Décryptage

Municipales 2026 : à Besançon, la maire écolo et son projet d’«écoquartier» face aux foudres des oppositions locales

Jardins dédaignent. Élue en 2020, la maire Anne Vignot (Les Écologistes) a relancé un ancien projet d'«écoquartier» dans la zone des Vaîtes, au nord-est de la capitale comtoise, pour répondre à la demande croissante de logements. Sur le terrain, les associations déplorent des travaux qui menacent des jardins populaires uniques, leurs occupant·es ainsi que plusieurs espèces sauvages.
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«Les Vaîtes, c’est un paradis ! C’est mon poumon !» En cet après-midi d’automne, Pierre Sergent ne tarit pas d’éloges pour décrire son quartier de toujours, situé au nord-est de Besançon (Doubs). Le septuagénaire montre du doigt les grandes étendues de bosquets, de champs et de petits cours d’eau entrecoupés d’une multitude de potagers et d’habitations éparses. Une véritable mosaïque qui fait toute l’originalité des Vaîtes, cet espace vert de 34 hectares logé au sein même de la capitale comtoise.

René Marchal et Pierre Sergent sont jardiniers aux Vaîtes depuis des années et opposés au projet d’«écoquartier» porté par la Ville. © Esteban Grépinet/Vert

Professeur d’allemand à la retraite, Pierre Sergent s’est installé il y a 20 ans sur un carré de jardin, sans que personne ne vienne le lui contester. Brouette à la main, il apporte une énorme courge orange à son ami René Marchal, 79 ans : «Ici, c’est familial, c’est la réunion des copains !», sourit ce dernier sous sa large moustache blanche. Lui aussi cultive courgettes, haricots et autres pommes de terre depuis un demi-siècle dans le quartier des Vaîtes (sans être propriétaire du terrain), de quoi compléter aujourd’hui sa petite retraite d’ancien agent des espaces verts.

Comme les dizaines d’autres jardinier·es installé·es ici en totale autogestion, leurs habitudes risquent d’être bouleversées par un projet d’«écoquartier» porté par la Ville de Besançon : 600 logements et une nouvelle école doivent sortir de terre à partir de 2026. Sous le feu des critiques depuis des années, ces constructions étaient l’un des dossiers chauds de la nouvelle maire écologiste, Anne Vignot, élue en 2020… et risquent de refaire parler lors de la campagne pour les prochaines élections municipales de mars 2026.

Une longue histoire de luttes, d’expropriations et de procès

Quand René Marchal arrive en 1968 dans cette zone maraichère historique de Besançon, il est déjà question de plusieurs milliers de logements et même d’une autoroute urbaine. Le projet ne se concrétise qu’en 2005, alors que la plupart des maraîcher·es professionnel·les ont quitté les lieux : le maire socialiste de l’époque, Jean-Louis Fousseret, lance un premier projet de construction de plus de mille logements.

Aussitôt, une association d’habitant·es du quartier se constitue : «Notre premier combat était d’empêcher la bétonisation du quartier», se souvient son président, Éric Daclin, qui réside toujours aux Vaîtes. Participation massive aux réunions publiques, interpellation du maire, draps rouges aux fenêtres, procès : au fil du temps, propriétaires et locataires s’organisent pour dénoncer les constructions qui leur sont imposées et négocier les prix de rachat des terres.

La contestation du projet des Vaîtes remonte au début des années 2000. © Association Les Vaîtes

Le temps passe, le projet avance au ralenti. Les expropriations et les démolitions se succèdent, le tramway s’installe pour relier le quartier au centre-ville. Des riverain·es profitent des terrains laissés en jachère pour planter de petits potagers et entretenir les lieux, aux côtés des jardinier·es historiques. Des liens forts se tissent avec le monde associatif et militant de Besançon, notamment en 2016 lors du mouvement social Nuit debout, qui occupe la zone pendant plusieurs semaines.

«On refuse toujours aux classes populaires le droit de s’enraciner sur le long terme.»

Une deuxième association voit le jour deux ans plus tard pour défendre cette fois les jardinier·es des Vaîtes. Au «droit de propriété» défendu par la mairie, elle oppose un «droit d’usage» des jardins : «Nous défendons une possibilité populaire de vie et d’appropriation sur cet espace, avec des usages entremêlés qui font aussi que ce lieu est si riche en biodiversité», cingle Claire Arnoux, co-présidente de l’association des Jardins des Vaîtes (et candidate de La France insoumise aux élections municipales de 2020).

Claire Arnoux et Marie Parreaux, co-présidentes de l’association des Jardins des Vaîtes. © Esteban Grépinet/Vert

Malgré une opposition qui ne faiblit pas, les premiers travaux de construction démarrent en janvier 2019. «Tous les jours, on voyait les camions de terre, les haies arrachées… Ça m’a rendu malade», se rappelle Marie Parreaux, l’autre co-présidente des Jardins des Vaîtes. Rapidement, le projet capote.

Dès le 6 mai 2019, le tribunal administratif de Besançon suspend en référé la dérogation espèces protégées délivrée par le préfet – et donc les travaux en cours. La justice confirme sa décision sur le fond en 2023. Dans la foulée, les opposant·es tentent un nouveau recours pour obtenir l’abrogation du projet d’urbanisme et le reclassement de la zone des Vaîtes en «terres agricoles». Cette fois, la procédure est rejetée.

Projet «revisité», «Giec» local et consultation citoyenne

Aujourd’hui, quand on s’aventure sur les chemins buissonnants des Vaîtes, les cicatrices des luttes passées sont partout. Là, un large chemin de gravier et un fossé boueux, stigmates des premiers travaux interrompus. Ici, les bases d’une ancienne tour en bois, vestige de la toute première manifestation nationale des Soulèvements de la Terre, en 2021, contre l’artificialisation des Vaîtes. Non loin de là, un grand dessin d’alyte accoucheur, ce rare crapaud menacé par le projet et érigé en emblème de la lutte : «C’est le seul amphibien dont le mâle porte les œufs, c’est aussi un symbole féministe», sourient Claire Arnoux et Marie Parreaux.

Le tramway traverse le quartier depuis 2014. © Esteban Grépinet/Vert

Et, partout, les affiches jaunies et les messages au pochoir contre la «bétonisation». Pour les opposant·es, le combat est loin d’être terminé. Élue aux élections municipales de 2020 après des décennies de domination socialiste, la maire écologiste Anne Vignot a toujours promis un nouveau projet «revisité» aux Vaîtes, «avec une prise en compte plus exigeante des enjeux environnementaux». Dès 2021, elle lance un Groupe d’étude de l’environnement et du climat (le Geec, une sorte de «Giec» local) composé de scientifiques, qui rend un rapport tout en nuances sur les enjeux écologiques et économiques soulevés par le projet.

Une grande «conférence citoyenne» – composée de 51 habitant·es tiré·es au sort et largement inspirée de la convention citoyenne sur le climat – adopte ensuite deux propositions pour l’avenir des Vaîtes : l’une avec un «habitat limité» (43,9%), l’autre sans construction (36,6%). Sur ces bases, la majorité d’Anne Vignot (écologistes, socialistes et communistes) adopte en septembre 2021 l’«Acte 2» des Vaîtes : le nombre de logements (600) est divisé par deux par rapport au précédent projet qui en comptait plus d’un millier.

À gauche, le projet initial de plus d’un millier de logements. À droite, le projet «revisité» de 600 logements, inspiré des propositions de la conférence citoyenne. © Ville de Besançon

Bâtiments en matériaux recyclés ou biosourcés, énergies renouvelables, végétalisation… Le nouveau quartier, qui doit sortir de terre à partir de 2028, se veut «exemplaire et préfigurateur de la ville écologique voulue et réalisée par la municipalité». Cette dernière promet de «maintenir l’activité productive maraichère» ou encore de «sanctuariser et partager la nature urbaine». Des paroles qui font bondir Claire Arnoux, qui dénonce un «mépris social de l’existant» : «Quand on gagne la bataille de la légitimité, il faut qu’ils reprennent le contrôle en se réappropriant nos mots et tout ce que nous avons créé.»

«J’ai appris à ne plus avoir aucune confiance en la mairie ces 20 dernières années, abonde Éric Daclin, de la première association des Vaîtes. Notre crainte, c’est que ce projet de 600 logements soit juste une étape, et que dans dix ans on revienne au projet de plus de mille logements.» Conseiller municipal en charge de l’urbanisme à Besançon, Aurélien Laroppe rappelle son engagement à reclasser une partie des Vaîtes en zones naturelles : «Pendant 15 ans, il sera impossible de construire dessus, il n’y a pas d’acte plus fort.» Mais quand on lui fait remarquer que des constructions sont toujours prévues sur la zone nord, que les scientifiques appellent à laisser vierge, ce dernier bote en touche : «Nous avons repris les plans de la conférence citoyenne, qui n’a pas suivi toutes les recommandations du Geec.»

«La meilleure solution d’un point de vue social et environnemental»

Fin connaisseur du dossier, Aurélien Laroppe invite à prendre du recul pour mesurer le défi de l’étalement urbain en périphérie des grandes villes : «Le choix des Vaîtes me semble beaucoup plus pertinent que d’aller construire des maisons individuelles sur des communes qui n’ont pas de transport en commun.» Immeubles collectifs, présence du tramway, de commerces de proximité… «À l’heure actuelle c’est la meilleure solution d’un point de vue social et environnemental», ajoute l’élu, qui reconnaît que construire aux Vaîtes a «bien sûr» un impact.

«Nous sommes dans un territoire en tension, avec entre 6 500 et 8 000 demandes de logements sociaux en attente en fonction des mois», alerte auprès de Vert la maire, Anne Vignot. Quand les opposant·es appellent à s’occuper d’abord des logements vacants, la ville affirme avoir épuisé toutes les alternatives : réhabilitation d’anciens sites industriels et commerciaux, ou même de l’ancien jardin botanique«Tous les terrains sont travaillés, mais malheureusement nous ne sommes pas capables de répondre au besoin global de l’agglomération, il faut faire des choix», défend Aurélien Laroppe.

Des dizaines de petits potagers – avec ou sans barrière – ont fleuri aux Vaîtes ces deux dernières décennies. © Esteban Grépinet/Vert

Du côté des jardinier·es, l’avenir est en suspens. «La ville nous a dit que nous avons le potager jusqu’à fin 2026», souffle Maurice, 87 ans, pour qui ce petit bout de terre est une «échappatoire». «Nous les avons déjà bien fait reculer entre le premier et le deuxième projet, salue Claire Arnoux. Maintenant, le sujet, c’est qu’ils veulent encore bétonner cinq hectares.» Lors de la dernière consultation publique, 140 avis négatifs ont été déposés (contre deux favorables), parmi lesquels ceux des branches locales du syndicat agricole Confédération paysanne et des associations France Nature Environnement ou Alternatiba.

«Le jour où la mairie va raser pour mettre des plantations, des toboggans, une école, ça va être joli !»

«Ces jardins illustrent une forme de démocratie écologique qui montre une participation réelle, qui n’est pas forcément celle des cadres institutionnels», observe Victoria Sachsé, chercheuse en géographie aux universités de Lille et Strasbourg, qui s’est rendue sur les Vaîtes en mai pour les Assises nationales des jardins populaires en lutte. Refuge de biodiversité (salamandres, papillons, chauves-souris…), zone humide et îlot de fraîcheur indéniables : le quartier des Vaîtes contribue aussi à une production alimentaire biologique et locale.

Une paysanne maraîchère est installée aux Vaîtes depuis 2016. © Esteban Grépinet/Vert

Dans sa partie nord – la plus riche en biodiversité –, les Vaîtes accueillent aussi des personnes sans domicile fixe, qui vivent dans des caravanes ou de petits cabanons. Dans son van bleu, Jean vante la beauté du petit bosquet de saules où il s’est installé en février : «Les arbres captent le CO2 et apportent de la fraîcheur, et ils veulent les détruire», déplore-t-il. Mais les goûts des uns sont aussi les dégoûts des autres : «Quand tu vois tout le plastique et les bouteilles dans les jardins, c’est moche», dénonce Igor, qui vient souvent dans le quartier promener son chien. Ce dernier, qui n’hésite pas à parler du «bidonville de Besançon», est favorable au projet urbain : «Le jour où la mairie va raser pour mettre des plantations, des toboggans, une école, ça va être joli !»

Nouvelle bataille en vue des municipales ?

Candidate à sa réélection, la maire Anne Vignot assume vouloir mener à bien le projet. «Je suis une élue qui n’a pas l’intention de considérer la ville comme on la regarde aujourd’hui, martèle-t-elle. L’écologie est là : comment construire une ville pour qu’elle puisse être adaptée dans 10, 20, 40 ans ?» Sa majorité pourra s’appuyer sur un bilan fourni en matière d’écologie : rénovation des bâtiments scolaires, réduction de la place de la voiture au profit des mobilités douces, plantation d’arbres adaptés au changement climatique

Des avancées saluées par Séverine Véziès, figure montante de La France insoumise et candidate aux prochaines municipales. Cette dernière estime cependant que Les Écologistes ne font pas assez «le lien avec la question sociale», et promet par exemple la gratuité des transports en commun. Sur les Vaîtes, elle n’est «pas favorable à des constructions de logements sur des zones qui ne sont pas artificialisées» et promet de «remettre en état ce qui a été détruit».

Soutien historique des opposant·es à l’«écoquartier», la droite bisontine défend elle aussi ce «grand poumon vert en plein cœur de ville» : «Il nous faut pouvoir le protéger, sans pour autant négliger le fait qu’il faille construire de l’habitat sur le territoire bisontin», défend Ludovic Fagaut, candidat déclaré des Républicains. Pour les municipales, ce dernier veut faire des Vaîtes la «cité du développement durable» et défend un projet de 300 logements en «habitat raisonné», avec de petites habitations mitoyennes d’un étage. «Le mot “raisonné” ne veut rien dire», rétorque Anne Vignot, qui dénonce «des chiffres qui ne répondent pas à l’urgence» en matière de logement, de climat ou de biodiversité.

Pierre Sergent tient un potager depuis 20 ans aux Vaîtes, et il espère le garder le plus longtemps possible. © Esteban Grépinet/Vert

Dans les jardins des Vaîtes, ces batailles de mots semblent loin : «L’écoquartier, il existe déjà ici ! On parle d’écologie, mais on fout du béton partout !», déplore Pierre Sergent, le jardinier à la courge. Comme nombre de ses voisin·es des Vaîtes, il compte bien cultiver cette terre le plus longtemps possible et s’interroge sur les prochaines élections. En 2020, Anne Vignot avait devancé Ludovic Fagaut de quelques centaines de voix – dont celle, justement, de Pierre Sergent. En 2026, ce dernier ne revotera pas pour la liste écologiste : toucher aux Vaîtes, c’est pour lui «la ligne de démarcation à ne pas franchir».

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