Voilà déjà trois ans – depuis que le camp présidentiel a perdu la majorité absolue à l’Assemblée nationale – que le gouvernement échoue à faire atterrir son projet de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), une feuille de route pourtant indispensable pour tracer la voie de la décarbonation jusqu’en 2035. Bien décidée à corser encore le débat, l’extrême droite a dégainé ces dernières semaines un chiffre choc, rapidement devenu viral.

Selon elle, le développement envisagé des énergies solaire et éolienne représenterait «une facture totale de 300 milliards d’euros», comme l’a scandé Marine Le Pen, la cheffe de file des député·es Rassemblement national (RN), lors d’un débat sur la souveraineté énergétique à l’Assemblée, le 28 avril dernier. «300 milliards d’euros, c’est six fois le budget de l’armée !», s’est alarmé la députée (Les Républicains) Justine Gruet. «Nous recherchons des économies d’argent public : voilà 400 milliards inutiles», a surenchéri le député (Union des droites pour la République) Éric Ciotti.
Une addition fallacieuse
Les trois élu·es, contacté·es par Vert, se sont bien gardé·es d’expliciter leurs calculs. Pourtant, le chiffre de 300 – ou même 400 milliards d’euros – de dépenses publiques n’apparaît dans aucune étude ou document sur le sujet. Selon Alexandre Roesch, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables, «le RN a fabriqué une grosse fake news en additionnant de manière fallacieuse des sommes qui ne concernent pas toujours les renouvelables, ne relèvent pas forcément du budget de l’État et ne couvrent pas les mêmes périodes.»
Même le premier ministre, François Bayrou, a tenté son propre débunkage à la tribune du Sénat, le 6 mai dernier : «Ce chiffre [de 300 milliards d’euros] inclut tout d’abord les coûts de réseaux [d’électricité] jusqu’en 2040 : 200 milliards d’euros. Quant aux 100 milliards d’euros restants, il s’agit d’une estimation maximaliste du coût du soutien jusqu’en 2060.». Mais pour dégonfler la baudruche du RN, quelques détails manquaient encore…
Coûts de réseaux : 200 milliards d’euros… qui en deviennent 50
C’est vrai, les gestionnaires de réseau ont prévu d’investir des sommes colossales dans les réseaux d’électricité au cours des 15 prochaines années. Enedis, qui gère le réseau de distribution (desservant les consommateur·ices), a annoncé en 2022 une facture de 96 milliards d’euros sur la période 2022-2040. RTE, qui gère le réseau de transport à haute et très haute tension, prévoit d’investir 100 milliards d’euros sur la période 2025-2040.
Toutefois, les deux gestionnaires ont maintes fois expliqué que les énergies renouvelables ne constituent pas la majeure partie de ces investissements, loin de là. Sur 96 milliards d’euros budgétisés par Enedis, seuls dix seront consacrés au raccordement de parcs solaires et éoliens. RTE prévoit quant à lui de dépenser 37 milliards d’euros pour raccorder les parcs éoliens en mer. Le reste – soit 80% des investissements prévus – sera consacré au renouvellement et à l’enfouissement de lignes existantes, au raccordement de nouveaux usagers, au déploiement de la mobilité électrique ou au raccordement de nouvelles centrales nucléaires.
Du reste, ces investissements ne relèvent pas du budget de l’État, puisqu’une partie est directement financée par les consommateur·ices, via un prélèvement sur leur facture d’électricité (le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité, ou Turpe). Une autre partie est financée par les producteurs d’énergie qui paient pour être raccordés au réseau électrique.
Subventions aux renouvelables : 100 milliards de dépenses… ou 42 milliards d’économies ?
Au final, seules les subventions aux énergies renouvelables relèvent bel et bien de dépenses publiques mais, là encore, le RN a choisi de ne retenir que l’hypothèse de coût la plus pessimiste présentée dans le projet de PPE (page 194). L’hypothèse médiane estime plutôt ce coût entre 31 et 50 milliards d’euros d’ici à 2060, tandis qu’une autre, beaucoup plus optimiste, aboutit à l’inverse à une recette de 42 milliards d’euros pour l’État.
L’explication à ces différences importantes réside dans le mode de subventionnement des énergies renouvelables en France : l’État garantit aux producteurs un certain prix de vente. Ainsi, si le cours de l’électricité sur les marchés est plus bas, l’État leur paie la différence. À l’inverse, lorsque les cours dépassent ce prix garanti, les producteurs reversent leurs recettes à l’État.
Le coût de l’inaction
En réduisant aujourd’hui son soutien aux énergies renouvelables, l’État ne serait donc pas sûr d’économiser sur le long terme. Sans compter que ces énergies «vertes» ont vocation à diminuer le recours aux énergies fossiles, dont les importations ont coûté la bagatelle de 64 milliards d’euros en 2024.