PFAS à face. 238 milliards d’euros chaque année. C’est ce que coûte en Europe la dépollution des PFAS, ces polluants cancérogènes relâchés dans la nature par les géants de la chimie. Une douloureuse que les principaux responsables refusent de payer, en se défaussant sur les collectivités. Décryptage.
Lundi 18 mars, l’entreprise Tefal a annoncé qu’elle souhaitait participer aux frais de fonctionnement de la station de traitement des eaux usées de Rumilly (Haute-Savoie).
Celle-ci décontamine les nappes phréatiques de la commune, gorgées de PFAS, ces polluants persistants, dont certains sont très toxiques pour la santé et l’environnement. Cette initiative de l’industriel est une exception, alors que les collectivités en France doivent d’ordinaire payer de leur poche la dépollution.
«Ce n’est pas un aveu de culpabilité», affirme à Vert une porte-parole du groupe SEB, propriétaire de la marque connue pour ses poêles. Jusqu’en 2012, Tefal a utilisé du PFOA pour rendre ses produits anti-adhésifs. Interdit en 2020 en France, ce composé fait partie de la famille des poly- et perfluoroalkylés (PFAS), des molécules polluantes qui s’accumulent dans l’environnement et le corps humain. Le PFOA a été reconnu cancérogène avéré par le Centre international de recherche contre le cancer (Circ).
Depuis l’automne 2022, la communauté de communes Rumilly Haute-Savoie (CCRTS) doit gérer les effets de la pollution historique sur le réseau d’eau potable. Il y a deux ans, la préfecture de Haute-Savoie a annoncé avoir décelé des «teneurs significatives» de PFOA dans la nappe phréatique. La CCRTS a alors déconnecté le réseau d’approvisionnement des deux captages pollués et l’a raccordé à un réseau du Grand Annecy.
«Les services de l’État ont trouvé cinq entreprises qui pourraient être à l’origine de cette pollution, rappelle la porte-parole de SEB. En participant aux frais, on veut faire partie d’une solution globale». Prudente face à cette annonce, la CCRTS veut «avant toute chose vérifier la faisabilité juridique de cette prise en charge».
Des coûts très élevés pour les collectivités
En décembre dernier, la CCRTS a été l’une des premières à filtrer son eau dans une station de traitement par charbons actifs. Un système très coûteux : 1,5 million d’euros, dont 880 000 euros sont pris en charge par le Conseil départemental et l’État.
Alors que les citoyen·nes attendaient la répercussion des frais de fonctionnement sur leur facture, l’annonce de Tefal a créé la surprise. «On nous a annoncé une augmentation du prix de l’eau et de la taxe foncière de 30% cette année ; on a demandé l’application du principe de pollueur-payeur, mais on nous a répondu que c’était difficile, comme on ne sait pas vraiment qui est à l’origine de la pollution», racontait il y a encore quelques jours l’association Agir ensemble pour Rumilly et l’Albanais (Aera).
238 milliards d’euros par an
Aujourd’hui, les frais de fonctionnement d’un montant d’un peu moins de 400 000€ devraient finalement être pris en charge par Tefal «au moins pour cette année». Pour la suite, des discussions sont en cours entre la CCRTS et l’entreprise.
D’autres collectivités, comme Valence (Drôme) — où un taux de PFAS légèrement au-dessus de la norme européenne a été relevé début 2023 — ont décidé de mettre la main à la poche et supporter le coût d’investissement de ces stations de traitement plus perfectionnées.
Dans l’Union européenne, «le coût total du traitement des eaux potables et usées pour éliminer les PFAS est estimé à 238 milliards d’euros par an», indique le rapport PFAS : pollution et dépendance. Comment faire marche arrière ? du député (Modem) du Rhône Cyrille Isaac-Sibille.
Des filtres à charbons actifs énergivores mais efficaces
La CCRTS de Rumilly a payé le prix fort, mais la technique des charbons actifs a prouvé son efficacité, selon les données de la préfecture Haute-Savoie. Des prélèvements en amont et en aval de la station de Rumilly montrent que «la somme des 20 PFAS est inférieure à 100 nanogrammes par litre, un taux conforme à l’exigence de qualité pour ce paramètre» déclare-t-elle à Vert.
La technologie choisie est la plus couramment utilisée en France : des filtres à charbons actifs piègent les molécules polluantes. Pour rester efficace, les filtres doivent être changés régulièrement et les déchets qui en résultent, saturés de PFAS, doivent être incinérés à très haute température pour être détruits.
Parce que très coûteuses, ces technologies de dépollution ne doivent pas être prises en charge par le consommateur, selon Cyrille Isaac-Sybille, qui recommande la création d’un fonds PFAS pour aider les collectivités à financer la dépollution.
C’est aussi l’avis du député (écologiste) Nicolas Thierry. Il porte une proposition de loi, présentée le 4 avril prochain, qui vise à faire respecter le principe du pollueur-payeur. Il suggère de taxer les rejets de PFAS par les industriels, à hauteur de 1 000€ par kilogramme de PFAS rejeté dans la nature ou dans un système de collecte.
Le député voit l’initiative de Tefal comme une bonne nouvelle, mais insuffisante. «On ne peut pas se contenter d’une initiative individuelle au bon vouloir de chaque industrie, dit-il à Vert. Il est urgent de réglementer les PFAS et de pouvoir les interdire au plus vite». Le député Cyrille Isaac-Sibille, lui, affirme à Vert préférer «interdire les rejets plutôt que les taxer». En effet, l’interdiction n’est pas encore inscrite dans la législation et figure parmi les préconisations de son rapport.
Démocratiser la gestion de la dépollution
Mais comment désigner les entreprises responsables ? Deux ans après la révélation par Envoyé Spécial d’une pollution massive aux PFAS des eaux du Rhône dans la «vallée de la chimie», la métropole de Lyon a annoncé lundi 18 mars poursuivre en justice Arkema et Daikin, deux fabricants de produits dérivés de la chimie du fluor (dont des PFAS).
Le but : diligenter une expertise scientifique pour définir leur rôle dans la pollution du Rhône. En l’absence de réglementation sur les rejets, le préfet avait signé deux arrêtés en 2022 pour accroître les contrôles des points de rejets des deux entreprises.
Depuis, Arkema s’est doté de filtres à charbon pour ses usages industriels, mais pour ce qui est de financer les travaux de dépollution à l’échelle de la métropole, les chimistes refusent de mettre la main au portefeuille.
À Lyon, l’installation de filtres à charbons est estimée à six millions d’euros, et leur remplacement régulier à 600 000€ par an. Sans compter qu’il faudra apporter de l’eau depuis un captage sain en amont de la ville vers le réseau d’eau de Rhône-Sud pour diluer la pollution : un processus qui reviendrait à 30 millions d’euros, explique à Vert Pierre Athanaze, vice-président de la métropole. Selon lui, «ce qu’a fait Tefal à Rumilly, c’est ce qu’on demande à Arkema et Daikin. La plainte, c’est le seul moyen qu’on ait trouvé après deux ans de discussions qui ont été très longues et qui n’ont rien donné».
Vendredi dernier, Grenoble a emboîté le pas de sa voisine et a également attaqué Arkema en justice pour non-respect du principe de pollueur-payeur.
Pour mieux gérer le processus de dépollution, l’association Aera de Rumilly réclame «un droit de regard des citoyens sur la gestion de la pollution à laquelle ils sont exposés, pour que la gestion de la crise soit plus démocratique». Elle demande la mise en place d’un institut écocitoyen, à l’image de celui implanté dans la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-mer (Bouches-du-Rhône) qui regroupe plus d’une centaine d’usines exposant les habitant·es à divers risques sanitaires.
Ces assemblées «composées des collectivités, des exploitants industriels, des chercheurs, des médecins, de la Chambre de commerce», figurent parmi les préconisations du rapport de Cyrille Isaac-Sibille. Elles ont pour but d’acquérir des connaissances scientifiques sur les risques sanitaires et environnementaux des territoires soumis à des pollutions industrielles.
Pour la CCRTS de Rumilly, «ce n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant». La métropole lyonnaise est plus enthousiaste. Pierre Athanaze rapporte que «des discussions sont en cours avec les associations et les instituts des autres collectivités polluées». «Il faut qu’ils soient complémentaires pour gagner du temps, ajoute-t-il. En attendant une décision de justice, il faut supporter le fait que les habitants boivent de l’eau avec des taux de perfluorés élevés.»
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