exclame Juventino Pesierima Kaxuyana, du peuple Kaxuyana. Le cliquetis des bracelets de graines à ses chevilles accompagne chacun de ses mouvements. «Nous sommes tous unis autour d’un souhait commun, celui de la protection de notre planète», poursuit l’autochtone de 63 ans, dont c’est la première COP.

Le long des passerelles en bois, les stands se transforment en vitrines de la pluralité des peuples du Brésil. À quelques mètres de là, l’Articulation nationale des femmes autochtones guerrières de l’ancestralité a pris ses quartiers dans un bâtiment triangulaire au toit de paille, inspiré d’habitations traditionnelles. De l’encens fume dans chaque recoin, enveloppant une membre du collectif qui prodigue un massage sur une paillasse de feuilles de palmier. «Nous sommes là pour montrer l’importance des femmes autochtones, qui sont parfois invisibilisées alors qu’elles sont en première ligne de la lutte, explique Sandy Yusuro, 20 ans, du peuple Sateré Mawé, représentante de l’association. Nous serons à la fois au micro et dans le public, pour écouter d’autres narratifs et nous inspirer mutuellement.»
«Lula, démarque nos terres !»
Si chacun·e entend défendre les intérêts de la planète dans son ensemble, les autochtones interrogé·es affirment d’une seule voix que la priorité nationale doit être mise sur la démarcation de leurs terres. «Nous n’avons pas besoin d’aide pour les préserver, nous le faisons depuis des milliers d’années, mais nous avons besoin de reconnaissance administrative», développe Juventino Pesierima Kaxuyana.
Son territoire est situé à Oriximiná, dans le nord de l’État du Pará, et n’est toujours pas homologué par l’État. Après la délimitation par la Fondation nationale des peuples autochtones, puis la reconnaissance par le ministère de la justice, cette étape achève officiellement le processus légal de reconnaissance. Elle incombe au président.
Selon l’Articulation des peuples autochtones du Brésil, 70 territoires sont actuellement à ce stade et n’attendent plus que la signature de Luiz Inácio Lula da Silva. Un peu plus loin, Leuciane Rodrigues arbore un t-shirt estampillé «Lula, homologue [le territoire] Kaxuyana Tunayana». «La terre de mon peuple est reconnue, mais pas la leur ; nous souhaitons leur apporter notre soutien», explique la jeune femme de 33 ans, dans un portugais balbutiant. Arrivée il y a une semaine après un périple en bateau de deux jours, elle est logée sur place, comme 3 000 autochtones.

Si l’espace de l’UFPA a été pensé comme un remède à la spéculation immobilière qui a ébranlé les préparatifs du sommet mondial, ses infrastructures ne sont pas tout à fait prêtes en cette semaine d’ouverture officielle. Un groupe d’autochtones Kayapó, le regard fatigué, estime que les travaux ont été bâclés. «Cela fait deux ans qu’ils préparent la COP et on ne sait pas où dormir. Les files d’attente pour aller aux toilettes sont interminables ; nous nous demandons où sont passées les sommes astronomiques dont la ville a bénéficié», s’indigne Takakpie Kayapó, 55 ans, porte-parole de son peuple.
La petite troupe s’est installée sur des matelas encore emballés dans du plastique, entassés sur le sol d’une salle initialement destinée aux réunions des représentant·es du ministère des peuples autochtones, qui manquent à l’appel. «Nous avons pris possession des lieux, mais nous devons changer d’endroit bientôt, apparemment», souffle-t-il avant de rassembler ses affaires.
Des diplomates autochtones en première ligne
Pour les peuples originels brésiliens, la résilience n’est pas un choix, c’est une nécessité. «Nous avons conquis de nombreuses victoires à travers la lutte, au prix de notre sueur et de notre sang ; rien ne nous est jamais acquis», rappelle Juventino Pesierima. Les prédictions sur l’issue de la COP sont teintées d’un optimisme modéré.

Les participant·es savent qu’avec le gouvernement Lula, les paroles ne sont pas toujours suivies d’actes. Pour donner de l’écho à leurs revendications lors de la conférence officielle, elles et ils pourront compter sur 900 autochtones accrédité·es à la blue zone, antre des négociations située quelques kilomètres plus loin. Dans le hangar climatisé du Parque da Cidade, où se déroule la COP30, des dizaines de coiffes dépassent au milieu de la marée de costumes-cravate.
«Notre importance est historique», souligne Vitor Moconan, du peuple Xokleng, dont le «cocar» rouge et noir qu’il arbore sur la tête est assorti à la chemise fraîchement repassée. À 21 ans à peine, le jeune activiste environnemental et LGBT+ se prépare depuis deux ans à participer à l’événement. Il est l’un des 30 participant·es du programme Kuntari Katu, initiative conjointe des ministères des relations extérieures et des peuples autochtones, destinée à les former à la diplomatie.
Le projet doit son nom aux langues Nheengatu et Tupi et signifie «Celui ou celle qui parle bien». «Nous avons aujourd’hui des diplomates autochtones brésiliennes et brésiliens capables de débattre sur tous les biomes [un biome est un écosystème régional soumis à un climat particulier, le Brésil en compte six, NDLR] du pays», se réjouit Adi Kayany, camarade de promotion de Vitor. «Nous espérons que cela portera ses fruits, non seulement pour nos territoires mais aussi pour la planète entière», ambitionne-t-elle, rassemblant ses cheveux derrière des boucles d’oreille faites de plumes colorées. Les voix autochtones résonneront pendant la COP30, reste à savoir si elles seront enfin entendues.
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