Ils sont partout autour de nous, mais nous ne savons pas toujours ce qu’ils sont. Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des substances qui imitent, bloquent ou modifient nos hormones naturelles. Or, ces dernières sont les messagères des informations entre nos organes.
Le dérèglement du système hormonal peut engendrer de nombreux problèmes de santé : cancers, asthme, diabète, problème de reproduction et d’infertilité, de neurodéveloppement (troubles du spectre autistique (TSA) ou de déficit de l’attention (TDAH)), etc. La liste est longue comme celle de ces substances.
Les principales familles de perturbateurs endocriniens
Parmi les plus connus, on retrouve :
- la famille des bisphénols, qu’on trouve dans les biberons ou les tickets de caisse ;
- les phtalates, dans le PVC, les jouets en plastique ou les cosmétiques ;
- les parabènes, dans de nombreux produits d’hygiènes ;
- certains pesticides, dont les néonicotinoïdes ou le glyphosate ;
- les composés perfluoro-alkylés (les «PFAS»), dans les poêles anti-adhésives et les vêtements imperméables entre autres ;
- des métaux lourds comme le mercure (dans les smartphones ou les poissons prédateurs dont le thon, la dorade ou le bar), le plomb (dans la peinture) ou le cadmium (dans le tabac ou certains engrais) ;
- les composés bromés des retardateurs de flamme, qu’on retrouve dans certains vêtements, tapis, meubles en tissu, peluches et autres jouets en plastique recyclés.
Issus de l’industrie chimique pour l’essentiel, les PE sont désormais omniprésents dans nos environnements : «À l’avenir, nous aurons des maladies chroniques, et nos enfants aussi» du fait de leur multiplication, avertit Mélanie Popoff, médecin et cofondatrice de l’Alliance Santé Planétaire, association qui lie santé publique et environnement.
Les PE bouleversent les principes de la toxicologie classique. «La dose ne fait pas forcément le poison. Il n’y a pas besoin d’une grande quantité pour perturber le système hormonal, précise Mélanie Popoff auprès de Vert. Certaines périodes de la vie nous rendent plus vulnérables». Parmi ces périodes de vulnérabilité : les 1 000 premiers jours d’un enfant (grossesse comprise), la puberté et la ménopause. La précaution vis-à-vis de ces substances est d’autant plus importante à ces moments de la vie.
Gare au terrible «effet cocktail» : des substances ne posant aucun risque sur la santé de manière isolée peuvent devenir problématiques, voire dangereuses, si elles sont mélangées à d’autres. Autrement dit : 0+0+0+0+0 = 1, comme l’explique Mélanie Popoff dans son livre Perturbateurs endocriniens, on arrête tout et on réfléchit (Rue de l’Échiquier, 2023).
Malgré leur quasi-omniprésence dans nos vies, il est possible de minimiser l’exposition aux PE. «Si on passe d’une exposition de 80 substances par jour à 45, notre organisme sera capable d’éliminer une partie au moins des substances. On peut ainsi limiter les maladies en lien avec ces expositions chimiques», explique à Vert Patricia Rannaud-Bartaire, pédiatre spécialisée dans les troubles hormonaux liés aux perturbateurs endocriniens.
Voici les précieux conseils des expertes interrogées par Vert pour se protéger au maximum des perturbateurs endocriniens dans chaque pièce de nos logements.
Dans la cuisine
De nombreux fruits et légumes sont traités avec des pesticides reconnus perturbateurs endocriniens. Bien laver ses fruits et légumes, et consommer le plus d’aliments biologiques permet de limiter cette exposition. On évite les plats ultra-transformés, dont les emballages contiennent plusieurs perturbateurs (phtalates, bisphénols, perfluorés), et on privilégie la nourriture faite maison.
Côté cuisson, les casseroles et poêles aux propriétés antiadhésives (celles en Téflon, notamment) contiennent des PFAS, qualifiées de «polluants éternels» en raison de leur durée de vie dans l’environnement. On peut les remplacer par des poêles en fonte ou en inox.
Les emballages en plastique, à usage unique ou réutilisables, sont à éviter au maximum. Opter pour des contenants en verre limite l’exposition aux bisphénols, aux phtalates et aux PFAS. «Il faut éviter au maximum les boites en plastique, explique à Vert Mélanie Popoff. Il ne faut pas les faire passer au micro-ondes, ni y mettre des produits gras, certains PE étant lipophiles», c’est-à-dire qu’ils se logent dans les substances grasses. Il est préférable de transvaser son repas dans une assiette avant de le réchauffer. Mieux vaut aussi éviter l’eau en bouteille, d’autant plus quand elle a été réchauffée par le soleil.
Vigilance toute particulière pour les nouveaux-nés : avant 2013, «les biberons en plastique contenaient du bisphénol A. Les industriels l’ont remplacé par d’autres bisphénols, mais ces derniers posent des problèmes similaires», alerte Mélanie Popoff. Ces derniers agissent de la même manière dans le corps et ils sont aussi des PE. Le biberon en verre reste donc le plus fiable.
Dans la salle de bain
Dans les produits d’hygiène et de beauté, un seul mot d’ordre : la simplification. Les savons, crèmes, shampoings, parfums, lingettes, déodorants et maquillage peuvent contenir une foule de substances aux effets perturbateurs pour le système hormonal : composants antimicrobiens (dont les parabènes), assouplissants (les phtalates, par exemple), désinfectants (formaldéhydes) ou conservateurs (éther glycol).
Pour les éviter, on réduit le nombre de produits utilisés, on privilégie les produits naturels ou labellisés sans PE (biologique, Ecolabel, Ecocert, etc.), ainsi que ceux qui contiennent peu d’ingrédients.
Les serviettes, tampons et coupes menstruelles ne sont pas épargnés. Des études de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) ont révélé la présence de perturbateurs endocriniens (dont le quintozène, le lindane, des phtalates, etc.) dans les protections hygiéniques. Bien «qu’aucun dépassement des seuils sanitaires n’a[it] été mis en évidence». L’agence recommande notamment les protections dépourvues de substances parfumantes.
Dans la chambre à coucher
Les vêtements synthétiques contiennent un certain nombre de substances chimiques (formaldéhydes, phtalates, etc), tout comme ceux en coton issu de cultures intensives (pesticides notamment). On privilégie les habits labellisés (Gots ou Oeko-Tex par exemple) et en matières naturelles (lin, coton, laine) et on n’oublie pas de laver tous les textiles neufs avant de les porter. On fait aussi attention aux vêtements imperméables, qui contiennent des PFAS.
C’est une véritable épidémie : «Il y a des retardateurs de flamme partout aujourd’hui», déplore Mélanie Popoff. Des composés bromés qu’on retrouve «dans les pyjamas, les matelas, les peluches, les jouets… Or, on ne se chauffe plus à la bougie donc le risque incendie est moindre aujourd’hui. La balance bénéfice-risque est en la défaveur de ces produits aujourd’hui». On offre des jouets en bois, des pyjamas et des peluches en matière naturelle. Acheter d’occasion est une bonne alternative pour compenser le coût d’objets plus chers que leurs «versions chimiques» trouvables en neuf.
En plus des retardateurs de flammes, les lits peuvent contenir des fongicides et insecticides pour limiter la présence de bactéries ou d’acariens. Il est préférable de choisir des matelas en matières naturelles (latex, laine), si possible biologiques.
Dans le salon
Les meubles en kit, en bois aggloméré ou en plastique sont bourrés de composants toxiques (solvants, colles, vernis, etc). Quand c’est possible, on favorise l’achat de meubles en bois massifs et non traités. Si ce n’est pas le cas, on peut aérer au maximum ses meubles avant de les monter et de les installer pour limiter l’exposition. Là aussi, pas besoin d’acheter du mobilier neuf : il y a de quoi trouver des pépites à moindre prix en seconde main.
Votre chat se pavane sur votre canapé ? Attention aux anti-parasitaires, composés de néonicotinoïdes — ces pesticides «tueurs d’abeilles» interdits définitivement dans les cultures françaises en 2023. Des méthodes dites «mécaniques» peuvent suffire, comme brosser ses animaux et appliquer sur le pelage de la terre de diatomée.
On retrouve des formaldéhydes ou des phtalates dans les sols en PVC, les peintures, mais aussi les vernis et les colles. Lors de son aménagement ou sa décoration, on tente de conserver le vieux plancher ou le carrelage et on opte pour des produits labellisés (FSC, Ecolabel). En période de travaux, l’aération régulière du logement est essentielle pour évacuer les polluants présents dans l’air.
En général
Il est recommandé d’ouvrir en grand les fenêtres au moins dix minutes par jour pour renouveler l’air — été comme hiver. On évite les bougies parfumées et les désodorisants d’intérieur qui contiennent des perturbateurs endocriniens et des irritants respiratoires.
Pour le ménage, on vide son placard de ses produits d’entretiens chimiques et on favorise les produits simples et naturels (vinaigre blanc, bicarbonate de soude, savon noir), qui coûtent souvent moins cher. On limite également l’usage de produits en spray.
La fumée de cigarette contient plus de 4 000 substances chimiques, dont le cadmium. L’arrêt de la cigarette est très fortement recommandé, particulièrement chez les femmes enceintes et en présence d’enfants, pour limiter le tabagisme passif.
Pas un problème d’argent, mais d’information
Si la tâche peut sembler herculéenne, ces gestes simples peuvent avoir des résultats importants pour se prémunir des perturbateurs. «Des études montrent très bien que quand on passe à une alimentation bio, la quantité de pesticides retrouvée dans les urines baisse très, très vite, donc c’est déjà réconfortant, relativise Patricia Rannaud-Bartaire. D’autres études font le lien entre le nombre de produits d’hygiène utilisés et le niveau de contamination par les phtalates. Concrètement, moins on consomme et mieux on se porte».
Par ailleurs, ces gestes ne sont pas accessibles qu’aux ménages les plus aisés, souligne la pédiatre : «D’expérience, l’exposition aux perturbateurs endocriniens n’est pas forcément liée aux conditions économiques, mais plutôt au manque d’information et de compréhension de la dangerosité de certains produits ou habitudes de vie, qui empêchent les patients de faire des choix éclairés. D’autant que beaucoup de gestes peuvent être économiques, comme le fait de préparer soi-même son alimentation, d’acheter d’occasion ou de moins consommer certains types de produits».
Avec le Groupement des hôpitaux de l’Institut catholique de Lille, Patricia Rannaud-Bartaire a créé une maison virtuelle qui permet de mieux cerner les sources d’exposition aux perturbateurs endocriniens dans les différentes pièces de son logement, et les moyens de s’en libérer.
Par ailleurs, prendre soin de sa santé est aussi bon pour l’environnement. Pour Mélanie Popoff, «de manière générale, il faut tendre vers la sobriété chimique, pour notre santé, mais aussi pour le climat et la biodiversité».
Cependant, les individus ne peuvent pas tout. Les industriels, comme la puissance publique, ont un rôle majeur dans cette situation : «Ce n’est pas notre responsabilité de dépolluer nos milieux, la réglementation doit suivre la science et nous protéger de cette pollution subie», rappelle Mélanie Popoff. Mercredi 14 février, la commission des Affaires européennes de l’Assemblée nationale a voté en faveur d’une résolution portée par le député écologiste Nicolas Thierry, qui vise à soutenir une révision du règlement européen sur les substances chimiques (Reach) afin de renforcer l’évaluation de la toxicité des molécules. Il appelle notamment à l’interdiction immédiate des polluants éternels pour certains usages.
S’il fallait ne retenir qu’un mot d’ordre en attendant une meilleure réglementation pour protéger les citoyen·nes : «achetez le moins emballé, le moins neuf, le moins plastifié possible», résume la médecin.
Cet article est issu de notre rubrique Le vert du faux. Idées reçues, questions d’actualité, ordres de grandeur, vérification de chiffres : chaque jeudi, nous répondrons à une question choisie par les lecteur·rices de Vert. Si vous souhaitez voter pour la question de la semaine ou suggérer vos propres idées, vous pouvez vous abonner à la newsletter juste ici.
Photo d’illustration : Tina Dawson / Unsplash