«Vous le valez bien», répète l’actrice Eva Longoria dans des spots télévisés depuis bientôt vingt ans. La mannequin américaine ne semble pas avoir pris une ride. Son secret ? Les produits anti-âge de l’Oréal Paris, assure-t-elle dans un large sourire. Mais que cachent ces crèmes et sérums phares de la marque française ? Et le rouge à lèvre Lancôme ? Ou encore le maquillage Kiko ?
Quelques jours après avoir été épinglés dans notre enquête, les groupes L’Oréal et Avène ont supprimé les PFAS de la liste des ingrédients de certains produits sur internet. Cliquez là pour lire leur réaction.
Certains de ces produits de beauté contiennent des PFAS (des substances per- et polyfluoroalkylées), des molécules chimiques très utilisées dans les emballages alimentaires, les vêtements imperméables, les pesticides, les poêles antiadhésives (notamment celles de la marque Tefal). Mais aussi – c’est moins connu – les cosmétiques : maquillage, produits anti-rides et crèmes hydratantes.
Les industriels raffolent des PFAS pour leur résistance à toute épreuve. Hélas, une fois relâchés dans l’environnement, ces «polluants éternels» peuvent y persister des centaines à des milliers d’années et posent de nombreux risques pour la santé, notamment humaine. La littérature scientifique a mis en évidence des risques de cancers, de maladies thyroïdiennes, ou encore des problèmes de fertilité.

En concentrant nos recherches sur les principaux commerçants de produits de beauté en France, nous avons détecté plus d’une centaine d’articles sur internet faisant mention d’au moins un de ces PFAS dans leur composition.
Des PFAS pour un effet «lifté»
En croisant les listes des ingrédients affichées sur les sites web des fabricants et les noms des 35 substances PFAS utilisées dans les cosmétiques répertoriées par l’Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux (FDA), nous avons découvert que L’Oréal comptait parmi les grands groupes cosmétiques qui ont recours aux PFAS.
Eva Longoria aurait sans doute des raisons de s’inquiéter de certains produits Revitalift dont elle fait la promotion. Quatre crèmes (jour, nuit, soin hydratant SPF30, visage, contour et cou) ainsi qu’un sérum hydratant lissant de la gamme contiennent un PFAS : de l’acetyl trifluoromethylphenyl valylglycine.
Pourquoi utiliser cette molécule controversée dans sa très populaire gamme anti-rides ? «Ce qui est recherché avec les PFAS dans les crèmes anti-âge, ce sont les effets lifté et hydratant, empêchant l’eau de s’évaporer de la peau pour la « gonfler », en quelque sorte», explique à Vert Zoé Kerlo, toxicologue pour Yuka, application qui note les produits selon leurs effets sur la santé.
Interrogé, le groupe L’Oréal n’a pas détaillé pourquoi il utilisait cette substance potentiellement dangereuse. Dans un mail, l’industriel affirme avoir «choisi d’éliminer progressivement tous les PFAS de ses produits» depuis 2018, et s’engage à les abandonner avant la fin de l’année 2025.

La gamme Revitalift n’est pas une exception : d’autres marques du groupe L’Oréal emploient des PFAS, comme ces deux crèmes hydratantes (ici et là) de chez Biotherm contenant du polyperfluoromethylisopropyl ether. Idem pour Yves Saint-Laurent Beauty, qui a ajouté dans un crayon pour les yeux du perfluorononyl dimethicone : là encore, un PFAS.
Du Téflon chez Lancôme et Kiko
Mais le PFAS que nous avons le plus souvent trouvé, c’est le PTFE. Plus connu sous l’appellation de la marque Téflon, il est très utilisé dans les poêles anti-adhésives. «C’est une molécule synthétisée pour la première fois il y a bientôt un siècle», raconte Laurence Coiffard, enseignante-chercheuse en cosmétologie à l’Université de Nantes.
Aux États-Unis, le Téflon est associé à un vaste scandale sanitaire (raconté dans le film Dark Waters), alors qu’il a longtemps été fabriqué avec du PFOA (un PFAS classé «cancérogène pour les humains» par le Centre international de recherche sur le cancer).
«Le PTFE est une grosse molécule. Il est très improbable qu’elle puisse traverser la peau», tempère Oddný Ragnarsdóttir, chercheuse en chimie de l’université d’Islande et autrice d’une thèse sur le sujet. Si sa recette a changé (il ne contient plus de PFOA), le Téflon reste un PFAS, qui fait peser des risques sur l’environnement et la santé. En outre, il risque d’être avalé si l’on s’en applique sur… les lèvres.
«C’est hallucinant d’avoir eu l’idée de mettre du Téflon dans du rouge à lèvre».
– Laurence Coiffard, enseignante-chercheuse en cosmétologie
Pourtant, c’est bien du PTFE que l’on retrouve dans la version «drama matte» du célèbre rouge à lèvres l’absolu rouge de Lancôme. «C’est hallucinant d’avoir eu l’idée de mettre du Téflon dans du rouge à lèvres», juge Laurence Coiffard. L’industriel a aussi enrichi son fard à joues Blush subtil du même PFAS, comme l’indiquent les sites revendeurs de Sephora et Marionnaud. La liste des ingrédients de ce produit est vierge sur le site de Lancôme.
Du côté de la marque italienne low cost Kiko, on trouve une palette de maquillage pour «des sourcils parfaits en toute occasion» enrichie au PTFE, mais aussi un autre PFAS (attention les yeux) : le polyperfluoroethoxymethoxy difluoroethyl peg phosphate.
Kiko vend également un masque purifiant avec un PFAS au doux nom de methyl perfluoroisobutyl ether. Le PDG de Kiko Cosmetics et son service presse n’ont pas répondu à notre sollicitation. Enfin, si l’envie vous prenait de vous badigeonner tout le corps de PTFE, nous avons repéré la crème solaire Fluide minéral teinté SPF 50+ d’Avène.
Mise à jour du 21 octobre 2024 : Sur la base de la fiche produit de la crème Avène citée ci-dessus, nous avions écrit qu’elle contenait du PTFE. D’après la marque, la composition du fluide minéral a été modifiée en janvier 2023 et le PTFE en a été retiré. La marque a reconnu un oubli dans la mise à jour de la page produit, qui a été remplacée par une nouvelle juste ici, et où le PTFE est bien absent.
Les PFAS peuvent pénétrer la peau
On savait que les PFAS pouvaient entrer dans notre corps à travers l’eau, l’air et les aliments. Une étude de scientifiques de l’université de Birmingham, publiée dans la revue Environment International en juin, nous apprend que les PFAS peuvent aussi être absorbés par la peau.
«Je suspectais quelques pénétrations de PFAS par la peau, mais pas autant», raconte à Vert Oddný Ragnarsdóttir, doctorante en chimie et autrice de l’étude. Autrement dit, les «polluants éternels» appliqués sur notre peau peuvent finir… dans notre sang. «Je suis inquiète pour celles et ceux qui utilisent tous les jours des cosmétiques avec des PFAS, même à des concentrations faibles», raconte la scientifique islandaise, pour qui ceux-ci ne constituent «pas un ingrédient nécessaire» dans les produits de beauté.
Les résultats sont d’autant plus inquiétants quand on sait que les PFAS agissent comme des perturbateurs endocriniens, qui peuvent chambouler le système hormonal. Ceux-ci «peuvent avoir des conséquences sur toute une vie», raconte Zoé Kerlo, avant de les énumérer : «des organes pas correctement développés, un poids anormal, mais surtout des problèmes de fertilité».
Les «Sephora Kids» : un public à risque
Le risque de développer des pathologies à cause de perturbateurs endocriniens est plus élevé chez les enfants et les adolescent·es, puisqu’ils peuvent dérégler leur cycle hormonal.
Certains jeunes ados se ruent régulièrement dans les magasins Sephora (groupe LVMH), le mastodonte de la distribution de produits de beauté. À tel point qu’aux États-Unis, une nouvelle tendance a émergé sur TikTok : celle des «Sephora Kids». En début d’année, le phénomène est arrivé en France, avec des têtes toujours plus juvéniles qui se maquillent. «Ce sont des produits conçus pour l’adulte, et pas pour l’enfant, qui est en plein bouleversement hormonal», regrette Laurence Coiffard.

Si nous n’avons pas relevé de PFAS dans les produits estampillés Sephora, cette chaîne de magasins vend beaucoup de cosmétiques d’autres marques qui en recèlent. Parmi celles-ci, Natasha Denona (du PTFE dans ces fards à paupières), M.A.C (dans ce mascara), Charlotte Tilbury (dans ce crayon) ou encore Laneige (du tetradecyl aminobutyroylvalylaminobutyric urea trifluoroacetate dans ce sérum), une marque bien connue des adolescent·es dont Sephora fait la promotion sur TikTok. Pour l’heure, le service communication de Sephora n’a pas répondu à nos questions.
Les PFAS, toujours autorisés dans les cosmétiques
La présence de PFAS dans les recettes des cosmétiques industriels est aujourd’hui légale. Au printemps dernier, le député écologiste Nicolas Thierry avait proposé une loi pour interdire largement la fabrication, l’importation et l’exportation des PFAS dans un certain nombre d’usages, dont les produits de beauté. Mais le texte n’a pas encore été définitivement adopté ; le calendrier de l’Assemblée nationale ayant été bousculé depuis sa dissolution en juin dernier. En attendant, une partie de la population continue de se barbouiller de «polluants éternels».
À lire aussi
-
Crèmes hydratantes, rouges à lèvres… comment trouver des cosmétiques garantis sans PFAS, ces «polluants éternels» ?
Choisir à pile ou PFAS. Rouge à lèvres Lancôme, mascara M.A.C, crèmes de jour L’Oréal… de nombreux cosmétiques contiennent encore des PFAS, ces polluants qui s’accumulent dans le corps et l’environnement, comme nous le révélions lundi. Dans ce nouveau volet de notre enquête, Vert vous aide à faire le tri dans votre armoire de salle de bains. -
Les 11 questions que tout le monde se pose sur les PFAS, ces «polluants éternels» qui envahissent nos vies
Perdre la Pfas. Poêles, textile, emballages alimentaires, médicaments : les PFAS, ces substances chimiques qualifiées de «polluants éternels» sont absolument partout autour de nous et on les connaît encore trop peu. On fait le tour de la question pour vous aider à mieux cerner cet enjeu majeur pour la santé publique et l’environnement.