Le vert du faux

AB, Demeter, HVE… Les labels sont-ils vraiment écolos ?

Label affaire. Depuis plusieurs années, les rayons des supermarchés sont assaillis de labels qui promettent des aliments responsables, écolos, éthiques ou de meilleure qualité. À tel point qu’il est bien difficile de s’y retrouver, entre engagement sincère des producteurs et greenwashing des marques. Tour d’horizon.
  • Par

Le label Agriculture biologique (AB), une référence en la matière ?

Le label AB est le plus con­nu des labels dits « verts ». Créé en 1985 par le min­istère de l’agriculture, il atteste que les den­rées ali­men­taires sont à 95  % d’origine biologique, c’est-à-dire que les agriculteur·rices ont l’interdiction d’utiliser des pro­duits de syn­thèse (engrais, pes­ti­cides). Les ali­ments ne doivent pas ou (très peu) con­tenir d’OGM (organ­ismes géné­tique­ment mod­i­fiés), avec un seuil de tolérance de 0,9 %. Au niveau européen, ce label est décliné sous le nom « Euro­feuille » depuis 2009, et utilise le même cahi­er des charges. De nom­breux acteurs de l’alimentation durable jugent le label AB incom­plet et lax­iste pour plusieurs raisons : out­re la présence pos­si­ble d’OGM, il n’interdit pas les fer­mes-usines (et s’accommode de l’agriculture indus­trielle), n’incite pas à l’approvisionnement en cir­cuit court et ne tient pas en compte des prob­lé­ma­tiques liées au com­merce équitable (dont la juste rémunéra­tion des producteur·rices).

Une myriade d’autres labels plus petits, mais plus exigeants

De nom­breux labels privés indépen­dants sont nés pour con­tr­er les failles du label AB. C’est le cas des récents labels « Bio équitable » ou « Bio français équitable », qui ont décidé d’intégrer cer­taines garanties sociales et socié­tales man­quantes. Les cer­ti­fi­ca­tions Bio cohérence et Deme­ter — qui applique les principes de la bio­dy­namie (un sys­tème de pro­duc­tion agri­cole con­tro­ver­sé*, issu du courant ésotérique de l’anthroposophie qui tient compte des cycles lunaires) -, sont par­mi les plus intran­sigeantes sur les garanties envi­ron­nemen­tales, le bien-être ani­mal et le com­merce équitable. C’est ce que révè­lent deux com­para­t­ifs réal­isés en 2021, l’un par le bureau d’analyse Basic avec Green­peace et le WWF et l’autre par les asso­ci­a­tions FAIRe un monde équitable, Action­aid et Bioconsom’acteurs. Avec le label Nature et pro­grès, ces derniers assurent notam­ment la non-mix­ité des cul­tures, c’est-à-dire la non-coex­is­tence de pro­duc­tions bio et non bio sur une même exploita­tion.

© Vert, à par­tir des don­nées de « La bous­sole des labels » réal­isée par Bioconsom’acteurs, FAIRe un monde équitable et Action­aid

Prévenir les risques de greenwashing

Avec la mul­ti­pli­ca­tion des cer­ti­fi­ca­tions durables et respon­s­ables vient inévitable­ment le risque de dérives liées à l’effet de mode. La cer­ti­fi­ca­tion Haute valeur envi­ron­nemen­tale (HVE) est large­ment pro­mue par le min­istère de l’agriculture depuis plusieurs années. Entre 2021 et 2022, le nom­bre d’exploitations cer­ti­fiées HVE a même bon­di de 73 % (+ 10 500 en un an), d’après les chiffres du min­istère. Ce label pub­lic est cen­sé cer­ti­fi­er la val­ori­sa­tion de la bio­di­ver­sité sur les ter­res agri­coles, la réduc­tion (et pas l’interdiction) de l’usage de pro­duits phy­tosan­i­taires et une meilleure ges­tion des ressources en eau. En 2020, un rap­port con­fi­den­tiel de l’Office français de la bio­di­ver­sité (OFB) à des­ti­na­tion du gou­verne­ment pointait les énormes lacunes de la cer­ti­fi­ca­tion sur le plan envi­ron­nemen­tal (Le Monde). La cer­ti­fi­ca­tion HVE est d’au­tant plus cri­tiquée par les agriculteur·rices bio qu’elle fait par­tie des éco-régimes européens, c’est-à-dire que les exploita­tions label­lisées peu­vent pré­ten­dre à des fonds verts de la Poli­tique agri­cole com­mune (PAC) — mal­gré un cahi­er des charges lax­iste, et au détri­ment des exploita­tions engagées dans une véri­ta­ble démarche biologique (notre arti­cle).

Un récent doc­u­men­taire de France 5, inti­t­ulé « Labels : des verts et des pas mûrs », a souligné les lim­ites de la cer­ti­fi­ca­tion MSC qui promeut une pêche durable. Ultra répan­du, ce label cer­ti­fie 15 % de la pêche mon­di­ale, et 83 % des pro­duits estampil­lés MSC sont issus de pêcheries indus­trielles, selon une étude (en anglais) de l’association Bloom pub­liée dans la revue sci­en­tifique Plos one en 2020. Selon l’enquête de France 5, le label MSC n’empêche pas de larges quan­tités de gaspillage et tolère des pra­tiques de pêche con­tro­ver­sées.

De l’importance de s’éduquer pour mieux consommer

Il est aisé de se per­dre dans la jun­gle des labels « durables » qui pul­lu­lent et jus­ti­fient sou­vent des prix élevés par des pro­duits pré­ten­du­ment meilleurs pour la planète et la san­té. Face à ces risques de green­wash­ing, la plus grande arme des consommateur·rices est la con­nais­sance : ne pas se fier aux moin­dres labels et con­naître les critères d’éligibilité de ces derniers per­met d’éviter les pièges mar­ket­ing. Enfin, plutôt que de con­sid­ér­er qu’un label bio est suff­isant pour être éco­lo, mieux vaut égale­ment con­som­mer local et de sai­son.

* La biodynamie découle du mouvement de l’anthroposophie, fondé par l’Autrichien Rudolf Steiner et souvent accusé de dérives sectaires. La biodynamie est parfois critiquée pour ses fondements ésotériques. Nous vous invitons à lire la série d'été du Monde sur Rudolf Steiner, père de la biodynamie, ainsi que ce décryptage sur l'agriculture biodynamique réalisé par nos confrères de Checknews

Cet arti­cle est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, ques­tions d’actualité, ordres de grandeur, véri­fi­ca­tion de chiffres : chaque jeu­di, nous répon­drons à une ques­tion choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez vot­er pour la ques­tion de la semaine ou sug­gér­er vos pro­pres idées, vous pou­vez vous abon­ner à la newslet­ter juste ici.