Moins spectaculaires que les déluges en tout genre, les vagues de chaleur sont pourtant les catastrophes climatiques les plus meurtrières. Quatre des dix événements les plus dramatiques répertoriés dans le monde entre 2004 et 2024 par le World weather attribution (WWA) sont des vagues de chaleur. Dont celles qui se sont abattues sur l’Europe lors des étés 2022 (53 542 morts) et 2023 (37 129 morts). En France métropolitaine aussi, «les canicules sont les évènements climatiques extrêmes au fardeau humain le plus élevé», rappelle Santé publique France, qui a comptabilisé quelque 41 700 décès attribuables à la chaleur entre 2014 et 2024. À compter de ce jeudi, la France pourrait connaître sa 51ème vague de chaleur depuis 1947.
«Tous les bâtiments étudiés seront inadaptés»
Pourtant, alors que la protection des populations est une question de santé publique, le bâti français se révèle inadapté aux vagues de chaleur toujours plus fréquentes, plus intenses et plus longues. Selon la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé Pierre), un logement sur trois est une «bouilloire thermique» : les températures y sont insupportables l’été.
Dans une récente étude menée sur différents types de bâtiments à Nîmes (Gard) et à Paris, l’Agence de la transition écologique (Ademe) révèle que «tous les bâtiments étudiés, récents ou anciens, seront inadaptés au changement climatique» qui va s’aggraver. Plus précisément, l’étude «a démontré que, jusqu’à 2050, des mesures d’adaptation (isolation, protections solaires, ventilation, etc.) peuvent assurer un confort satisfaisant pour les climats projetés les moins critiques, retardant le besoin de climatisation. Cependant, à partir de 2050, les évolutions climatiques projetées sont telles que l’action sur l’enveloppe [toits et murs, NDLR] sera insuffisante pour tous les bâtiments étudiés.»
«Généraliser la climatisation individuelle serait un désastre»
«Le refroidissement de tous les bâtiments deviendra vite indispensable. Il faut sortir du déni, on n’y échappera pas», confirme à Vert Yamina Saheb, ingénieure en bâtiment, docteure en énergie et co-autrice du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Pour autant, «généraliser la climatisation individuelle serait un désastre», prévient-elle.
De nombreuses études citées par le groupe 3 du Giec (sur l’atténuation du changement climatique) confirment que «l’air conditionné peut réduire les risques au niveau individuel, mais est inadapté au niveau sociétal». La raison : «sa forte consommation d’énergie et des rejets de chaleur à l’extérieur, problématique en particulier dans les villes denses».
Sans compter les émissions de gaz à effet de serres associées, qui aggravent encore plus le changement climatique. En France, où 25% des ménages et 40% des surfaces du tertiaire en sont équipés, la climatisation a représenté environ 5% des émissions totales du pays en 2020, selon l’Ademe. Un impact majoritairement lié aux fluides frigorigènes utilisés dans les appareils, dont le pouvoir réchauffant est plusieurs centaines, voire milliers de fois supérieur à celui du CO2.
La clim, un truc de riche ?
En France, 25% des ménages sont équipés d’une climatisation, mais ce taux moyen masque de fortes disparités, rappelle l’Ademe : les habitant·es de maisons individuelles sont 31% à posséder un équipement de climatisation, contre 20% en logement collectif. Et les occupant·es d’appartements utilisent plus souvent des climatiseurs mobiles, nettement moins performants que les autres catégories de climatiseurs. Enfin, 37% des professions libérales, cadres et professions intellectuelles supérieures sont équipées contre seulement 19% des ménages dont la personne de référence est sans emploi ou inactive.
D’abord les solutions «passives»
Pour adapter nos bâtiments au réchauffement climatique, Yamina Saheb rappelle que des solutions dites «passives» (qui ne consomment pas d’énergie) sont amplement mises en avant dans les écrits du Giec.
La renaturation en est une : dans des villes où la climatisation est généralisée, «les maisons ombragées par des arbres en ont une consommation jusqu’à 30% inférieure», pointe une étude citée par le Giec. Grâce à leur ombrage et à l’évapotranspiration, les arbres peuvent faire baisser de six à dix degrés la température environnante. Idem pour les plans d’eau qui captent la chaleur en s’évaporant.
L’adaptation des bâtiments existants en est une autre : outre l’isolation thermique et l’installation systématique de protections solaires (volets, stores, etc.), «les toits végétalisés réduisent significativement la température à la surface des bâtiments», cite le Giec. «Peindre les toits en blanc [pour renvoyer une partie du rayonnement solaire et donc de la chaleur, NDLR] a un impact similaire, sauf qu’ils peuvent rapidement devenir gris avec la poussière et la pollution, perdant ainsi leur efficacité», pointe le rapport.
Des solutions actives, mais performantes
«Ces mesures passives sont indispensables, mais elles ne suffiront pas toujours à abaisser la température à l’intérieur des logements à un niveau confortable pour le corps humain», prévient Yamina Saheb. Elle souligne toutefois qu’il existe des systèmes bien moins problématiques que la climatisation, à l’instar des brasseurs d’air (plafonniers) qui améliorent sensiblement le ressenti des occupant·es pour une consommation d’énergie dérisoire.
L’Ademe liste d’autres systèmes à haute efficacité énergétique et/ou utilisant au maximum les énergies renouvelables : les puits climatiques (puiser l’air froid dans le sol), le rafraîchissement adiabatique (utiliser l’évaporation d’eau pour abaisser la température de l’air ambiant) ou encore les réseaux de froid collectifs (puiser l’eau froide dans un cours d’eau).
Pas n’importe quelle clim
Dans les cas où la climatisation s’impose, l’Ademe invite à la méfiance : «Le risque à se précipiter pour acheter du matériel au moment d’une canicule est d’acquérir un produit peu fiable, peu efficace, gourmand en énergie, qui coûtera cher à l’usage et contribuera à l’effet d’îlot de chaleur urbain.»
Elle alerte notamment sur les climatiseurs mobiles (monoblocs), peu coûteux à l’achat, mais peu puissants, bruyants et très énergivores. «Ces derniers, même bien classés, sont moins performants que des appareils fixes mal notés», souligne l’agence.
Autre point de vigilance, l’étiquette énergie qui permet d’identifier les appareils les plus performants : «La classe A est la moins performante autorisée sur le marché actuellement pour les climatiseurs mobiles. Ce qui induit un biais cognitif, car on pourrait penser a priori qu’un produit classé A possède un bon rendement énergétique.» C’est donc vers un produit classé A+++ qu’il faut se tourner en priorité.
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