«La loi est passée, mais elle peine à être appliquée», regrette Kildine Le Proux de la Rivière, chimiste et pharmacienne sur les missions scientifiques et réglementaires de l’association anti-pesticides Générations futures. Elle fait référence à la loi contre l’exposition de la population aux PFAS, ces polluants dits «éternels», votée en février dernier.
Omniprésentes, ces molécules ultra-persistantes dans le corps et l’environnement ont des effets toxiques sur la santé. Pour les éviter, le texte interdira, à compter du 1ᵉʳ janvier 2026, leur présence dans les produits du quotidien (habits, cosmétiques…). Il rendra également obligatoire le contrôle de ces molécules dans l’eau. Un décret visant à faire appliquer ces mesures a été soumis à la consultation du public avant d’être publié, le 8 septembre dernier.
Surtout, la loi instaure une taxe sur le principe du pollueur-payeur, pour que les industriels qui fabriquent ou utilisent massivement des PFAS contribuent à financer la dépollution de l’eau. De grands groupes industriels comme BASF, Gie Chimie, Finorga ou Arkema en relarguent des centaines de grammes par jour.
La taxe sur les rejets industriels retardée
Il y a un hic. Début septembre, le gouvernement a annoncé reporter la mise en place de la taxe sur les rejets industriels contaminés aux PFAS. La publication du décret afférent a été décalée aux discussions sur le projet de loi de finance 2026 : ce débat commercera début octobre à l’Assemblée nationale, visera à décider du budget de l’État pour 2026, lequel devra être adopté d’ici au 31 décembre.
Nicolas Thierry, député écologiste et auteur de cette loi PFAS, explique à Vert les risques qu’encourt son texte avec ce report : «On se retrouve à soumettre le sujet de la taxe à un nouveau vote, avec la possibilité que des députés proposent des amendements pour diminuer le produit de cette taxe.»
L’idée du député était que cette contribution soit assez élevée pour inciter les industriels à se doter de systèmes de traitement de leurs eaux usées. Selon la loi votée en février, la taxe s’élève à 100 euros pour 100 grammes de PFAS rejetés. Par exemple, à Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), l’usine Finorga qui fabrique des principes actifs et des produits intermédiaires pour l’industrie pharmaceutique rejette 2 200 grammes de «polluants éternels» par jour. Le produit de cette redevance sera destiné aux agences de l’eau, qui aideront les communes les plus en difficulté à moderniser leur système de filtration.
Le risque de mettre des collectivités «en grande difficulté»
Cette mesure de la loi PFAS est d’autant plus importante que, en 2026, la législation européenne obligera les États membres à contrôler la concentration de 20 PFAS dans leurs eaux. Les collectivités qui découvriront des taux trop élevés devront se mettre aux normes et dépolluer leur ressource via des techniques coûteuses. «Tergiverser et reporter la taxe, voire l’exposer à des amendements, c’est mettre ces collectivités en grande difficulté, car elles ne pourront pas supporter ce coût», déplore Nicolas Thierry.
Auprès de Vert, le ministère de la transition écologique confirme que «la publication du décret d’application concernant la redevance n’a pas pu être effective avant la chute du gouvernement» de François Bayrou, le 8 septembre. La raison ? «Des questions de lisibilité du droit» et une «correction technique» à apporter au texte, justifie le ministère.
Ce retard n’inquiète pas Cyrille Isaac-Sibille, député Les Démocrates du Rhône et auteur d’un rapport sur la pollution aux PFAS. Selon lui, cette lutte pour sortir de ces polluants «doit être progressive, et se faire étape par étape». «Le plus important est de donner une feuille de route aux industriels pour qu’ils diminuent leurs rejets», précise-t-il à Vert.
«Maintenir la pression sur le gouvernement»
Afin de détailler cette feuille de route, l’exécutif a donc publié un premier décret lié à la loi PFAS, le 8 septembre dernier. La trajectoire doit mener à l’arrêt des émissions des polluants éternels par les industriels d’ici à 2030. Le texte fixe un seul objectif intermédiaire : une diminution de 70% des rejets en 2028. «Aucune mesure et aucun contrôle des eaux ne sont prévus d’ici-là», déplore Kildine Le Proux de la Rivière. Son ONG avait proposé, lors de la consultation publique qui a précédé la publication du décret, de fixer un point d’étape en 2026 pour s’assurer que les industriels prennent bien les mesures adéquates.
Sans moyen de vérifier la diminution des rejets dans les milieux naturels, «l’objectif reste un vœu pieux et la loi est vidée de sa substance», fustige la chimiste. Toutefois, selon le ministère de la transition écologique, il existe déjà des modalités de contrôle «définies au cas par cas» et celles-ci seront prises «par les préfets par arrêté complémentaire».
Subsiste un problème : la réduction de 70% des rejets des industriels se fonde sur les relevés de l’année 2023… que tous n’ont pas effectués. Les grands groupes devront donc estimer ce qu’ils relarguaient dans l’environnement cette année-là, au risque d’imprécisions ou de sous-évaluations. «Ce décret n’est pas incomplet, il est courageux, juge le député Les Démocrates Cyrille Isaac-Sibille. D’autres viendront le préciser et, bien sûr, il faudra maintenir la pression sur le gouvernement.»
«Des signaux inquiétants»
Pour traiter leurs rejets, les industriels ont deux choix : filtrer eux-mêmes l’eau contaminée ou l’envoyer dans une station d’épuration voisine. Pour pouvoir vérifier la capacité de ces usines à traiter les polluants éternels, un arrêté a été publié le 7 septembre. Il précise les modalités de mise en œuvre du plan d’actions interministériel sur les PFAS d’avril 2024.
«Un texte lacunaire, regrette Kildine Le Proux de la Rivière, de l’ONG Génération futures. Seules les plus grosses stations d’épuration verront leurs eaux analysées, soit 6% des infrastructures.» Par ailleurs, le TFA, le plus petit de la grande famille des PFAS, ne sera pas du tout recherché. Deux agences européennes de suivi des substances chimiques viennent pourtant de montrer qu’il était susceptible d’être toxique pour la reproduction. Et plusieurs études ont prouvé qu’il était très répandu.
Les boues issues des stations d’épuration ne seront pas non plus analysées. «C’est incompréhensible, les PFAS absorbés dans les boues sont ensuite épandus dans les champs», alerte Kildine Le Proux de la Rivière. Les boues ainsi polluées contaminent les végétaux, dont les légumes qui se retrouvent dans nos assiettes. Les molécules finissent par s’infiltrer dans les sols… et contaminent à nouveau l’eau des nappes. Selon la chimiste, le décret publié début septembre et celui qui a été repoussé «sont des signaux inquiétants» pour la lutte contre la pollution aux PFAS. Le député Nicolas Thierry qualifiait cette bataille de «scandale sanitaire de ce début de 21ème siècle».
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