Reportage

«On n’imagine pas Bouddha conduire un SUV» : en Eure-et-Loir, les fidèles de la gourou hindouiste Amma mêlent spiritualité et écologie

Il était une foi (3/5). Au centre d’Amma, dans l’Eure-et-Loir, une communauté de fidèles voue un culte à la gourou hindouiste Mata Amritanandamayi. Fille de pêcheurs, cette Indienne ne prêche aucune autre religion que «l’amour». Dans cette communauté, la spiritualité est liée à un mode de vie respectueux de l’environnement. Ici, prendre soin du vivant, c’est aussi prendre soin du corps et de l’esprit.
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Son portrait souriant est dans toutes les pièces. Sur la photo, drapée de blanc, Amma, ou «mère» en indien, repose sur les autels fleuris des salles de prières, en haut de la bibliothèque, sur les rebords des fenêtres des dortoirs ou encore sur les tables de cuisine. À la ferme du Plessis, un écolieu spirituel situé aux abords de la petite commune de Pontgouin (Eure-et-Loir), résident·es, bénévoles et fidèles de passage vénèrent Mata Amritanandamayi – le vrai nom d’Amma –, et y «reçoivent son enseignement» depuis 2002, détaille Mathieu Labonne, coordonnateur du centre hindouiste depuis une dizaine d’années.

🔥 À l’occasion des dix ans de l’encyclique du pape François Laudato Si’ sur l’écologie, Vert s’associe au journal La Croix pour un partenariat inédit qui a débuté mercredi 21 mai avec une grande soirée commune à l’Académie du climat, à Paris, autour de cette question : «Les spiritualités, un nouvel élan pour l’écologie ?»

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Pendant un mois, Vert publiera chaque semaine un reportage ou une enquête autour des spiritualités et de l’écologie. Voici le troisième article de cette série.

Figure spirituelle indienne, la gourou-septuagénaire inspire des millions de personnes à travers le globe pour son engagement auprès des plus démuni·es, notamment via son organisation Embracing the world (que l’on pourrait traduire par «ouvrir son cœur au monde»), mais aussi ses projets écologiques. Fille de pêcheur·ses aux revenus modestes, elle volait du lait et du beurre à ses parents dès son plus jeune âge pour le distribuer aux plus précaires.

Un engagement qui ne l’a plus quitté : orphelinats, hôpitaux, écoles, dispensaires, plantation d’arbres, jardins familiaux… «À côté, mère Thérésa, c’est un petit calibre», plaisante Frédéric, bénévole sur le site depuis 20 ans. Sa marque de fabrique ? Le câlin. Sa religion ? «L’amour», répète Amma, pour qui tous les êtres vivants ne font qu’un.

Un portrait d’Amma a été disposé dans toutes les pièces de la ferme du Plessis. © Nina Guérineau de Lamérie/Vert

Dans ce coin de la Beauce, les adeptes se réunissent tous les débuts de soirée pour chanter les bhajans, des textes dévotionnels, au son des djembés et des pianos. Ce samedi 24 mai n’y fait pas exception. Assis à même le sol sur de petits coussins ou sur des chaises, une trentaine de personnes unissent leur voix face à des photos de leur guide, placées sur l’autel. L’ambiance est à la célébration : les mains clapent, les têtes suivent le rythme de la musique. Parmi elles et eux, une petite dizaine se lèvera aux aurores, le lendemain, pour suivre la longue méditation matinale. Yasna, son nom hindoue, fait partie de ce groupe.

Cette Belge de 59 ans fait régulièrement six heures de route pour passer des week-ends de ressourcement «auprès d’Amma». «Je viens depuis 20 ans. Ici, je me sens en paix. Je voudrais mourir dans cet endroit», confie la dévote aux cheveux blonds. Amma incarne le «chemin vers l’amour, la joie, et un sens du partage, un engagement sincère dans les causes humanitaires, explique Yasna. Elle nous entraîne vers le service désintéressé, le don de soi.»

Terres arborées et riches en biodiversité

Au-delà d’un endroit régi par les rituels, les repas silencieux et le travail collectif, la ferme du Plessis, ancien manoir seigneurial du XIIIe siècle de six hectares racheté par l’association Embracing the world France en 2002, est aussi «un écolieu», précise Mathieu Labonne. Entre les impressionnants murs de pierres, les pensionnaires mangent végétalien et se soulagent dans des toilettes sèches. Autour du bâti, un potager bio, des ruches, une réserve de graines, une forêt nourricière et un éco-hameau ont été aménagés.

La ferme du Plessis s’étend sur six hectares. © Nina Guérineau de Lamérie/Vert

«On a aussi installé trois maraîchers bio, poursuit cet ancien chercheur en climatologie au CNRS, aussi directeur de la coopérative Oasis. Les visiteurs, qui sont pour beaucoup des urbains, viennent ici pour une retraite spirituelle. Ils expérimentent aussi une nouvelle proximité avec la nature.» Pendant l’année, de nombreux stages et séjours de jardinage, de bricolage, de couture ou encore d’apiculture sont organisés.

Un processus qui s’est développé avec l’arrivée de Mathieu Labonne en 2006. Sous son impulsion et celle de plusieurs autres membres du projet, les champs céréaliers sont redevenus des terres arborées et riches en biodiversité. «Dans l’enseignement d’Amma, une partie est consacrée à la nature. En Inde, il n’y a pas de différence entre le créateur et la création, le divin est partout en nous et autour de nous», poursuit le coordonnateur du centre.

Nombre d’adeptes d’Amma tiennent le même discours. Pour elles et eux, la spiritualité et l’écologie sont intrinsèquement liées. «L’être humain qui s’évertue à protéger la nature est déjà dans une forme de spiritualité. Celui qui randonne, qui observe les animaux, les plantes… c’est une manière de se reconnecter à soi et à ce qui nous entoure», déroule Fabien, ingénieur en pédagogie chez Orange et fidèle d’Amma. En cette fin mai, il vient s’initier à la danse. «Se poser, admirer un paysage, le trouver magnifique, ça élève notre esprit», résume-t-il en dînant assis à l’une des grandes tables du réfectoire.

«On n’imagine pas Jésus ou le Bouddha conduire un SUV»

Un avis que partage Ramanand, 29 ans. Ce Mosellan vit à la ferme du Plessis depuis deux ans. Ce dimanche 25 mai, il arrache, à genoux, les mauvaises herbes qui envahissent les parterres de la cour centrale avec deux autres compagnons. Avant de devenir un adepte d’Amma, celui-ci a visité plusieurs monastères bouddhistes en Asie du Sud-Est. En ces lieux isolés du monde, le respect de l’environnement «prend une place importante. Il y a la conscience que le soin du corps et de l’esprit passe par la bonne santé de la nature», rapporte-t-il.

Ramanand et Françoise désherbent les parterres de la cour centrale. © Nina Guérineau de Lamérie/Vert

Sa voisine de désherbage, Françoise, a réalisé sa «violence» envers la flore de son jardin. Après avoir découvert la philosophie de Mata Amritanandamayi, elle a «arrêté le désherbage thermique». À l’aise en milieu collectif, Françoise a rejoint la vingtaine de résident·es installé·es dans les maisons de terre et de paille de l’éco-hameau. «C’est vraiment chouette ! Je n’ai même pas besoin de chauffer», sourit la retraitée de 63 ans, tout en arrachant doucement une plante à la truelle.

Bienveillance, respect, compassion. La majorité des fidèles d’Amma usent de ces trois mots pour illustrer les ponts qui existent entre prières et protection des écosystèmes. «La nature, c’est un peu la face visible de Dieu. On n’imagine pas Jésus, Bouddha ou Amma conduire un SUV, aller faire du quad le week-end, ou s’empiffrer d’un burger», rebondit Mathieu Labonne. Selon le fondateur de l’éco-hameau, la spiritualité peut aussi amener au changement personnel, à la compréhension des enjeux contemporains et entraîner de nouvelles personnes à agir contre la pollution de la planète et la disparition des espèces.«La spiritualité permet d’être plus sensibles au monde. Aujourd’hui, il y a une crise de la sensibilité. On est coincé dans un monde parallèle. Il faut sortir d’Alice au pays des merveilles», juge-t-il.

Parmi les dévots d’Amma interrogé·es par Vert, beaucoup ont déjà fait des allers-retour en avions jusqu’en Inde pour rencontrer leur leader vieillissante. Pour Mathieu Labonne, c’est un «gros point noir». Et d’ajouter : «Ici, les gens viennent à l’écologie par la démarche spirituelle, et donc à une certaine éthique de vie. Mais leur raisonnement reste souvent apolitique. Or, il faudrait associer le politique et la spiritualité, développer une pensée de la société, parce que la spiritualité ne doit pas encourager l’individualisme, mais au contraire permettre de le dépasser.»