À Bondy nord, la fermeture temporaire du Lidl pendant quatre mois a privé les 20 000 habitant·es du quartier de leur seul supermarché. De février à juin, de nombreuses familles sans voiture ont dû passer de longues heures dans le bus, ou s’arranger entre voisin·es pour faire leurs courses.
Cette fermeture a rendu visible la précarité alimentaire des résident·es de ce quartier populaire de l’une des villes les plus pauvres de Seine-Saint-Denis. Dans le nord de la commune, l’offre alimentaire est rare et peu diversifiée : les 20 000 âmes ne disposent que d’une petite épicerie, une boulangerie, une boucherie et un marché hebdomadaire.

Les supermarchés les plus proches sont à une demi-heure à pied, dans une ville où la moitié des ménages ne disposent pas de véhicule, et où le taux de pauvreté atteint 34%, selon les chiffres de l’Insee. Le quartier est également mal desservi par les transports en commun, avec seulement quelques lignes de bus qui rejoignent les centres-villes de Bondy et d’Aulnay-sous-Bois.
Dans ce «désert alimentaire», Lab3S – le laboratoire des sols, des saveurs et des savoirs – se démène pour aider chacun·e à accéder à une alimentation de qualité. Cette association spécialisée dans la recherche-action autour de l’agriculture urbaine vient de décrocher une subvention de 80 000 euros de la fondation Solidarités urbaines, financée par les bailleurs sociaux franciliens. Le but : mener à bien son dernier projet «Nourrir Bondy» et faire émerger de nouvelles façons de s’approvisionner en produits frais sur le territoire, en impliquant les habitant·es.
Marécage alimentaire
«Chez vous, à Paris, c’est facile de trouver du bon pain, il y a une boulangerie dans toutes les rues. Ici, il faut chercher longtemps.» Venue participer à une «disco soupe» – la préparation de la soupe dans une ambiance festive – au sein du jardin partagé géré par l’association Lab3S, en plein cœur de Bondy nord, Fatima, une jeune mère du quartier, subit la situation comme beaucoup d’autres. Le marché hebdomadaire ? «C’est trop cher. Résultat, je vois beaucoup de mamans galérer dans le bus avec leurs caddies pour aller au supermarché dans le centre-ville», souffle-t-elle.

Plutôt que de parler de «désert alimentaire», Yann Chapin, le directeur de Lab3S, préfère utiliser le terme de «marécage alimentaire». «La notion fait référence à des quartiers dans lesquels une offre alimentaire “saine” existe, mais apparaît noyée au milieu de l’offre d’aliments et de boissons à forte densité calorifique, explique le géographe Simon Vonthron. Les commerces considérés sont principalement les fast-food et les commerces d’appoint sans fruits et légumes.»
Le concept vient des États-Unis, où le ministère de l’agriculture a créé un indicateur formalisé pour définir les «déserts alimentaires» : des zones cumulant un taux de pauvreté élevé et une distance avec le plus proche supermarché de plus de 1,6 kilomètre en zone urbaine, et de 16 kilomètres en zone rurale. Depuis quelques années, chercheur·ses et collectivités ont importé cette notion dans le débat français sur la précarité alimentaire.
«On ne peut pas acheter bio dans le coin et, de toute façon, c’est trop cher. Alors, on le fabrique nous-même !», raconte Khadidja pendant qu’elle déterre des plants de fraises pour en donner à un visiteur de passage. Elle confie avoir longtemps rêvé de pouvoir cultiver son bout de jardin, afin d’améliorer la qualité de son alimentation.

«Il y avait de la terre, il y avait des bras. Pourquoi ne pas cultiver ? poursuit-elle en faisant référence aux cinq hectares arborés du campus de l’Institut de recherche et développement, où Lab3S a installé son jardin partagé il y a quelques années. Il ne s’agit pas que d’alimentation. On a beaucoup de mamans qui viennent ici avec leurs enfants pour se vider la tête.»
Action-recherche avec AgroParisTech
Le dos courbé sur les pieds de framboisiers, René cueille les fruits mûrs. Le retraité est comme un poisson dans l’eau au milieu des plantes : «Regardez autour de vous, on a l’impression d’être en pleine campagne.» Passé le portique d’entrée de l’IRD, les bruits de la ville s’amenuisent, tout comme la silhouette des immeubles. Le retraité y retrouve un peu de la campagne normande où il a grandi.

Avec son équipe d’une cinquantaine de bénévoles, Lab3S a mené avec succès un premier programme de lutte contre les «marécages alimentaires». Baptisée «Du potager à la marmite», l’expérimentation menée en partenariat avec la chaire agricultures urbaines d’AgroParisTech a permis de créer une cuisine collective, là où se déroule la disco-soupe du jour. Lors d’ateliers, les participant·es mitonnent ensemble à partir des fruits et légumes du jardin. «Ces moments de partage ont permis aux gens de s’approprier la production maraîchère», relate Yann Chapin, le directeur de Lab3S.
Pommes de terre, gombos et haricots verts
Pour coller aux besoins des Bondynois·es, l’association a consulté ses bénévoles sur le choix des légumes et des fruits à planter. Aux côtés des carottes, pommes de terre, tomates et poivrons, le jardin accueille aussi de la brède mafane, un genre d’épinard originaire de Madagascar ; et des gombos, une plante proche de l’hibiscus, très consommée en Afrique de l’Ouest. Pour se lancer, les bénévoles ont été accompagnés par une maraîchère professionnelle qui a établi le plan de culture.
En quelques années, les 750 mètres carrés de jardins partagés de Lab3S ont fédéré une cinquantaine de bénévoles et une dizaine de jardinières et jardinier·es régulier·es. Si les volumes de production «ont permis de fournir le projet, ils restent insuffisants pour alimenter les familles participantes tout au long de l’année», note l’association dans le bilan final de «Du potager à l’assiette».
Le modèle québecois
Face à ce constat, la structure a décidé de passer à l’échelle supérieure avec «Nourrir Bondy». «Tout reste à construire avec les habitants, mais on a déjà quelques pistes : pourquoi pas créer des groupements d’achat et des cuisines collectives sur le modèle de ce qui se fait au Québec, poursuit Yann Chapin. Pour le moment, nous animons des ateliers de cuisine nourricière pour fédérer davantage de personnes autour du projet.»
Afin de toucher un public le plus large possible, Lab3S multiplie les partenariats avec les associations de quartier, ou encore le Centre communal d’action sociale, et organise de nombreuses animations hors-les-murs. L’enjeu est de taille, dans un territoire où la malbouffe fait des ravages. À l’échelle départementale, selon l’Institut Paris Région, la Seine-Saint-Denis souffre du taux d’obésité le plus élevé de France, et d’un taux de prévalence de diabète presque deux fois plus élevé qu’à Paris.
À lire aussi
-
«On n’imagine pas Bouddha conduire un SUV» : en Eure-et-Loir, les fidèles de la figure hindouiste Amma mêlent spiritualité et écologie
Il était une foi (3/5). Au centre d’Amma, dans l’Eure-et-Loir, une communauté de fidèles voue un culte à la figure hindouiste Mata Amritanandamayi. Fille de pêcheurs, cette Indienne ne prêche aucune autre religion que «l’amour». Dans cette communauté, la spiritualité est liée à un mode de vie respectueux de l’environnement. Ici, prendre soin du vivant, c’est aussi prendre soin du corps et de l’esprit. -
Berlin, Vienne, Rome… cinq villes à rejoindre en train de nuit cet été
Wagons lient. Partir loin sans prendre l’avion, c’est possible. Vert a déniché cinq itinéraires en train de nuit, pour traverser l’Europe sans ressentir les kilomètres parcourus.