Reportage

Il promet de réinventer vos lasagnes et vos pâtes à tartiner : près de Lyon, le haricot-viande fait son grand retour, du champ à l’assiette

La faim des haricots. En Auvergne-Rhône-Alpes, un haricot sec oublié fédère agriculteurs, chefs et restauration collective pour relancer une filière. L’enjeu de ce projet de recherche, qui mise sur le potentiel nutritionnel et écologique du haricot-viande : remettre cette légumineuse dans vos assiettes. Reportage.
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À Collonges-au-Mont-d’or (Rhône), une chaleur de plomb pèse en ce début du mois d’août sur «Le Champ des Saveurs», la ferme de Vincent Galliot. Sous les serres s’épanouissent des centaines de légumes à la peau brillante et aux formes généreuses, dont l’ex-informaticien reconverti en maraîcher bio égrène les noms évocateurs en parcourant les allées : piments de Bresse, aubergines rondes de Valence, poivrons chocolat… Entre deux rangées, le maître des lieux marque une pause. Devant nous s’élèvent des plants verticaux agrippés à un système de fils suspendus à deux mètres cinquante de haut. Au terme de leurs tiges feuillues, des cosses tigrées abritent une précieuse graine violette et blanche. «Et voici le haricot-viande !»

Une cosse de haricot-viande sous les serres de Vincent Galliot à Collonges-au-Mont d’Or. Plantés en juin, les haricots seront récoltés en septembre. © Elsana Adzemovic/Vert

Ce nom intrigant ne vous dit rien ? Il y a encore quelques décennies, cette variété locale de haricot sec rouge était pourtant très consommée en France. Menacée depuis de disparition, «elle a été sauvée in extremis il y a quelques années, alors qu’il ne restait que 300 grammes de graines, jalousement conservées par une vieille dame en Chartreuse», raconte Tara Dourian, sociologue à l’Institut national de recherche agronomique pour l’alimentation et l’environnement (Inrae) qui mène une enquête historique sur le sujet : désormais, le haricot-viande est au cœur d’une expérimentation en Auvergne-Rhône-Alpes visant à le tirer de l’oubli.

Ce projet s’inscrit dans un programme de recherche européen plus vaste : DivinFood. Ce dernier tente depuis 2021 de «réhabiliter des variétés de légumineuses et de céréales mineures locales sous-utilisées et négligées», explique sa coordinatrice Yuna Chiffoleau, directrice de recherche à l’Inrae. Il se décline autour de neuf living lab répartis en Europe. Cette méthode consiste à associer différents acteurs (en l’occurrence agriculteurs, chercheurs, chefs, restauration collective, médecins…) au sein d’une démarche de recherche. Ils étudient chacun à travers des «cobayes» comme le haricot-viande la faisabilité de relancer des filières de légumineuses.

Relancer des filières de légumineuses

Ce choix peut surprendre, tant cette famille qui regroupe lentilles, pois, fèves, soja et haricots secs a déserté nos menus : elles étaient pourtant jusqu’au milieu du XXème siècle «omniprésentes dans les assiettes européennes, bien plus souvent que la viande» rappelle le coordinateur du living lab lyonnais Jean-François Tedesco. Industrialisation de l’agriculture, exode rural, explosion de la viande industrielle, choix culturaux… Depuis 70 ans, une combinaison de facteurs a engendré un déclin drastique de leur culture et de leur consommation sur le continent. En France, «nous n’en consommons même pas 2kg par personne et par an», souligne ainsi Yuna Chiffoleau.

Cet été, Vincent Galliot cultive le haricot-viande sur quelques mètres, avec des plants en plein champ et d’autres sous serre pour observer les différences. © Elsana Adzemovic/Vert

Elles suscitent toutefois aujourd’hui un fort regain d’intérêt, pour des raisons alimentaires, agronomiques et écologiques. Comme le suggère le surnom du «haricot-viande» (dont les valeurs nutritionnelles sont encore en cours d’analyse), les légumineuses jouissent d’une teneur en protéines indispensable pour basculer vers un régime moins carné. Il s’agit aussi de réintroduire une diversité largement perdue dans notre alimentation comme dans nos champs, et d’identifier des variétés plus résistantes face aux évolutions climatiques. Du point de vue agronomique, les légumineuses présentent en outre un atout de taille : «Elles ne requièrent pas d’engrais grâce à leur capacité à utiliser l’azote de l’air et du sol, et en laissent derrière elles dans le sol pour les cultures suivantes», explique Nicolas Guilpart, agronome à AgroParisTech.

Tester des conditions de culture

Le défi est toutefois immense : du champ à l’assiette, toute la chaîne de valeur est à reconstruire. Le maraîcher Vincent Galliot participe depuis 5 ans au projet de recherche : chaque été, il plante du haricot-viande et expérimente diverses techniques, en modifiant chaque fois des paramètres afin d’identifier dans quelles conditions les plants poussent le mieux : «sous serre, en plein champ, en irriguant au goutte-à-goutte ou par aspersion, en co-culture avec du maïs pour qu’il s’en serve de tuteur ou avec un système de fils comme ici…»

Des graines de haricot-viande. © Elsana Adzemovic/Vert

La spécificité du haricot-viande est en effet d’être grimpant. «C’est un défi, explique Jean-François Tedesco. Il faut installer un système spécifique, et si on souhaite le produire à grande échelle pour réduire son coût, imaginer un système de mécanisation adapté. D’un autre côté, le fait qu’il soit grimpant offre un rendement bien plus élevé qu’un haricot nain pour une même surface».

Comme Vincent Galliot, ils sont une quinzaine d’agriculteurs désormais à cultiver la variété dans la région, sur des surfaces allant de quelques mètres à 2 hectares. Une fois le haricot récolté, la production est rachetée aux agriculteurs dans le cadre de DivinFood afin de reconstituer un stock de graines d’une part, et de mener d’autre part des tests de recettes et de transformation.

Car l’autre enjeu est là. Il ne suffit pas de produire le haricot-viande, encore faut-il qu’il trouve son public. Les conditions de culture et les éventuelles politiques publiques mises en œuvre pour accompagner la renaissance des filières de légumineuses joueront à cet égard un rôle décisif, mais il s’agit aussi de recréer autour d’elles une nouvelle culture alimentaire.

Une culture alimentaire à réinventer

Perché sur la colline de Fourvière, le restaurant gastronomique Têtedoie offre une vue imprenable sur Lyon. Devant les baies vitrées, une vingtaine de participant·es au living lab sont agglutiné·es autour d’une table ronde. L’œil gourmand, ils et elles lorgnent sur l’appétissant buffet concocté par leurs soins en cette matinée de juin lors d’un atelier cuisine dans les fourneaux du chef étoilé Christian Têtedoie. Hachis-parmentier, houmous, salades, tartinade à la sardine, tapenade, gâteau au chocolat, cheesecake… des plats à première vue familiers, dont les recettes ont été pour l’occasion revisitées par Samuel Mony, l’animateur de l’atelier, afin d’y intégrer des légumineuses dont l’haricot-viande. Avec sa peau fine et son goût de châtaigne, ce dernier ne manque pas d’atouts gustatifs et de grands chefs, comme Christian Têtedoie, l’ont déjà intégré à leur carte. Mais la haute gastronomie ne suffira pas à le diffuser auprès du grand public.

En juin, une journée d’échange et de cuisine dans le cadre du projet DivinFood a été accueillie dans le restaurant du chef étoilé Christian Têtedoie à Lyon, sous la houlette du cuisinier formateur Samuel Mony (en blouse au milieu). © Elsana Adzemovic/Vert

«Pour recréer une culture alimentaire du quotidien autour des légumineuses, il faut les rendre accessibles à tous les niveaux : financier, culturel, social, technique et temporel», explique Samuel Mony, le cuisinier formateur. À Chaponost, au sud-ouest de Lyon, la conserverie locale de Sylvie et Stéphane Bras, Terra Douceurs, transforme des légumes, légumineuses et fruits produits à moins de 80 km.

Depuis un an, le couple imagine pour le living lab des recettes de produits commercialisables à base de haricot-viande. «Pour le particulier, acheter le haricot sec brut est contraignant car il implique d’être trempé avant cuisson. Comme transformateurs, nous avons peut-être un rôle à jouer», explique Sylvie Bras. Pâte à tartiner sucrée, tartinade salée pour l’apéritif, haricots rouges en bocaux… les transformateurs avancent par essais et erreurs, et envisagent désormais de l’introduire «dans des sauces en remplacement de la pomme de terre pour enrichir l’apport en protéines». Pour eux, «la possibilité de l’utiliser dépendra de son prix, qui doit être accessible».

Sylvie et Stéphane Bras ont fondé en 2021 à Chaponost (Rhône) Terra Douceurs, la dernière conserverie locale du coin. © Elsana Adzemovic/Vert

Une autre voie explorée pour le diffuser est la restauration collective : autour de Lyon, les cuisines centrales de trois communes (Lentilly, Brignais et Caluire) ont déjà ou vont l’intégrer aux menus de leurs établissements. À Montravel (Loire), le lycée agricole a même déjà créé son circuit ultra-court : les élèves cultivent le haricot-viande que le cuisinier de l’établissement Arnaud Cubizolle leur prépare aux petits oignons : par exemple dans des lasagnes, à la place du bœuf. «J’ai haché une partie du haricot pour avoir la texture de viande à l’œil, et j’ai gardé l’autre partie en entier pour avoir la sensation de mâche, c’était top, pas trop sec, ça a fait un carton», s’enthousiasme-t-il. Fort de cet essai concluant, il déborde désormais d’idées : boulettes, steaks végétaux pour des burgers ou saucisses végétales pour des hot dogs. De quoi en réconcilier plus d’un avec les légumineuses… et avec la cantine.

Crème à tartiner, coulis, tartinade… les essais réalisés par la conserverie Terra Douceurs à partir du haricot-viande. © Elsana Adzemovic/Vert

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