Nouvelles règles. Selon les informations diffusées conjointement vendredi 11 mars par France Inter et Libération, le ministre de la Santé s’apprête à publier un décret qui obligera les fabricants à afficher clairement la composition des serviettes et tampons hygiéniques à compter du 1er janvier prochain. Ces protections contiennent des produits nocifs ou toxiques qui exposent leurs usagères aux perturbateurs endocriniens. Si le texte n’est pas encore négocié avec les fabricants, l’absence d’une telle réglementation permet d’interroger plus largement la façon dont on considère la santé gynécologique des femmes. Pour Sarah du Vinage, co-fondatrice de l’association bordelaise Nouveaux Cycles, les enjeux sociaux, sanitaires et écologiques sont indissociables.
Quels sont les problèmes rencontrés par les utilisatrices des protections hygiéniques ?
Plus de 15,5 millions de personnes sont aujourd’hui concernées par le sujet en France, et huit millions d’entre elles souffrent d’irritations intimes. Les protections menstruelles jetables présentent des risques pour la santé du fait de leur composition : phtalates, bisphénol A, bisphénol S, dioxines et autres additifs pétrochimiques ou pesticides résiduels, dont le glyphosate, font partie du cocktail détonnant mesuré par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) il y a trois ans.
« Malgré les recommandations faites aux fabricants d’améliorer la qualité des protections menstruelles jetables afin d’éliminer ou de réduire au maximum les substances dangereuses, la plupart de ces produits en contiennent encore .»
Au-delà des intolérances et allergies qu’elles peuvent provoquer chez certaines femmes, ces substances sont en partie connues pour être des perturbateurs endocriniens et être associées à différents troubles de procréation, dysfonctionnements hormonaux et cancers. Bien qu’elles dépassent rarement les seuils sanitaires, ces substances toxiques issues de la contamination des matières premières ou des procédés de fabrication sont directement absorbées par la peau.

Comment expliquez-vous ce manque de transparence ?
Parce que les fabricants n’y sont pas contraints ! En l’absence de réglementation leur demandant d’afficher la composition de ces produits, les marques sont peu transparentes sur les composants utilisés et leurs effets sur la santé. D’ailleurs, malgré le rapport de l’Anses recommandant aux fabricants d’améliorer la qualité de ces produits afin d’éliminer ou de réduire au maximum les substances dangereuses, la plupart des produits en contiennent encore.
Ces choix sont aussi guidés par une logique économique. Est-ce vendeur d’indiquer que ces protections contiennent du chlore ou des agents irritants ? Tant que les contrôles et les sanctions ne sont pas renforcées, rien ne figurera sur les emballages.
Ce sujet touche de près la santé féminine, mais il révèle un tabou beaucoup plus profond dont les pouvoirs publics s’emparent encore timidement : la façon dont les femmes vivent leurs règles. Pourquoi ?
En libérant la parole des femmes sur les violences sexuelles, le mouvement #MeToo a également libéré la parole sur d’autres problématiques qui n’étaient jamais abordées dans l’espace public. Les règles en font partie, comme le rapport à la sexualité, la santé gynécologique et la précarité menstruelle, qui, aujourd’hui, concerne deux millions de femmes en France.
Ces thématiques sont au cœur de la mission de notre association, Nouveaux Cycles, créée il y a quatre ans, suite à une émission que j’animais pour une radio associative. Nous y avons abordé les approches alternatives de traitement des douleurs liées aux règles : l’émission a eu tellement de succès que nous avons reçu de multiples sollicitations auxquelles nous ne savions pas répondre. Nous avons cherché des professionnels en mesure d’offrir des réponses, mais il était là aussi compliqué de trouver des interlocuteurs. Ce constat nous a amené à créer un festival [Ragnagnas Party, dont la première édition a eu lieu en octobre dernier à Cenon, en Gironde – voir la vidéo ci-dessous], puis à structurer une action de sensibilisation plus large. Nous travaillons aujourd’hui avec des professionnels de santé, dont l’équipe multidisciplinaire de l’Institut Franco-Européen Multidisciplinaire d’Endométriose (IFEM Endo), un pôle de référence européen spécialisé dans l’endométriose, situé à Bordeaux.
Quels sont vos moyens d’intervention et de sensibilisation ?
Outre le festival, nous organisons des rencontres trimestrielles via lesquelles nous abordons des sujets sérieux à l’aide de formats artistiques. Nous produisons des contenus médiatiques afin de proposer une information claire et vérifiée sur ces questions. Nous intervenons dans les milieux scolaires (collèges et lycées) et en milieu carcéral, et nous effectuons de l’ingénierie de projet pour des collectivités. Nous pilotons notamment, dans six collèges du département des Landes, une expérimentation lancée par le ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes afin de lutter contre la précarité menstruelle.
Sur ce dernier point justement, que constatez-vous sur le terrain, auprès des collégiens ?
La précarité menstruelle touche près de 300 000 collégiennes et lycéennes françaises. C’est un fléau qui cause de l’absentéisme, voire de la déscolarisation. L’expérimentation que nous pilotons permet à chaque fille d’avoir accès gratuitement aux protections hygiéniques. Elle permet aussi de modifier leur perception des règles.
Hélas, la simple mise à disposition de protections ne suffit pas : il faut accompagner le dispositif, se pencher sur la question de l’accès aux toilettes dans les établissements, intégrer les jeunes garçons dans la réflexion pour en faire des alliés, former le personnel pédagogique…
« Il faut associer la santé environnementale aux enjeux de santé publique : lutter contre la précarité menstruelle sans renforcer les problèmes gynécologiques, et favoriser les conditions d’accès à des protections durables et saines. »
Lutter contre la précarité menstruelle ne consiste pas seulement à distribuer des protections ?
Il y a certes la question du coût des règles – estimé entre 3 000 et 8 000 euros au cours d’une vie, auquel remédient les mises à dispositions et les collectes de protections. Mais cela ne suffit pas : la précarité menstruelle n’est pas qu’un enjeu social, c’est un enjeu de santé qui cache des problèmes d’accès à l’eau ou des conditions d’hygiène insuffisantes.
C’est la raison pour laquelle notre association veut aller plus loin que les distributions de protections de marques, qui contiennent des substances néfastes évoquées précédemment. D’autant que ces produits génèrent beaucoup de déchets : plus de deux milliards de tampons et serviettes menstruelles sont jetés en France chaque année, d’après l’association Zero Waste France, qui sensibilise aux problématiques des déchets. Les protections menstruelles sont le cinquième type de déchets en plastique à usage unique le plus répandu sur les plages, avec des impacts sur la pollution des eaux et la biodiversité marine.
Nous voulons trouver de vraies solutions : il faut associer la santé environnementale aux enjeux de santé publique, lutter contre la précarité menstruelle sans renforcer les problèmes gynécologiques, favoriser les conditions d’accès à des protections durables et saines, et les conditions d’usage de celles-ci.