Depuis la chute de François Bayrou, le 8 septembre dernier, la France a été gérée presque en continu par des gouvernements démissionnaires. Les ministres ont dû se cantonner à la gestion des affaires courantes (nécessaires au fonctionnement du pays) tandis qu’au Parlement l’examen des textes a été suspendu. Depuis dimanche, une nouvelle équipe ministérielle est en «mission», selon les mots du nouveau premier ministre Sébastien Lecornu. Elle doit tenir bon jusqu’à l’adoption d’un budget par le Parlement. Pendant ce temps, des dossiers parfois cruciaux restent dans les limbes.
Côté écologie, cela peut avoir des conséquences délétères… mais la crise politique a aussi pour effet de bloquer l’avancée de plusieurs textes problématiques au Parlement. En cas de dissolution de l’Assemblée nationale, ils seraient même tout bonnement déprogrammés. Voici une liste (non exhaustive) de ces dossiers qui restent au point mort, pour le pire et pour le meilleur.
Le débat qui a Duplomb dans l’aile
Signée par plus de 2,1 millions d’internautes cet été, la pétition contre la très controversée loi Duplomb a ouvert la voie à un débat au Parlement. Le 22 septembre, la commission des affaires économiques de l’Assemblée s’est même entendue à l’unanimité pour se pencher sur l’affaire (auditions, rapport, débats) mais, depuis, elle a cessé de prévoir quoi que ce soit. «On verra s’il y a censure [du gouvernement] et dissolution, ou pas», explique à Vert la présidente de la commission, Aurélie Trouvé (La France insoumise).
L’impossible Programmation pluriannuelle de l’énergie
La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est la feuille de route de la France pour décarboner son mix énergétique. Alors que les énergies fossiles représentent encore 60% de notre consommation d’énergie, la PPE doit impérativement être mise à jour pour rehausser les objectifs et planifier davantage d’efforts d’ici à 2035 : tripler le parc éolien, quadrupler le solaire, prolonger les réacteurs qui peuvent l’être et lancer la construction de six nouveaux, notamment. Bien que le texte soit presque finalisé, sa publication est aujourd’hui prisonnière de tactiques politiciennes. L’extrême droite, farouchement opposée au déploiement des énergies renouvelables, en a fait une ligne rouge et a promis de censurer le premier gouvernement qui publierait la PPE.
La Stratégie nationale pour l’alimentation, bloquée par François Bayrou
Une autre feuille de route, issue des propositions de la Convention citoyenne pour le climat, aurait dû être officialisée le 5 septembre : la Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat (SNANC), censée aligner les politiques alimentaires avec les impératifs de santé publique et de transition écologique. Mais le cabinet du premier ministre de l’époque, François Bayrou, s’y est opposé à la dernière minute afin de supprimer toute référence à la «réduction» ou à la «limitation» de la consommation de viande. Fin septembre, 117 associations (patient·es, professionnel·les de santé, organisations écologistes…) ont réclamé, dans une lettre ouverte, la publication de cette «stratégie essentielle», estimant que les gouvernements successifs ont jusqu’ici «reculé face aux pressions de certains lobbies du secteur agroalimentaire».
Le Plan eau, toujours à sec
Alors que les alertes se multiplient sur les risques de fortes tensions en eau dans les prochaines années, les retards s’accumulent dans la mise en œuvre du Plan eau promis par Emmanuel Macron en 2023 pour «fixer un cap de 10% d’économies d’eau» en 2030. Même si le gouvernement se targue d’avoir «engagé 100% des 53 mesures annoncées», des décisions structurantes sont toujours en attente concernant la lutte contre les pollutions diffuses ou la protection des aires de captage d’eau, par exemple.
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Surtout, le financement du plan n’est toujours pas sécurisé, après avoir déjà été reporté d’un an fin 2024. Michel Barnier, puis François Bayrou, ont tous deux annoncé un grand débat national sur l’eau, jusqu’ici sans effet.
La loi PFAS en décrépitude
C’était l’une des grandes victoires de l’écologie cette année : le vote, en février dernier, d’une loi pour protéger la population de la contamination aux «polluants éternels». Omniprésents et ultra-persistants dans les corps et l’environnement, ceux-ci ont des effets toxiques sur la santé. Problème : les décrets d’application de la loi font encore défaut. Début septembre, un premier décret concernant les rejets de PFAS par les installations industrielles a déçu les associations par son manque d’ambition. Celui qui vise à mettre en œuvre l’interdiction des PFAS dans des produits du quotidien (habits, cosmétiques) à partir du 1er janvier 2026 n’a pas pu être publié, car la consultation s’est terminée quelques jours avant la chute du gouvernement Bayrou. Enfin, la mise en place d’une taxe sur le principe du pollueur-payeur, pour que les industriels qui fabriquent ou utilisent des PFAS contribuent à financer la dépollution de l’eau, a été renvoyée aux (chaotiques) discussions sur le projet de budget pour 2026.
International : la France freine l’adoption d’une feuille de route pour la COP30
La crise politique en France a des répercussions dans les instances internationales, où Paris ne fait plus figure de leader sur les questions climatiques. Au niveau européen, la France compte désormais parmi les pays qui veulent freiner le renforcement des objectifs climatiques de l’Union européenne d’ici à 2035. La Commission européenne propose de réduire les émissions de 90% d’ici à 2040 (par rapport à 1990), mais le président français s’arc-boute sur la préservation de la compétitivité européenne. Faute d’accord au sein de l’UE, les 27 risquent d’arriver sans feuille de route à présenter lors de la conférence mondiale (COP30) sur le climat, prévue du 10 au 21 novembre prochain au Brésil.
À moins d’un mois de l’évènement, qui marquera également les dix ans de l’Accord de Paris pour le climat, la France risque d’arriver affaiblie dans les négociations climatiques. La nouvelle ministre de la transition écologique, Monique Barbut, est certes une habituée des négociations internationales mais rien ne dit que son gouvernement sera toujours en place à ce moment-là, ni quelles seront ses marges de manœuvre si elle est démissionnaire.
La suppression des zones à faibles émissions… supprimée ?
L’Assemblée nationale a adopté le 17 juin un projet de loi de simplification de la vie économique aussi éclectique que controversé. Au grand dam du camp présidentiel, les élu·es de droite et d’extrême droite ont voté la suppression des zones à faibles émissions (ZFE) qui excluent certaines voitures des centres-villes pour améliorer la qualité de l’air. Le texte enterre aussi le dispositif ZAN (zéro artificialisation nette) de lutte contre l’artificialisation des sols en multipliant les dérogations aux industriels et en permettant aux collectivités de dépasser «jusqu’à 30%» les limites locales d’artificialisation. Une commission mixte paritaire réunissant sept député·es et sept sénateur·ices aurait dû se réunir en septembre pour s’accorder sur une mouture commune du texte, mais le rendez-vous n’a pas pu avoir lieu faute de gouvernement. Du reste, l’exécutif a désormais tout intérêt à faire oublier ce texte dont il a été dépossédé, soufflent des sources bien informées.
Le zéro artificialisation nette sauvé ?
Adoptée au Sénat en mars 2025, la proposition de loi Trace – pour Trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux – propose tout bonnement de réduire à néant le dispositif ZAN. Le texte aurait dû être examiné par l’Assemblée nationale à la rentrée, mais son avenir est désormais plus qu’incertain.
La légalisation de l’autoroute A69 à l’arrêt
Le tribunal administratif de Toulouse (Haute-Garonne) avait provoqué une onde de choc en annulant, fin février, l’autorisation environnementale du projet autoroutier A69 entre Toulouse et Castres (Tarn).
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Qu’à cela ne tienne, les parlementaires se sont entendu·es en juin sur une proposition de loi de «validation» de l’autorisation environnementale du projet contesté. Pour l’instant, l’embolie du calendrier législatif, puis la démission du gouvernement Bayrou, n’ont pas permis d’aller jusqu’au vote solennel du texte par les deux chambres.
La proposition de loi Gremillet sur l’énergie menacée
La proposition de loi du sénateur (Les Républicains) Daniel Gremillet a surtout fait parler d’elle en juin, lorsque les député·es de droite et d’extrême droite y ont introduit des mesures irréalistes et dangereuses, telles qu’un moratoire sur les énergies renouvelables ou le «redémarrage» de la centrale nucléaire de Fessenheim (notre article). L’Assemblée nationale a fini par rejeter le texte et son réexamen en deuxième lecture, s’il a lieu, devra attendre que l’examen du budget soit achevé. La version sénatoriale prévoit une relance massive de la filière nucléaire et une mise au pas des renouvelables.
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