Grand entretien

Nicolas Thierry, député à l’origine de la loi sur les PFAS : «c’est le scandale sanitaire de ce début de 21ème siècle»

Ça PFAS ou ça casse. Jeudi 20 février, les parlementaires décideront si les PFAS, ces polluants très persistants et toxiques, seront interdits dans la fabrication de la plupart de nos objets du quotidien. Vert a rencontré Nicolas Thierry, le député écologiste à l’origine de la proposition de loi sur le sujet.
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Elle vise «à protéger la population des risques liés aux substances per- et polyfluoroalkylées» (ou PFAS, ces «polluants éternels»). La proposition de loi (PPL) du député (Les Écologistes) Nicolas Thierry avait déjà été adoptée à l’unanimité au printemps dernier. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale a rebattu les cartes, et elle sera à nouveau soumise au vote, jeudi.

En début de semaine, la ministre de la transition écologique Agnès Pannier-Runacher a apporté son soutien à cette PPL, qui préconise d’interdire les PFAS dans les cosmétiques, textiles et farts de ski.

Ces «polluants éternels» sont utilisés pour leurs caractéristiques imperméabilisantes, ignifuges ou encore anti-adhérentes (notre article). Et les risques qu’ils font peser sur la santé sont nombreux (notre article). Alors que de multiples enquêtes ont révélé la contamination massive de notre environnement, seuls trois PFAS – sur l’ensemble de cette grande famille de molécules – sont interdits en Europe (le PFOS, le PFOA et le PFHxS).

Comment votre proposition de loi sur les PFAS permettra-t-elle de mieux protéger les Français·es de l’exposition à ces substances toxiques ?

La pollution aux PFAS est le scandale sanitaire de ce début de 21ème siècle, que l’on peut comparer à celui de l’amiante ou du chlordécone. Et cette proposition de loi est le dernier acte d’un travail qui a commencé il y a plus de deux ans et qui vise à réglementer l’usage des «polluants éternels». La proposition permettra plusieurs choses :

Elle interdira les PFAS dans un certain nombre de produits : cosmétiques, chaussures, farts de ski… L’interdiction est importante pour les cosmétiques, car les PFAS sont des perturbateurs endocriniens [ils modifient le système hormonal, NDLR]. Quand nous voyons que, sous l’effet des réseaux sociaux, des jeunes filles se maquillent de plus en plus tôt, et qu’elles sont exposées à ces substances pendant leur puberté, nous déduisons que c’est un grand sujet de santé publique.

«Si la loi était votée, cela ferait de la France l’un des pays avec la législation la plus ambitieuse sur les polluants éternels.»

La PPL rendra aussi obligatoire le contrôle des PFAS dans l’eau potable, partout sur le territoire national. Et elle instaurera une taxe pollueur-payeur, pour que les industriels payent la dépollution dont ils sont responsables depuis cinq ou six décennies.

Quelles mesures auriez-vous aimé voir dans cette loi, et qui n’ont pas pu y figurer ?

Évidemment, ce texte n’est pas en tout point celui que j’aurais idéalement voulu écrire. Si j’avais eu une majorité derrière moi à l’Assemblée, j’aurais proposé une interdiction générale des PFAS dès 2027, hormis usages absolument essentiels. J’aurais aussi souhaité qu’ils soient prohibés des ustensiles de cuisine… La réalité, c’est que je n’ai pas le rapport de force politique pour l’imposer (notre article).

Si la loi était votée, ça ferait tout de même de la France, avec le Danemark, l’un des pays avec la législation la plus ambitieuse sur les polluants éternels. Dans un contexte de reculs politiques sur l’écologie, nous avons fait le choix de renoncer, pour l’instant, à un certain nombre d’ambitions, afin de préserver les mesures qui pourraient passer, et qui constitueraient déjà un tournant décisif dans la lutte contre les PFAS.

Nicolas Thierry. © DR

Si le loi est votée, les Agences régionales de santé seront obligées de communiquer les résultats de leurs analyses de l’eau une fois par an, d’une façon accessible aux citoyens et citoyennes – par voie numérique.

Au 1er janvier 2026, l’Europe imposera aux États membres de rechercher une liste de 20 PFAS lors des contrôles de l’eau potable. Si la PPL est adoptée, chaque région aura la possibilité d’aller détecter d’autres PFAS, non prévus par l’Europe, en fonction de son histoire économique et industrielle. Je pense au TFA par exemple [le plus petit de cette grande famille de molécules, NDLR], celui que l’on retrouve en plus grande quantité dans l’eau en France et en Europe (notre article). Il ne fait pas partie des 20 substances qui seront obligatoirement contrôlées par les autorités à partir du 1er janvier 2026.

La loi permettra-t-elle vraiment de faire appliquer le principe de pollueur-payeur, en offrant aux communes la possibilité de financer la dépollution de l’eau avec l’argent des industriels ?

Elle va les aider, mais elle ne va pas résoudre le problème. Nous avons réussi à faire inscrire une traduction du principe de pollueur-payeur dans ce texte. Si, quand je me suis battu pour cette loi à l’Assemblée, j’avais fixé le taux de la taxe à un niveau aussi élevé que je l’aurais souhaité, je n’aurais pas été soutenu par suffisamment de parlementaires.

«Ce ne sont pas les petites PME qui seront soumises à la taxe sur les PFAS, mais les gros producteurs.»

Si la loi est adoptée, elle rendra obligatoire la recherche de PFAS partout sur le territoire national. Je vous assure que la carte de qualité de l’eau ne va plus du tout ressembler à celle d’aujourd’hui : on verra des dépassements des normes partout en France.

Des milliers de communes se demanderont comment adapter leur station de traitement à cette nouvelle donne. Et pour trouver des financements, elles pourront s’appuyer sur ce dispositif de redevance.

La taxe prévue par la proposition de loi est de 100 euros pour 100 grammes de PFAS rejetés. Cela représentera environ dix millions d’euros par an. Le produit de la taxe ira dans les caisses des agences de l’eau, qui elles-mêmes aideront les communes les plus en difficulté sur leur territoire. Nous trouverons plus tard un moyen d’augmenter cette taxe, lors du vote du prochain budget, par exemple.

Nicolas Thierry, à l’Assemblée nationale, en février 2023. © AN

Ce ne sont pas les petites PME qui mettent des PFAS dans les objets qu’elles fabriquent qui seront soumises à cette taxe, mais bien les gros producteurs de ces substances [Daikin, Arkema et d’autres, NDLR], qui se comptent sur les doigts d’une main. Ils alimentent historiquement tous les secteurs manufacturés ou industriels de ces substances et génèrent des bénéfices record.

Au printemps dernier, lors des discussions sur la proposition de loi, le lobbying des industriels, comme SEB, avait entraîné le retrait des ustensiles de cuisine de la liste des articles sans PFAS. Cette pression a-t-elle refait surface ces dernières semaines ?

Il y a toujours eu une pression extrêmement forte des industriels, et ça a bien été le cas ces dernières semaines. Ils multiplient les rencontres avec des députés et ciblent des groupes politiques. Les journalistes de Complément d’enquête ont montré qu’en avril dernier, les industriels avaient envoyé des notes et des éléments de langage tout prêts aux députés, afin d’empêcher le vote de la loi.

Aujourd’hui, ils utilisent une autre technique. Ils proposent à certains députés de faire adopter un amendement, car si un seul amendement est retenu jeudi, cela renverra la proposition de loi au Sénat, par la navette parlementaire. Cela signifierait repartir pour des années de discussions.

Plusieurs députés m’ont rapporté que le groupe SEB [l’entreprise qui possède la marque de poêles Tefal, connue pour utiliser des PFAS, NDLR] avait pris contact avec eux pour leur expliquer à quel point cette loi était dangereuse pour l’industrie.

«Le vote de jeudi, même si nous sommes très soutenus, ne tient qu’à un fil.»

En commission développement durable la semaine dernière, le groupe Rassemblement national (RN) a déposé une bonne partie des amendements qui reprenaient les arguments des industriels. À savoir : «il faut regarder la dangerosité des PFAS molécule par molécule, plutôt que d’interdire toute la famille d’un coup», ou encore «il faut attendre que l’Europe se positionne».

C’était un festival. Si les industriels eux-mêmes avaient siégé dans la commission, nous aurions entendu les mêmes propos, mot pour mot. Nous avons réussi à repousser ces amendements, mais c’était un bon révélateur, pour savoir quels groupes politiques sont les plus perméables au lobbying de l’industrie.

Pour éviter cette stratégie de l’enlisement, nous avons mené un gros travail de sensibilisation auprès de tous les groupes politiques et députés, avec des scientifiques, la CGT, l’association Générations futures, mais aussi La ligue contre le cancer, l’ONG Notre affaire à tous ou encore l’activiste Camille Étienne. Le vote de jeudi, même si nous sommes très soutenus, ne tient qu’à un fil. Il dépendra de la mobilisation dans l’hémicycle.

Quelle est la prochaine étape dans la lutte contre la pollution aux PFAS ?

La deuxième étape, si nous arrivons à faire voter la loi, sera d’ouvrir de nouveaux chantiers. En premier lieu, faire en sorte de mieux protéger tous les salariés qui travaillent dans l’industrie et la filière chimie. La proposition de loi n’aborde pas la reconnaissance des maladies professionnelles.

Ensuite, il faudra s’attaquer à la pollution historique. Les industriels polluent des sites qui sont devenus extrêmement contaminés. Le coût de la dépollution est donc exorbitant, et il faudra mener ce combat pour savoir qui paye, et pour pouvoir vivre sur ces territoires sans risquer de développer des pathologies.

Troisième sujet : les rejets des industriels dans l’air, qui sont encore assez mal mesurés. Nous avons de premiers outils, mais il faut encore compléter la loi à ce sujet.

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