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Le gouvernement retarde encore la publication de sa feuille de route sur l’alimentation : «Quel message envoie-t-on aux Français qui crèvent de faim ?»

Alimentaire mon cher Watson. Prévue pour ce vendredi, la Stratégie nationale pour l'alimentation et le climat (Snanc) n'a toujours pas été publiée par le gouvernement. Elle doit fixer des objectifs en matière de nourriture saine ou de lutte contre le gaspillage. Une version du document a tout de même fuité : les produits «ultratransformés» ou la «réduction» de la consommation de viande ne sont pas mentionnés.
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C’est une feuille de route cruciale pour l’avenir de notre alimentation, de sa production jusqu’à notre assiette. Initialement prévue pour juillet 2023 et maintes fois repoussée (notre article), la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (la «Snanc», pour les intimes) devait être publiée ce vendredi 28 novembre à 14 heures par les ministères de l’agriculture, de la transition écologique et de la santé. Finalement, il n’en est rien.

Les observateur·ices y ont cru jusqu’au bout. Mais après une présentation lapidaire à la presse jeudi soir, les trois ministères qui devaient présenter le texte lors d’un déplacement commun ce vendredi ont finalement fait machine arrière à la dernière minute. En partie dévoilé par l’Agence France-Presse (AFP) sur les coups de midi, le document officiel n’a toujours pas été officiellement rendu public par le gouvernement, malgré de nombreuses relances de journalistes. «Un très mauvais signal», pour Marie Drique, qui travaille sur le dossier pour le Secours catholique. Elle rappelle que «les enjeux d’alimentation sont une demande extrêmement forte de la population» : «On ne peut pas se permettre de remettre à plus tard une telle feuille de route.»

Le Réseau Action Climat accuse le ministère de l’agriculture du «blocage» de la publication finale de la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (Snanc). © Damien Meyer/AFP

«Nous sommes dans une opacité totale, avec l’impression de décisions prises dans un entre-soi où certains lobbys donnent de la voix, alors que toute la société civile collabore depuis deux ans pour faire des propositions constructives, déplore Stéphanie Pierre, conseillère sur la santé publique au sein du réseau France Assos Santé. Quel message envoie-t-on aux agriculteurs qui galèrent, aux Français qui crèvent de faim, aux personnes malades ?»

Bataille autour de la consommation de viande

Issu des propositions de la Convention citoyenne pour le climat et de la loi «Climat et résilience» qui a suivi en 2021, la Snanc est censée «accompagner la transition vers une alimentation moins émettrice de gaz à effet de serre, respectueuse de la santé humaine, davantage protectrice de la biodiversité, favorisant la résilience des systèmes agricoles et des systèmes alimentaires territoriaux et garante de la souveraineté alimentaire».

Ces derniers mois, les négociations entre les différents ministères ont été particulièrement âpres sur la formulation concernant la consommation de viande, largement responsable de l’empreinte carbone alimentaire des Français·es. Le texte final consulté par l’AFP parle de «limitation», un terme souvent employé au ministère de l’agriculture, et non plus «réduction», terme qui figurait dans le projet soumis à consultation.

«Les objectifs nutritionnels et climatiques convergent vers une augmentation de la consommation de produits végétaux et une limitation de la consommation de viandes et de charcuterie, en particulier importées», note la Snanc, qui prévoit aussi un suivi annuel de la consommation de viande pour vérifier les «objectifs en matière de réduction des importations», sans mention de la consommation.

Avant son départ de Matignon début septembre, l’ancien premier ministre François Bayrou avait déjà bloqué au dernier moment la publication de la Snanc en raison d’un désaccord sur ce sujet. Selon les révélations du Monde et de Contexte, son équipe avait réécrit un passage du document pour faire disparaître la mention de la «réduction de la consommation de viande», suscitant la colère des ministères de la santé et de la transition écologique.

«Cette séquence linguistique est bien la preuve que nous n’arrivons pas à mettre la même chose derrière un mot», pointe Stéphanie Pierre. C’est la raison pour laquelle le monde associatif souhaitait l’inscription d’objectifs chiffrés sur la consommation de viande, une option a priori rejetée par le gouvernement. Selon le Réseau Action Climat, le «blocage» de la publication finale «proviendrait du ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire». «Les raisons, encore inconnues, pourraient être liées à l’objectif de réduction de la consommation de viande», estime le collectif dans un communiqué.

Adieu limitation des produits ultratransformés et interdiction des publicités

Autre notion effacée à la demande du ministère de l’agriculture, selon des révélations de Radio France : la «limitation des produits ultratransformés». Les effets nocifs sur la santé de ces aliments (sodas, biscuits, nuggets…) sont pourtant largement documentés par la science : obésité, diabète, dépression… La semaine dernière, une quarantaine de scientifiques du monde entier ont lancé un appel dans la prestigieuse revue médicale The Lancet pour demander une régulation du secteur des produits ultratransformés.

«Digresser sur les définitions quand on sait la dangerosité pour la santé d’une catégorie d’aliments […], c’est un meurtre.»

Le nouveau document invoque un manque de connaissances à combler autour de la «définition opérationnelle» des aliments ultratransformés – un argument récurrent du principal lobby de l’industrie agroalimentaire, rappelle la radio publique. «Digresser sur les définitions quand on sait la dangerosité pour la santé d’une catégorie d’aliments (qu’il s’agit de réduire pas supprimer) et l’urgence de sauver des vies, c’est un meurtre», a dénoncé sur Linkedin Marc-André Selosse, biologiste au Muséum national d’histoire naturelle.

La bataille des mots s’est aussi jouée sur la question du marketing et de la publicité. Le gouvernement veut «réduire efficacement l’exposition des enfants et des adolescents aux publicités et parrainages pour des produits trop gras, sucrés, salés». Mais le projet repose sur des incitations, alors que les ONG demandaient l’interdiction de ces publicités. «Le gouvernement a rétropédalé et se limite à une timide menace à l’égard des industriels de la malbouffe», dénonce Audrey Morice, chargée de campagnes à Foodwatch.

«En cas d’insuffisance des dispositions volontaires, une mesure réglementaire d’encadrement du marketing alimentaire dans les médias sera envisagée», indique la Snanc. Une petite nouveauté, quand précédemment aucune possibilité de mesure contraignante n’était évoquée. «Pour nous, c’est un moindre mal, reconnaît Stéphanie Pierre. Nous espérons que ce n’est pas cela qui bloque et que ce ne sera pas remis en question.»

«Les moyens vont-ils être à la hauteur des besoins de cette stratégie et des enjeux auxquels elle s’attaque ?»

Dans les autres «actions phares» maintenues dans le projet actuel, la Snanc veut aussi «encadrer réglementairement pour la première fois la qualité nutritionnelle des repas servis dans les établissements de la petite enfance, Ehpad, établissements pénitentiaires, en cohérence avec les nouvelles recommandations nutritionnelles».

La restauration collective sera «accompagnée» vers l’objectif de 50% de produits durables et de qualité, avec une aide financière pour les cantines rurales. Contre le gaspillage alimentaire, le texte évoque «la mise en place de contrôles coordonnés chez les différents opérateurs concernés». La loi fixe déjà un objectif de -50% de gaspillage d’ici à 2025 pour la restauration collective et la distribution, et d’ici à 2030 pour les autres secteurs, par rapport à 2015.

«Les moyens vont-ils être à la hauteur des besoins de cette stratégie et des enjeux auxquels elle s’attaque ?», interroge Stéphanie Pierre, qui dénonce un «manque de cohérence» face aux restrictions budgétaires souhaitées par le gouvernement. Auprès de la presse, le ministère de l’agriculture a notamment mis en avant les projets alimentaires territoriaux (PAT), destinés à «fédérer les différents acteurs d’un territoire autour de la question de l’alimentation»… tout en reconnaissant que leurs crédits vont être réduits dans le budget 2026.

Marie Drique, elle, tient tout de même à saluer «l’approche systémique» que tente d’articuler ce plan stratégique : «Nous avons vraiment besoin de cette vision d’ensemble, mais il ne faut plus tarder à l’avoir et à lui donner des moyens.»

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