Décryptage

Qu’est-ce que l’« agriculture paysanne », ce projet de transformation sociale et écologique du monde agricole ?

Alors que s'achève le Salon de l'agriculture, qui aura encore fait la part belle à l'industrialisation à tous crins, des éleveur·ses et des producteur·rices défendent une autre vision de leur métier, au service de la société et de l'environnement. Une démarche qui s'extirpe de la seule technique et donc d'une labellisation claire, mais qui cherche à être généralisée. Décryptage.
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Agriculture intensive », « agriculture locale », « agriculture biologique »… Les termes se suivent et ne se ressemblent pas. Pourtant, à y regarder de plus près, il peut parfois y avoir des ressemblances : l’agriculture biologique tolère des serres chauffées, l’agriculture locale n’interdit pas les « poulaillers géants »… 

Dans les années 1980, des agriculteur·rices décidé·es à lutter ensemble contre l’industrialisation galopante de leur métier se sont regroupé·es sous la bannière de l’« agriculture paysanne ». « La première manière d’exister, c’est de nommer les choses. Il fallait trouver un dénominateur commun entre tous les paysans qui pratiquent une agriculture à l’opposé des modèles industriels », explique à Vert Paul Reder, coprésident de la Fédération des associations de développement de l’emploi agricole et rural (Fadear).

Mais qu’est-ce que l’agriculture paysanne ? Un label de plus ? « C’est davantage un concept politique qu’un concept technique, explique à Vert Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne, syndicat engagé de longue date dans la définition de l’agriculture paysanne. C’est un projet agricole aussi bien qu’un projet de société. »

En 1998, des paysan·nes et scientifiques ont abouti à son cadrage à travers la rédaction d’une charte, qui compte dix principes (regroupés en six pétales qui forment aujourd’hui le logo de la Fadear) :

  • Répartir les volumes de production, afin de permettre au plus grand nombre d’accéder au métier et d’en vivre   
  • Appliquer la souveraineté alimentaire ici et ailleurs    
  • Respecter la nature et le climat
  • Valoriser les ressources abondantes et économiser les ressources rares
  • Rechercher la transparence dans les actes d’achat, de production, de transformation et de vente des produits agricoles
  • Assurer la bonne qualité gustative et sanitaire des produits
  • Viser le maximum d’autonomie dans le fonctionnement des exploitations
  • Rechercher les partenariats avec d’autres acteurs du monde rural
  • Maintenir la diversité des populations animales élevées et des variétés végétales cultivées
  • Raisonner toujours à long terme et de manière globale

Le logo de la Fadear. © Charte de l’agriculture paysanne

Pas question de faire un label de ce programme politique. « Je ne vous cache pas que c’est évoqué dans nos discussions, mais c’est écarté à chaque fois, glisse Paul Reder. On veut que ce soient les principes politiques qui guident la démarche, plus que l’obtention d’un label et ses potentiels atouts économiques. » D’aucun préfèreraient valoriser leur démarche et mieux en vivre… Mais les tenants de l’agriculture paysanne ne souhaitent pas ajouter de normes ou arrêter un cahier des charges précis. « L’idée ce n’est pas de juger tel ou tel agriculteur ou de se compter, mais d’être dans une logique d’accompagnement », ajoute Nicolas Girod.

Pour cela, la Fadear établit des « diagnostics » dans les fermes, le plus souvent « sous l’impulsion d’un paysan qui souhaite changer de modèle ou lors des transmissions de fermes », détaille Paul Reder. Environ 400 sont effectués chaque année et l’objectif est de les multiplier. « Ça permet d’objectiver les avancées et le chemin qu’il reste à parcourir », ajoute le coprésident de la Fadear. Une ferme qui fait de l’agriculture biologique obtiendra par exemple un niveau élevé dans l’indicateur de l’agroécologie, mais celles qui n’ont pas ce label pourront quand même valoriser leurs pratiques sur d’autres plans.

Débat autour de la création d’un label

Sociologue à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et spécialiste des relations entre l’humain et l’animal dans l’élevage, Jocelyne Porcher aimerait pourtant qu’un label « élevage paysan » voit le jour. Cela permettrait de se distinguer plus clairement de « l’élevage industriel » – un oxymore selon elle – et donc de préserver « la survie de l’agriculture paysanne et de l’élevage paysan », dit-elle à Vert.

En créant un label, d’aucuns craignent de rester à la marge. « Ce n’est pas de nature à impulser un vrai changement de modèle. Or, l’objectif de l’agriculture paysanne, c’est d’être un levier de généralisation, pas de rester une alternative », argumente Nicolas Girod. L’agriculture paysanne ne veut donc pas rester cantonnée aux fermes, mais constituer « un outil d’interpellation des pouvoirs publics et d’orientation du débat » pour « renverser les fondamentaux actuels de l’agriculture industrielle ». Afin que toute la filière devienne plus soutenable, aussi bien sur le plan social qu’écologique.

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