Décryptage

Sous le feu des projecteurs, pourquoi Seb continue-t-il d’utiliser des «polluants éternels» dans ses poêles ?

Malgré les polémiques, Seb multiplie les contrefeux médiatiques et continue d’affirmer que ses revêtements antiadhésifs sont «sûrs». Pourquoi continue-t-il d’utiliser des «polluants éternels», alors qu’il sait employer d’autres matériaux inoffensifs, comme l’inox ? Vert s’est invité à l’assemblée générale des actionnaires de Seb pour poser la question à sa direction.
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«Nos revêtements antiadhésifs sont reconnus comme étant sûrs», pouvait-on lire ce mois-ci sur les arrêts de bus de grandes villes, comme à Paris ou Lyon. L’industriel Seb (propriétaire de la marque Tefal) ne lésine pas sur la communication pour rassurer les consommateurs sur le revêtement de ses poêles fabriquées à partir de PFAS (les substances per- et polyfluoroalkylées).

Qualifiés de «polluants éternels» en raison de leur très longue persistance, les PFAS forment une famille de plusieurs milliers de molécules qui ont des effets nocifs sur l’environnement et la santé humaine (cancers du rein et des testicules, maladies thyroïdiennes, problèmes de fertilité…).

Seb sait pourtant fabriquer des poêles sans PFAS

Depuis la fin mars, le groupe Seb est sous le feu des projecteurs. Une proposition de loi portée par l’écologiste Nicolas Thierry prévoyait d’interdire l’usage de ces PFAS dans les ustensiles de cuisine. À quelques jours du vote en première lecture à l’Assemblée nationale, un documentaire de l’activiste Camille Etienne a enfoncé le clou. Poursuivant le travail du Monde, elle expliquait que le fabricant de casseroles se servait d’Adona (un PFAS) dans son revêtement de poêle en PTFE (le fameux Teflon), après avoir utilisé pendant longtemps le PFOA (désormais interdit après avoir été jugé cancérigène par l’OMS). Le PTFE, qui forme ce revêtement noir sur la poêle, est aussi un «polluant éternel», concerné par le projet de restriction européen des PFAS.

Ni une, ni deux, la direction de Seb s’est rendue devant l’Assemblée nationale le 3 avril, avec plusieurs centaines de salarié·es, arguant que le vote de cette loi menaçait 3 000 emplois en France. Une stratégie payante : les ustensiles de cuisine ont été exclus du texte voté à l’Assemblée, qui revient au Sénat la semaine prochaine. Mais depuis, les poêles Tefal restent associées aux PFAS.

Pourtant, des alternatives existent déjà sur le marché : les poêles en céramique, en acier, en fonte ou encore en inox. D’ailleurs, Seb commercialise déjà des poêles à frire en acier inoxydable. Alors que la direction du groupe répondait à ses actionnaires, ce 23 mai à Paris, lors de son assemblée générale, Vert a posé cette question : «Pourquoi continuez-vous à utiliser des polluants éternels pour fabriquer vos poêles, alors qu’il existe des alternatives ?».

«Vous citez des déclarations de chercheurs qui n’ont pas l’intégralité des éléments»

La direction de la communication du groupe, Cathy Pianon, n’a pas répondu directement à notre question. Fidèle à sa communication sur son site internet, Seb affirme que son PTFE ne présente «pas de danger pour la santé humaine». Si ce matériau est encore très peu étudié, comme le concèdent des experts interrogés par l’AFP, dire qu’il «ne présente aucun problème de toxicité, c’est une présentation tronquée de la réalité», assurait Pierre Labadie, directeur de recherche au CNRS en chimie de l’environnement, à nos confrères en avril dernier.

La question de Vert et la réponse de la direction de Seb. © Vert

Interrogée par Vert à ce sujet, la communicante a remis en cause la légitimité de Pierre Labadie : «Vous citez des déclarations de chercheurs qui n’ont pas l’intégralité des éléments. […] Ce n’est pas parce que vous êtes au CNRS que vous avez autorité sur toutes les matières. […] M. Labadie s’est positionné aussi en disant que les poêles étaient sûres». «Non, je n’ai pas dit ça comme ça, rétorque ce dernier auprès de Vert. J’ai pu dire que ce n’est probablement pas pendant la phase d’utilisation du PTFE qu’on rencontre les problèmes les plus importants, mais […] plutôt au moment de la phase de synthèse et d’utilisation dans les phases industrielles».

Cathy Pianon aussi laissé entendre que même François Veillerette, le fondateur de Générations futures, aurait «reconnu» l’innocuité du PTFE dans un article du Parisien. Nous n’avons pas retrouvé une telle déclaration. Seb fait-il référence à cet article de mars 2023 ? Le militant écologiste expliquait alors que les PFAS ne présentaient «pas de danger immédiat, on ne peut pas tomber malade du jour au lendemain en buvant une eau contaminée», avant d’ajouter, «en revanche, c’est un produit cancérigène et un perturbateur endocrinien aux effets multiples». Contacté par Vert, François Veillerette confirme : «Au contraire, lorsque l’on regarde tout le cycle de vie du PTFE, on s’aperçoit qu’il pollue».

«Une présentation tronquée de la réalité»

Bien que le groupe Seb ne semble pas déterminé à changer la recette de ses poêles au PTFE, le fabricant a tenté de déminer le sujet auprès de ses actionnaires, en distinguant certains «PFAS préoccupants» d’autres qui le seraient moins. Or, pas de bons ou de mauvais PFAS, selon Pierre Labadie : «Il y a suffisamment d’éléments pour dire qu’il faut les considérer comme une classe» à part entière.

Une distinction qui ne tient pas la route. L’argumentaire de Seb s’appuie notamment sur un travail de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), daté de 2009, qui considérait bien le PTFE parmi les PFAS «peu préoccupants». Mais cette affirmation, reprise par d’autres industriels, dont Arkema, producteur de PFAS situé près de Lyon, est bancale.

L’assemblée générale de Seb, à laquelle Vert s’est rendu. © Hugo Coignard/Vert

D’abord parce que l’OCDE affirme «ne pas avoir poursuivi ses travaux» depuis. Mais surtout, parce qu’elle reconnait des «lacunes» dans les données. D’ailleurs, d’après Martin Scheringer, chercheur en chimie de l’environnement à l’École polytechnique fédérale de Zurich (Suisse), qui a participé à une étude publiée en 2020, les polymères fluorés (une famille de PFAS dont fait partie le PTFE) ne peuvent pas être qualifiés de « polymères peu préoccupants pour l’environnement et la santé humaine » quand on prend en compte l’intégralité de leur cycle de vie, comme il l’a raconté à Mediacités.

Des PFAS dans l’environnement

«Seb se focalise sur l’usage de la poêle, regrette auprès de Vert Pauline Cevan, toxicologue au sein de l’association écologiste Génération Futures, alors qu’il faut avoir une vision globale». Elle prend pour exemple l’incinération de l’ustensile en fin de vie, «qui émet potentiellement des PFAS».

Car, de leur production jusqu’à leur destruction, les «polluants éternels» utilisés par Tefal peuvent terminer leur course dans l’environnement et y demeurer pendant des milliers d’années. D’ailleurs, d’après la Dreal (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement) Auvergne-Rhône-Alpes, Tefal a rejeté dans l’eau des PFAS, depuis son usine à Rumilly (Haute-Savoie).

En sortie de la station d’épuration de Tefal, les services de l’État ont mesuré des rejets dans l’eau jusqu’à 572 nanogrammes de PFAS par litre d’eau, en janvier 2023. Soit plus de cinq fois la norme européenne pour l’eau potable. Des concentrations importantes de «polluants éternels» (dont le PFAS Adona) ont été détectées.

Photo d’illustration : Lors de l’assemblée générale de Seb, le 23 mai 2024 à Paris. © Geoffroy Van der Hasselt/AFP

Article mis à jour le 27 mai 2024 avec l’ajout de la citation de François Veillerette et la vidéo de l’intervention de notre journaliste à l’Assemblée générale, puis le 28 mai, avec la réponse de Pierre Labadie.