Le vert du faux

Les 11 questions que tout le monde se pose sur les PFAS, ces «polluants éternels» qui envahissent nos vies

Perdre la Pfas. Poêles, textile, emballages alimentaires, médicaments : les PFAS, ces substances chimiques qualifiées de «polluants éternels» sont absolument partout autour de nous et on les connaît encore trop peu. On fait le tour de la question pour vous aider à mieux cerner cet enjeu majeur pour la santé publique et l’environnement.
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Les PFAS, c’est compliqué. Pour tenter d’y voir plus clair et comprendre ces polluants éternels que l’on retrouve partout dans nos vies, nous avons fait appel à trois expert·es : Pauline Cervan, toxicologue et chargée de missions scientifiques et réglementaires pour l’association Générations futures ; Pierre Labadie, chercheur en chimie environnementale au CNRS ; et Anaïs Dubreucq Le Bouffant, directrice des programmes du Réseau Environnement Santé.

Comment ça se prononce ?

«Pifasse», «Péfasse», «Pfas» ou encore «P.F.A.S.»… Il n’existe aujourd’hui pas de consensus, même si la version «Pifasse», avec le p prononcé à l’anglaise, semble la plus courante. L’acronyme PFAS fait référence aux per- and polyfluoroalkyl substances (substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées).

Qu’est-ce que c’est ?

Ces molécules ne sont pas présentes naturellement dans l’environnement. Pour les élaborer, «on prend des hydrocarbures, c’est-à-dire une succession d’atomes de carbone reliés entre eux, auxquels on ajoute des atomes de fluor», détaille Pierre Labadie, du CNRS. Cette liaison carbone-fluor est la plus forte et la plus stable dans le domaine de la chimie organique. «Sachant qu’en multipliant les liaisons carbone-fluor sur une structure carbonée, on va aussi renforcer les liaisons carbone-carbone. C’est cette stabilité qui confère aux PFAS leurs propriétés remarquables et leur persistance».

Où les trouve-t-on ?

On utilise principalement les PFAS pour leurs propriétés anti-adhésives, anti-feux et imperméables. On peut les trouver dans les vêtements de pluie, le revêtement anti-adhésif des poêles (notamment le Téflon), les emballages alimentaires, les cosmétiques waterproof, les mousses anti-feu ou encore dans le fart pour améliorer la glisse des skis. «Il y en a partout ! Ce sont des molécules presque magiques, qui peuvent se combiner et se décliner à l’infini», note Anaïs Dubreucq Le Bouffant, du Réseau Environnement Santé. De nombreux pesticides sont ou contiennent des PFAS. «Cela donne une plus grande persistance et efficacité au pesticide, mais le revers de la médaille, c’est que ça améliore également sa persistance dans l’environnement», détaille Pauline Cervan, de Générations futures.

Pourquoi dit-on qu’ils sont «éternels» ?

Le qualificatif de polluants «éternels» attribué aux PFAS fait référence à leur persistance dans le corps humain et dans l’environnement. «Ces molécules, très stables en contexte industriel, résistantes à la chaleur et aux agents chimiques, sont aussi persistantes. Pour un grand nombre de PFAS, aucun processus de dégradation n’a été mis en évidence. Concrètement, cela signifie qu’une fois émis dans l’environnement, ils y restent», précise Pierre Labadie.

Les PFAS sont notamment utilisés pour leurs propriétés imperméables. © Getty Images/Unsplash

De quand datent les premiers PFAS ?

Les premiers PFAS ont été fabriqués aux États-Unis dans les années 1940 par le géant de la chimie DuPont (désormais Chemours)… par hasard. Dans leurs activités de synthèse, les chimistes de DuPont «aboutissent un jour à la création d’un polymère fluoré, dont ils se rendent compte de la très grande stabilité chimique et thermique», retrace Pierre Labadie.

Existe-t-il une définition officielle ?

Pas vraiment. Depuis les années 2010, plusieurs définitions ont été proposées, notamment par l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) et par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). En Europe, c’est cette dernière qui prévaut. «Cette classification est extrêmement large, comprenant des milliers de molécules», souligne Pierre Labadie.

Combien y en a-t-il ?

Il existerait entre 5 000 et plus de 10 000 PFAS. «Il est extrêmement difficile de connaître leur nombre, les industriels en inventant continument. Or, connaître ce nombre, c’est essentiel pour repérer, classer et potentiellement interdire de telles substances», remarque Anaïs Dubreucq Le Bouffant, directrice des programmes du Réseau Environnement Santé. Des familles et des sous-familles de PFAS permettent de s’y retrouver. «La grande distinction concerne les PFAS polymères et les non-polymères. Ces derniers sont des composés de petite taille, assez petite pour pouvoir traverser les membranes cellulaires et induire potentiellement des effets toxiques sur la santé et l’environnement», précise Pierre Labadie.

Quels sont leurs effets sur la santé et sur l’environnement ?

En pénétrant dans l’organisme, les PFAS peuvent avoir de multiples effets délétères, agissant principalement comme des perturbateurs endocriniens (notre article). Leurs impacts cancérogènes sont également étudiés. Les conséquences de PFAS sur la santé sont potentiellement immenses et la liste des menaces déjà bien longue : augmentation du taux de cholestérol, cancers, effets sur la fertilité et le développement du fœtus, sur le foie, sur les reins, etc. Les scientifiques en sont au début de leurs découvertes : «On peut citer par exemple les travaux récents de Sylvie Remaud, chercheuse au Muséum d’histoire naturelle, qui établissent des liens entre imprégnation aux PFAS et développement de la sclérose en plaques», précise Anaïs Dubreucq Le Bouffant.

Quelle est l’ampleur de la contamination ?

«Vous êtes toutes et tous contaminés». C’est par ces mots forts que l’activiste Camille Étienne a lancé son documentaire sur les polluants éternels, Contaminés, réalisé avec Solal Moisan et publié fin mars. «Tout le monde a des PFAS dans le corps», confirme Pauline Cervan, toxicologue pour l’ONG Générations futures. 100% des adultes et des enfants testés dans une vaste étude menée par Santé publique France, révélée en 2019, avaient au moins un PFAS dans le sang. C’est sans compter la contamination des sols et des eaux, et ses nombreux impacts sur la biodiversité et les écosystèmes.

Quelle est la plus grosse source d’exposition aux PFAS ?

Les riverain·es d’usines qui fabriquent des PFAS sont particulièrement exposé·es en raison de la contamination de leur eau potable (notre article), tout comme les employé·es de ces usines qui manipulent les produits au quotidien. Pour la population générale, la principale source d’exposition se trouve dans l’alimentation. Les œufs et la viande accumulent les polluants, notamment dans leurs graisses, tandis que les fruits et légumes peuvent être contaminés par le biais des sols et des eaux.

La présence de PFAS dans les pesticides reste par ailleurs «un angle mort de la lutte contre les polluants éternels. On se concentre beaucoup sur les pollutions industrielles, car elles sont à l’origine de hotspots de contamination très importants, tandis que les pesticides PFAS entraînent une contamination diffuse, mais omniprésente», développe Pauline Cervan, de Générations futures. En 2021, 20% des fruits et 12% des légumes cultivés dans l’Union européenne contenaient des résidus d’au moins un pesticide PFAS, a révélé l’association dans une récente étude. Une proportion qui a presque triplé entre 2011 et 2021 (+220% pour les fruits et +247% pour les légumes).

Comment se mobiliser contre les PFAS ?

En tant que citoyen·ne, on peut évidemment boycotter les entreprises qui utilisent des polluants éternels (dont Tefal dans ses ustensiles de cuisine) et se tourner vers les marques qui s’en passent d’ores et déjà. «On peut aussi soutenir les associations qui luttent contre les polluants éternels, comme Générations futures», suggère Pauline Cervan. Mais «le principal moyen d’action repose sur les choix politiques, c’est-à-dire se rendre compte que certains décideurs préfèrent favoriser les enjeux économiques que la santé et l’environnement, et en avoir conscience pour voter au mieux, notamment pour les élections européennes à venir», plaide la toxicologue. C’est notamment le sens de la proposition de loi déposée par les écologistes étudiée ce jeudi 4 avril 2024. À l’échelle plus locale, plusieurs collectivités comme Lyon ou Grenoble viennent d’attaquer en justice plusieurs industriels pour faire reconnaître leur responsabilité dans la contamination des environs et leur faire assumer le coût de la dépollution. Le paiement de la facture des PFAS est actuellement au cœur de nombreux débats (notre décryptage).

Cet article est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, questions d’actualité, ordres de grandeur, vérification de chiffres : chaque jeudi, nous répondrons à une question choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez voter pour la question de la semaine ou suggérer vos propres idées, vous pouvez vous abonner à la newsletter juste ici.

Photo d’illustration : AdobeStock