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Polluants « éternels » près de Lyon : un scandale sanitaire et politique

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Le dernier numéro de l’émission Envoyé Spé­cial a révélé la présence de per­flu­o­rés — qual­i­fiés de « pol­lu­ants éter­nels » — dans l’eau, l’air et le sol de la com­mune de Pierre-Bénite, près de Lyon, où est instal­lée une usine du chimiste Arke­ma. Le jour­nal­iste Mar­tin Boudot, qui a réal­isé l’enquête, dénonce un scan­dale envi­ron­nemen­tal, san­i­taire et poli­tique.

Les per­flu­o­rés (ou PFAS) sont util­isés par l’industrie pour leurs pro­priétés anti-adhé­sives, anti-tâch­es, ignifuges, hydrofuges et anti-graisse. On les trou­ve sous forme de gaz, de poudre ou de plas­tique. Ils con­stituent une famille de com­posants chim­iques com­plex­es, regroupant 4 730 com­posés syn­thé­tiques (dont les PFOA et les PFOS). Ces sub­stances de syn­thèse sont con­sti­tuées de chaînes car­bonées dont les atom­es d’hydrogène sont par­tielle­ment ou totale­ment sub­sti­tués par des atom­es de flu­or. Cela en fait la liai­son la plus forte de la chimie organique, ren­dant qua­si­ment impos­si­ble sa dégra­da­tion dans l’environnement — d’où leur surnom de « pol­lu­ants éter­nels ». Ils peu­vent notam­ment affaib­lir les sys­tèmes immu­ni­taires et causer des can­cers.

À Pierre-Bénite, où se trou­ve un site indus­triel du chimiste Arke­ma (spé­cial­isé dans la pro­duc­tion du Kynar, un nou­veau ther­mo­plas­tique), le jour­nal­iste d’investigation Mar­tin Boudot a effec­tué des prélève­ments dans l’eau du Rhône, dans l’air, dans le sol des riverains (du stade de Pierre-Bénite au potager d’un habi­tant accolé à l’usine) et dans le lait mater­nel de 13 jeunes mamans voisines du site. Pour son enquête, il a reçu l’aide du spé­cial­iste mon­di­al de ces pol­lu­ants, Jacob de Boer, prési­dent du départe­ment de Chimie Envi­ron­nemen­tale et Tox­i­colo­gie à l’Université Libre d’Amsterdam.

Résul­tats obtenus grâce aux prélève­ments effec­tués par Mar­tin Boudot avec le pro­fesseur De Boer © France TV

Les résul­tats sont acca­blants : dans l’air, la présence de PFOA est qua­tre à huit fois plus élevée que les valeurs de référence du Pro­gramme des nations unies pour l’environnement. Dans le sol, cinq PFAS dépassent la norme : jusqu’à 6,6 fois plus dans le potager, et 83 fois plus autour du stade de la ville pour le PFUn­DA — un PFAS par­ti­c­ulière­ment tox­ique.

L’étude d’échan­til­lons de rejets de l’usine d’Arkema déver­sés dans le Rhône révèle des con­cen­tra­tions en PFAS 36 414 fois plus élevées que l’eau-étalon. Dans les échan­til­lons d’eau du robi­net provenant des champs cap­tants d’eau potable du Rhône, la norme est dépassée pour 20 PFAS. Au total, plus de 200 000 per­son­nes sont con­cernées. Dans le lait mater­nel enfin, deux PFAS anci­en­nement util­isés par Arke­ma (le PFOA et le PFNA) sont retrou­vés en quan­tités impor­tantes.

Résul­tats obtenus grâce aux prélève­ments effec­tués par Mar­tin Boudot avec le pro­fesseur De Boer © France TV

Pour le pro­fesseur de Boer, venu à Lyon présen­ter les résul­tats aux riverain·es, « les niveaux trou­vés néces­si­tent des mesures pour réduire l’ex­po­si­tion humaine aux PFAS, comme la fer­me­ture et l’as­sainisse­ment de cer­taines zones telles que le stade, et un meilleur net­toy­age de l’eau potable. Sans compter évidem­ment, l’ar­rêt des rejets de PFAS dans l’en­vi­ron­nement par l’in­dus­trie locale. »

La société Arke­ma, qui n’a pas répon­du aux sol­lic­i­ta­tions du jour­nal­iste, a fait savoir qu’elle n’utilisait plus ce genre d’additifs depuis 2009. Elle envis­agerait égale­ment de cess­er d’utiliser des per­flu­o­rés à par­tir de 2024 sur le site de Pierre-Bénite.

Prév­enue, la min­istre Bar­bara Pom­pili a annon­cé avoir dili­gen­té une enquête sur cette entre­prise. Mer­cre­di, un nou­v­el arrêté a aus­si été pub­lié pour élargir la liste des sub­stances chim­iques sur­veil­lées dans les eaux de sur­face et souter­raines. Ven­dre­di midi, le maire de Pierre Bénite, Jérôme Moroge, a annon­cé dépos­er plainte con­tre X.

Mar­tin Boudot note qu’aucun plan n’est prévu pour net­toy­er l’environnement de ces pol­lu­ants éter­nels. Surtout, la France n’a tou­jours pas instau­ré de norme sur l’usage de ces sub­stances, dit-il à Vert« les entre­pris­es ne respectent pas la régle­men­ta­tion, car il n’y en a pas ; les syn­di­cats des eaux n’analysent pas les résidus, car la norme européenne n’est pas encore trans­posée. La France est donc en retard, c’est un vrai scan­dale ! ».

Ini­tiée en 2019, cette enquête s’inspire du film « Dark Waters ». L’acteur Mark Ruf­fa­lo y incar­ne l’av­o­cat améri­cain Robert Bilott, qui se démène pour révéler et dénon­cer les pra­tiques tox­iques de l’en­tre­prise chim­ique DuPont, en Vir­ginie occi­den­tale. L’eau des envi­rons y est pol­luée par des PFOA util­isés pour fab­ri­quer des pro­duits util­isant du téflon, con­t­a­m­i­nant alors 70 000 per­son­nes pen­dant près de 40 ans. « De nom­breux scan­dales liés à l’usage de ces pro­duits chim­iques ont, depuis, été révélés aux États-Unis, mais aus­si en Ital­ie, en Hol­lande et en Bel­gique, mais rien en France, explique Mar­tin Boudot. Dans la lit­téra­ture sci­en­tifique pour­tant, j’ai trou­vé deux arti­cles de 2012 rela­tant des pol­lu­tions de ce type dans l’Oise et en ban­lieue Lyon­naise ». Son émis­sion, Vert de rage, revien­dra plus longue­ment sur le sujet d’ici à la fin de l’année.