Reportage

Près de Lyon, des centaines de militants envahissent l’usine Arkema pour dénoncer ses rejets de polluants éternels

La réalité en PFAS. Samedi, l’usine Arkema de Pierre-Bénite (Rhône) a été visée par une vaste opération militante organisée par Extinction rebellion et Youth for climate. Vert y était.
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«Arkemagouilles», «Arke­ma nous empoi­sonne», «Pol­lueurs éter­nels» : le site lyon­nais du chimiste Arke­ma a été «redé­coré» par quelque 300 per­son­nes dans le cadre d’une action coup de poing. En début d’après-midi, ce same­di, un raz de marée de per­son­nes vêtues de com­bi­naisons blanch­es s’est déver­sé sur l’usine, dont une grosse cen­taine a réus­si à pénétr­er dans l’enceinte de l’entreprise.

Les militant·es se sont introduit·es dans l’enceinte de l’usine en découpant des grillages. © Youth for climate

«Nous avons appelé cette opéra­tion “Journée portes entr’ouvertes” : ouvertes, car le but, c’est d’aller vers plus de trans­parence de la part d’Arkema sur le sujet des pol­lu­ants éter­nels, et fer­mée, parce qu’on veut fer­mer les vannes des pro­duits chim­iques rejetés dans le Rhône par l’entreprise», a expliqué à Vert Julien, porte-parole de l’action.

De petits groupes ont notam­ment déployé d’immenses ban­deroles depuis le toit de l’usine. «Poi­son», pou­vait-on lire sur l’une d’elles ; «Habitant·es intoxiqué·es, Arke­ma doit pay­er», indi­quait l’autre. Devant l’usine, un groupe de militant·es a ten­té de blo­quer le por­tail d’accès des camions de livrai­son en érigeant un mur en parpaings. Plus loin, une joyeuse fan­fare fai­sait chanter un groupe d’une cen­taine de per­son­nes sous les regards agacés des forces de l’ordre, présentes en nom­bre.

Une groupe d’une grosse centaine d’activistes a été repoussé devant l’entrée de l’usine, où il chantait et dansait sur les airs entraînants joués par une fanfare. © Justine Prados / Vert

La cible du jour n’a pas été choisie au hasard : le géant de la chimie Arke­ma est tris­te­ment con­nu dans l’agglomération lyon­naise pour avoir con­t­a­m­iné les envi­rons en reje­tant des pro­duits chim­iques pen­dant des années. L’usine de Pierre-Bénite pro­duit notam­ment du Kynar, un ther­mo­plas­tique que l’on retrou­ve dans les secteurs du bâti­ment, des renou­ve­lables, de la cli­ma­ti­sa­tion ou de l’électronique.

Pour ce faire, Arke­ma utilise des PFAS, des com­posés poly- et per­flu­o­roalkylés qual­i­fiés de «pol­lu­ants éter­nels» en rai­son de leur per­sis­tance dans les organ­ismes vivants et les écosys­tèmes. En 2022, deux enquêtes du jour­nal­iste Mar­tin Boudot avaient dévoilé la pol­lu­tion éten­due des alen­tours du site d’Arkema, dont des rejets de l’usine déver­sés dans le Rhône aux con­cen­tra­tions en PFAS 36 414 fois plus élevées que l’eau en amont (notre arti­cle). L’industriel a fini par s’engager à ne plus utilis­er de PFAS dans ses procédés d’i­ci à la fin 2024.

L’usine Arke­ma de Pierre-Bénite. © Jus­tine Pra­dos / Vert

Une action marquée par une importante répression

Les militant·es ont martelé trois reven­di­ca­tions : dans un pre­mier temps, la prise en charge de la dépol­lu­tion des sols et eaux con­t­a­m­inés par les per­flu­o­rés rejetés par Arke­ma et une répa­ra­tion finan­cière pour les employé·es et les riverain·es du site touché·es par les pol­lu­tions. Dans un sec­ond temps, l’application du principe de pré­cau­tion sur cette famille de pol­lu­ants, «plutôt que d’attendre que les gens soient malades dans dix ans pour réalis­er des études épidémi­ologiques sur leur dan­gerosité», a souligné le porte-parole.

L’inarrêtable fan­fare, sym­bole d’une opéra­tion qui se voulait «dans la joie et la bonne humeur», a réson­né dans le quarti­er de l’usine pen­dant plusieurs dizaines de min­utes. Au grand dam des policiers, dont l’un n’a pu s’empêcher de pester : «On peut pas les faire taire ceux-là ?».

L’entrain des activistes a été entaché par la répres­sion des forces de l’ordre. Les CRS ont repoussé le groupe de militant·es sur plusieurs cen­taines de mètres, n’hésitant pas à charg­er et user de gaz lacry­mogènes à quelques mètres d’une voie fer­rée (en fonc­tion­nement) et d’un stade de foot où des enfants jouaient un match. Ce même ter­rain où des prélève­ments avaient révélé des seuils de PFAS 83 fois supérieurs aux normes lors de l’enquête de Mar­tin Boudot. Trois blessures ont été rap­portées par les équipes de medics sur place, dont une poten­tielle frac­ture, d’après Youth for cli­mate.

La fan­fare a réson­né pen­dant plusieurs dizaines de min­utes, sous les regards agacés des forces de l’ordre. © Jus­tine Pra­dos / Vert

Huit per­son­nes ont été inter­pel­lées, a con­fir­mé la pré­fec­ture auprès de Vert. Les per­son­nes étaient encore en garde à vue dimanche soir. «Nous con­damnons un tel acte, qui non seule­ment per­turbe forte­ment l’outil de tra­vail de plus de 500 salariés, mais peut égale­ment faire courir des dan­gers aux salariés et aux man­i­fes­tants», a réa­gi le directeur de l’usine, Pierre Clousi­er.