Les pans du massif des Corbières apparaissent au loin, carbonisés, les végétations sont grises et les raisins ont commencé à flétrir… «Il suffit de regarder autour de soi pour prendre la mesure du drame qu’est ce mégafeu, le plus gros incendie connu par la région sud depuis cinquante ans», observe, solennelle, Annie Genevard. Ce jeudi 14 août, la ministre de l’Agriculture vient découvrir les dégâts à Saint-Laurent-de-la-Cabrerisse (Aude), sous une chaleur plombante de 37°C.
Et le constat saute aux yeux : «La récolte sur des vignes comme celle-ci sera impropre, explique Ludovic Roux, président de la Chambre d’agriculture de l’Aude, au cœur du domaine viticole du Château de Saint-Eutrope. Il n’y a plus de feuilles…» Le responsable guide Annie Genevard sur cette parcelle incendiée d’une quarantaine d’hectares, quatre jours après la fixation de l’incendie hors-norme, amorcé le 5 août dernier à Ribaute, à une quinzaine de kilomètres d’ici.
À leurs côtés se trouve Olivier Verdale, le vigneron à la tête de ce vignoble. Cet Audois de 62 ans résume simplement sa souffrance : «J’ai perdu 41 de mes 41 hectares…» Le professionnel peine encore à réaliser le drame vécu par son département : «Dans le territoire, 16 000 hectares ont brûlé en un seul feu. Comment se l’imaginer ? On n’a jamais connu quelque chose de pareil. On voit clairement l’effet du dérèglement climatique sur cet incendie.»
«Faire de l’Aude un territoire-laboratoire du réchauffement climatique»
Alors, dans ce «temps de l’urgence», la ministre de l’Agriculture est venue avec une poignée de mesures censées répondre à la situation immédiate dans l’Aude, «balafrée par l’incendie». Annie Genevard annonce l’ouverture d’un fonds d’urgence à hauteur de huit millions d’euros, visant à indemniser notamment les pertes de récoltes. Elle évoque aussi un «dispositif fiscal pour exonérer de la taxe foncière» les professionnel·les impacté·es. Enfin, une «avance jusqu’à 10 000 €» est proposée aux producteur·ices en situation de détresse immédiate.
Mais, dès à présent, les regards se tournent vers l’avenir, car les impacts du dérèglement climatique vont encore s’accentuer au fil des années. Annie Genevard commence à esquisser le «temps de la reconstruction». La ministre de l’Agriculture promet de revenir dans ce département meurtri d’ici à la fin de l’année afin de contribuer à «faire de l’Aude un territoire-laboratoire du réchauffement climatique». En introduction de sa séance de travail avec les représentant·es de la filière, elle invitait chacun·e à penser «un avenir résilient et durable de l’agriculture audoise».
Également présente, Carole Delga, présidente de la Région, appuie : «J’en appelle à une Occitanie résiliente. L’Aude et les Pyrénées-Orientales sont les deux départements les plus touchés en France, même si tout l’arc méditerranéen, et au-delà, est concerné. C’est pourquoi je demande depuis trois ans au président de la République que notre région soit un territoire expérimental pour l’accès à l’eau.» La responsable locale et la ministre de l’Agriculture souhaitent toutes deux une simplification de l’administration liée à l’irrigation.
Grenadiers, pistachiers et aloe vera
Les professionnel·les de la viticulture se sont déjà emparé·es de la question de l’adaptation. Olivier Verdale, vigneron à la tête du Château de Saint-Eutrope, défend ainsi «le réaménagement du territoire». Car le sujet de la déprise agricole devient majeur à l’ère des mégafeux. La restauration de terrains agricoles et d’élevage fait partie des pistes pour réduire les risques d’incendie et entretenir les paysages. Même s’il a beaucoup souffert ici, le vignoble, grâce à sa sève, joue un rôle de coupe-feu essentiel.
Autre solution : remettre de la polyculture. C’est l’avis d’Anaël Payrou, directeur de la cave coopérative du Cellier des demoiselles, dont 80% des 300 hectares sont perdus : «Avec la vigne, nous avons été dans la monoculture pendant pratiquement soixante ans. Il faut revenir de cela, en implémentant par exemple du maraîchage, et toujours dans l’optique du circuit-court.»
Aussi prégnant, le problème d’approvisionnement en eau est loin d’être résolu. Le professionnel envisage «une seconde optique, avec des plantes qui peuvent s’adapter à un climat semi-aride, comme l’aloe vera et la pistache». Dans son territoire, des coopérateur·ices ont déjà planté des grenadiers et des pistachiers. Mais, pour rendre cette adaptation envisageable et pérenne, il faudra répondre à une autre difficulté. «Nous n’avons pas les entreprises de transformation. Si on a des pistachiers, il faut aussi des gens pour griller, saler et commercialiser les pistaches. Et pour l’instant, on ne les a pas.» Au-delà de la viticulture, l’ensemble de l’agriculture, dans l’Aude comme sur le pourtour méditerranéen, est ainsi appelée à se modifier en profondeur pour contrer les mégafeux et la sécheresse. Et tout cela doit être fait avec un risque toujours plus grand d’incendie. Dans un climat de vigilance extrême de canicule, les cerveaux n’ont pas fini de surchauffer.
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