Le vert du faux

Quand on ne peut pas faire les deux, est-il préférable de manger bio ou local ?

Labels affaire. À côté du label bio, présent en France depuis les années 1980, les appellations, certifications et mentions se sont multipliées pour rendre plus attractifs les produits alimentaires. Comment s’y retrouver ? On fait le point dans ce nouvel épisode du Vert du faux.
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Avec un peu moins de trois mil­lions d’hectares cul­tivés en bio en 2021, c’est-à-dire 10% de sa sur­face agri­cole, la France était leader du secteur au niveau européen devant l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. À côté des pro­duits estampil­lés bio, une mul­ti­plic­ité d’indications sont apparues, à l’image de la cer­ti­fi­ca­tion «haute valeur envi­ron­nemen­tale» ou de la men­tion «local».

Que recou­vrent ces dif­férents ter­mes ? Le com­pren­dre est essen­tiel pour savoir ce que l’on met dans son assi­ette.

Le bio, un label public strictement contrôlé

Le label bio évolue dans un cadre lég­is­latif claire­ment défi­ni, au niveau français comme européen. En France, le pre­mier cahi­er des charges de la bio date de 1985, de même que le label AB (agri­cul­ture biologique) fig­u­rant sur les pro­duits de la fil­ière. Au niveau européen, ce mode de pro­duc­tion alter­natif à l’agriculture dite con­ven­tion­nelle, qui domine depuis la sec­onde moitié du 20ème siè­cle, est recon­nu au début des années 1990. Le label Euro­feuille devient oblig­a­toire au sein de l’Union européenne à par­tir de 2010.

© L’Agence bio

Le cahi­er des charges pour pro­duire en bio implique la rota­tion des cul­tures, l’interdiction d’u­tilis­er des pro­duits phy­tosan­i­taires, des engrais de syn­thèse ou des OGM ; les ani­maux d’élevage doivent recevoir de la nour­ri­t­ure bio, un nom­bre lim­ité de traite­ments vétéri­naires et ne pas être élevés hors sol. Pour garan­tir ces pra­tiques agri­coles respectueuses du bien-être ani­mal, de la bio­di­ver­sité et du cli­mat, des organ­ismes cer­tifi­ca­teurs effectuent des con­trôles.

En résumé : lorsque vous voyez le label AB sur vos paque­ts de gâteaux, cela sig­ni­fie que le cahi­er des charges a bien été respec­té. Le blé qui aura poussé pour éla­bor­er la farine de vos bis­cuits est garan­ti sans pes­ti­cides.

La proximité, ce critère à géométrie variable

Vous l’aurez sans doute remar­qué : le cahi­er des charges bio ne com­prend pas d’indication géo­graphique qui com­man­derait de pro­duire «à prox­im­ité». On pour­rait alors penser que la men­tion «pro­duit locale­ment», que l’on voit fleurir depuis 2020 et le pre­mier con­fine­ment, répond à cette préoc­cu­pa­tion d’être au plus près des con­som­ma­teurs. En fait, pas vrai­ment !

«Pour la bio et d’autres appel­la­tions, comme les appel­la­tions d’o­rig­ine pro­tégée (AOP) ou con­trôlées (AOC), le critère cen­tral de qual­ité de la pro­duc­tion est défi­ni de manière stricte et règle­men­taire, explique le soci­o­logue Jean-Bap­tiste Paran­thoën, auteur de l’ouvrage Les cir­cuits courts ali­men­taires. Du côté du local, en revanche, la prox­im­ité n’est pas claire­ment définie. De quelle prox­im­ité géo­graphique par­le-t-on ? De celle du départe­ment, de la région, du pays, de l’Europe ? La ques­tion n’est pas tranchée».

Une déf­i­ni­tion «offi­cielle» con­cer­nant la vente de pro­duits en cir­cuits courts existe bien, on la trou­ve sur le site du min­istère de l’économie. Mais elle désigne une prox­im­ité au sens organ­i­sa­tion­nel et non géo­graphique : «La notion de cir­cuits courts est util­isée pour val­oris­er un mode de vente lim­i­tant le nom­bre d’intermédiaires mais ne prévoit pas de notion de prox­im­ité physique (kilo­mé­trage)». Acheter une bouteille de vin en Aus­tralie directe­ment auprès du vigneron per­met de cocher la case «cir­cuit court».

En résumé : lorsque vous voyez la men­tion «local», sachez que la prox­im­ité géo­graphique n’est pas fixée et que les infor­ma­tions sur la manière dont les pro­duits ont été élaborés ne sont pas oblig­a­toires. On est ici dans le flou.

Il existe bien sûr des réseaux, comme celui des AMAP (Asso­ci­a­tions pour le main­tien d’une agri­cul­ture paysanne) ou des CIVAM (Cen­tres d’initiatives pour val­oris­er l’agriculture et le milieu rur­al) qui, de longue date, rap­prochent producteur·ices et consommateur·ices dans une démarche de dura­bil­ité, mais ils restent mar­gin­aux dans le domaine des cir­cuits courts. «Ce sont les ventes directes à la ferme qui restent la forme la plus répan­due», pré­cise Jean-Bap­tiste Paran­thoën. Des fer­mes qui peu­vent pro­duire de manière con­ven­tion­nelle à l’aide de pro­duits phy­tosan­i­taires et d’intrants.

«Avec la ques­tion de la prox­im­ité géo­graphique, du local, on entre dans le domaine de la con­fi­ance et de la croy­ance. Des pro­duits bio élaborés plus loin, en Europe, pour­ront provo­quer la sus­pi­cion, ce qui n’est pas vrai­ment jus­ti­fié», analyse l’agronome Stéphane Bel­lon, ingénieur de recherche à l’Inrae.

On le com­prend, en respec­tant un cahi­er des charges strict et har­mon­isé, les pro­duits cer­ti­fiés bio four­nissent aux consommateur·ices une traça­bil­ité et la garantie de modes de pro­duc­tion respectueux de l’environnement.

Empreinte carbone et prix

Restent deux points fréquem­ment évo­qués pour oppos­er bio et local : la ques­tion du poids car­bone des pro­duc­tions et celle du porte-mon­naie.

Pro­duire à quelques dizaines de kilo­mètres des futur·es acheteur·ses sem­ble à pre­mière vue un levi­er effi­cace pour alléger le bilan car­bone de la pro­duc­tion ali­men­taire. En réal­ité, le poids des trans­ports dans l’empreinte car­bone de l’alimentation est faible. En mai 2021, le réseau Action Cli­mat présen­tait ses éval­u­a­tions sur le sujet : «84% des impacts écologiques de notre ali­men­ta­tion résul­tent de la manière dont les den­rées ali­men­taires sont pro­duites : le trans­port des pro­duits n’en représente ain­si qu’une part mar­ginale».

Dans une péri­ode d’inflation comme celle que nous tra­ver­sons, la ques­tion du coût des pro­duits ali­men­taires se pose de manière bru­tale pour un nom­bre crois­sant de per­son­nes. Si cer­tains pro­duits bio comme le lait, les œufs et le jus d’orange coû­tent en moyenne près de 35% plus cher que ceux issus de la fil­ière con­ven­tion­nelle, l’Agence bio, qui sou­tient le développe­ment et la pro­mo­tion de l’a­gri­cul­ture biologique, rap­pelle qu’il est pos­si­ble de con­tr­er ces effets en s’approvisionnant en pro­duits bio, bruts, de sai­son… et locaux.

«Il n’y a pas vrai­ment de sens à oppos­er le bio et le local. Compte tenu de ses modes de pro­duc­tion, l’agriculture bio prend en compte les spé­ci­ficités du ter­ri­toire», con­clut Stéphane Bel­lon. Mais s’il faut choisir, il appa­raît claire­ment que c’est plutôt le bio qu’il faut favoris­er, car il s’agit du label le plus étroite­ment con­trôlé et qui offre la plus grande traça­bil­ité aux consommateur·ices en matière de pro­duc­tion agri­cole durable.

Pho­to d’illustration : Anna Kamino­va / Unsplash

Cet arti­cle est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, ques­tions d’actualité, ordres de grandeur, véri­fi­ca­tion de chiffres : chaque jeu­di, nous répon­drons à une ques­tion choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez vot­er pour la ques­tion de la semaine ou sug­gér­er vos pro­pres idées, vous pou­vez vous abon­ner à la newslet­ter juste ici.