Reportage

Mobilisation à Lyon pour «faire réagir les gens» contre les polluants éternels

Pile ou pfas. Une réunion d'«information festive» sur les PFAS, ces polluants dits «éternels», s'est tenue samedi, place de la République à Lyon. Vert y était.
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Mal­gré le froid mor­dant, les militant·es de L’Al­liance écologique et sociale entendaient bien inter­peller les passant·es en quête de cadeaux de Noël, à la veille de nou­velles étapes judi­ci­aires.

Dans cette région de France qui con­cen­tre de nom­breuses indus­tries chim­iques, c’est une enquête de France télévi­sions qui a ouvert les yeux de beau­coup de gens. Au print­emps 2022, l’émis­sion «Vert de rage» dévoile une pol­lu­tion mas­sive de l’eau et des sols, pointant des rejets pen­dant plusieurs années dans le Rhône de l’u­sine Arke­ma, spé­cial­isée dans la pro­duc­tion de ther­mo­plas­tique (Vert). Depuis, l’industriel a mis en place un sys­tème de traite­ment par char­bons act­ifs et promis l’ar­rêt de l’u­til­i­sa­tion du prin­ci­pal PFAS con­cerné fin 2024. Mais la ques­tion des pol­lu­tions passées n’est pas réglée.

Les PFAS, com­posés poly- et per­flu­o­roalkylés, sont des molécules pol­lu­antes qui, une fois dis­per­sées, se dégradent hyper lente­ment et s’accumulent dans les écosys­tèmes et les organ­ismes vivants. Sous cet acronyme se cache une famille de plusieurs mil­liers de pro­duits chim­iques. Au fil des mois, la pol­lu­tion émerge partout. Le Monde a pub­lié en févri­er 2023 une carte d’Eu­rope indi­quant plus de 17 000 sites con­t­a­m­inés. Les PFAS entrent dans la fab­ri­ca­tion d’une quan­tité impres­sion­nante d’objets du quo­ti­di­en (vête­ments tech­niques, mouss­es à incendie, embal­lages ali­men­taires…).

«On est exposé·es aux PFAS tous les jours»

Si nom­bre de passant·es ont bien vu le stand de vin chaud et de crêpes, la tem­péra­ture les a néan­moins dissuadé·es de s’arrêter. «Les gens passent loin de mon pan­neau d’affichage, je vais le déplac­er !, décide Thier­ry Mounib, prési­dent de l’association Bien vivre à Pierre-Bénite, où est située l’usine. C’est un sujet stres­sant, d’autant plus qu’il touche les enfants. Mais c’est grave, il faut réus­sir à faire réa­gir les gens et que l’on demande l’arrêt de ces pro­duits. On ne doit pas faire comme avec l’amiante».

Eva, 20 ans, est quant à elle venue, car elle a été inter­pel­lée par des affich­es : «Ce sujet me révolte et j’aimerais avoir plus de con­nais­sances pour en par­ler au sein de mon école», explique cette étu­di­ante à l’Ecole nor­male supérieure. «Il ne faut pas juste fer­mer une usine, mais inter­dire ces sub­stances partout», ajoute la jeune femme.

Les militant·es de L’Al­liance écologique et sociale réuni·es à Lyon pour alert­er sur les pol­lu­ants éter­nels. © Aurélie Del­mas / Vert

Der­rière un stand d’informations, Emmanuelle Radiguer est là «pour mon­tr­er com­ment on est exposé·es aux PFAS tous les jours. C’est ignifuge et imper­méable donc il y en a dans les usten­siles de cui­sine, l’habillement, le maquil­lage… et même dans les pro­tec­tions péri­odiques ou les con­tenants de cer­tains pro­duits bio», liste cette nou­velle engagée chez Green­peace. À côté d’elle, Annie s’é­tonne du «décalage entre l’ampleur du phénomène et les réac­tions des gens». Elle compte bien sur la dif­fu­sion du film «Dark Waters», qui racon­te l’histoire vraie d’une pol­lu­tion mas­sive aux per­flu­o­rés out­re-Atlan­tique, mer­cre­di à la télévi­sion, pour faire caisse de réso­nance.

«Le sujet va monter»

D’autant que la bataille judi­ci­aire va con­naître jeu­di une nou­velle étape. Une dizaine d’associations et 47 per­son­nes vont dépos­er un appel devant le tri­bunal. Mi-novem­bre, le référé pénal envi­ron­nemen­tal qu’ils et elles avaient déposé pour obtenir la lim­i­ta­tion des rejets et une étude des risques san­i­taires a été rejeté. Ce mécan­isme juridique est des­tiné à faire cess­er les atteintes à l’en­vi­ron­nement. En par­al­lèle, 34 com­munes, six asso­ci­a­tions et 35 per­son­nes ont déposé une plainte con­tre X fin octo­bre, dénonçant une «mise en dan­ger de la vie d’autrui» et un délit d’écocide.

«On va con­tin­uer à avoir besoin d’un rap­port de force citoyen pour inter­peller les élus. Or dans l’agglomération lyon­naise, beau­coup de gens ne sont pas encore au courant, explique Car­o­line Mil­let, mem­bre d’Alternatiba et porte-parole de l’AES. Le sujet va mon­ter, et cela ne con­cerne pas que Lyon. Quand nous avons décou­vert le prob­lème, on a tout de suite fait le par­al­lèle avec le plomb ou l’amiante».

Par­mi les audi­teurs et auditri­ces d’un sci­en­tifique en rébel­lion en blouse blanche, qui explique au micro les dan­gers des PFAS, Céline de Lau­rens, adjointe à la San­té de la mairie écol­o­giste de Lyon, estime que «l’important est désor­mais de pou­voir faire le lien entre les expo­si­tions et les patholo­gies». La plu­part de ces sub­stances sont en effet de pos­si­bles per­tur­ba­teurs endocriniens et des cen­taines sont poten­tielle­ment can­cérogènes, mutagènes et tox­iques pour la repro­duc­tion. Ven­dre­di 1er décem­bre, le Cen­tre inter­na­tion­al de recherche sur le can­cer (CIRC), basé à Lyon, a d’ailleurs réé­val­ué le PFOA, une des sub­stances de la grande famille des PFAS, «can­cérogène avéré pour l’homme».

Les PFAS entrent dans la fab­ri­ca­tion d’une quan­tité impres­sion­nante d’objets du quo­ti­di­en : vête­ments tech­niques, mouss­es à incendie, embal­lages ali­men­taires… © Aurélie Del­mas / Vert

La pré­fec­ture du Rhône doit aus­si ren­dre sous peu de nou­velles analy­ses por­tant sur les œufs de poules de Lyon et 28 autres com­munes. Les deux cam­pagnes précé­dentes ont mon­tré un dépasse­ment des seuils sur la plu­part des points de prélève­ment. «Si les oeufs sont con­t­a­m­inés à Lyon alors qu’on est en amont de l’usine Arke­ma, quelle est la source ? le sol, l’eau, l’air ? On est juste en train d’ouvrir les yeux sur ce prob­lème, pour­suit l’élue. Pour le moment nous sommes dans une phase de défrichage, analyse-t-elle, cela crée un décalage entre les peurs et le rythme de la recherche en san­té envi­ron­nemen­tale. On est au début d’une longue his­toire».

Présente pour faire enten­dre son témoignage, Stéphanie Escoffi­er, réclame au plus vite de la trans­parence. En 2022, dans le cadre de l’en­quête de France télévi­sions, son lait mater­nel avait été testé et analysé comme étant pol­lué aux per­flu­o­rés : «Il est évi­dent que ce n’est pas anodin pour la san­té. Même si c’est un mes­sage anx­iogène de plus, le fil que l’on tire nous emmène loin et nous devons pouss­er nos élus pour avoir des règle­men­ta­tions ambitieuses, explique-t-elle. On a fab­riqué des “supers molécules” sans savoir com­ment s’en débar­rass­er. Il faut main­tenant oblig­er les indus­triels à ouvrir la boîte de Pan­dore».

Les activistes ne sont en tout cas vis­i­ble­ment pas prêts à lâch­er le morceau. Lun­di 4 décem­bre, ils et elles étaient une cinquan­taine pour blo­quer l’ac­cès à l’u­sine Arke­ma, dénonçant sa respon­s­abil­ité dans la pol­lu­tion de la «val­lée de la chimie».