Reportage

Exposition aux «polluants éternels» : les pompiers en première ligne

Pompier dans la porte. En plus des nombreux agents toxiques présents dans les fumées, les soldats du feu sont aussi exposés aux PFAS, des «polluants éternels» que l’on trouve notamment dans leur tenue de protection. Elles et ils manifestaient le 16 mai dernier pour la prise en compte de cette exposition et des maladies qui en découlent.
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«On est au courant depuis longtemps», déplore auprès de Vert Sébastien Bou­vi­er, secré­taire fédérale CFDT des ser­vices d’in­cendie et de sec­ours. Lors d’un incendie domes­tique, de nom­breux objets en plas­tique fondent et pren­nent feu, ce qui dégage des pol­lu­ants néfastes pour leur san­té.

Les pom­piers souf­frent d’une espérance de vie plus réduite — sept ans de moins que la moyenne nationale, selon les syn­di­cats. Une vaste étude transna­tionale, pub­liée sous l’égide du Cen­tre inter­na­tion­al de recherche sur le can­cer (Circ), révèle que la pro­fes­sion est aus­si exposée à un risque accru de can­cers, de 58% plus élevé chez les pom­piers que dans la pop­u­la­tion générale pour le mésothéliome (qui affecte la mem­brane qui recou­vre la plu­part des organes internes du corps), et de 16% supérieur pour celui de la vessie. D’autres can­cers sont sur­représen­tés, dont celui du côlon, de la prostate ou du tes­tic­ule.

Entre les pétards et les sirènes, plusieurs mil­liers de pom­piers ont man­i­festé dans le calme entre les places de la République et de la Nation de Paris, jeu­di 16 mai 2024. © Alexan­dre Carré/Vert

En 2018, un sondage mené auprès de pom­piers améri­cains ouvrant la voie à un lien entre PFAS et can­cers avait alerté les professionnel·les du monde entier. Présentes dans leur tenue de feu et dans les mouss­es anti-incendie, ces nou­velles tox­ines élar­gis­sent la ques­tion de l’exposition des pom­piers, autre­fois con­cen­trée prin­ci­pale­ment sur les fumées. «Nos tenues nous pro­tè­gent essen­tielle­ment de la chaleur, mais beau­coup de choses passent à tra­vers, indique le pom­pi­er basé à Bourg-en-Bresse (Ain). Com­ment pro­téger les autres quand nous sommes nous-même en dan­ger ?».

Bien que le sondage ne puisse faire le lien direct entre les mal­adies dévelop­pées par les pom­piers et les PFAS, en décem­bre 2023, le Circ a classé le PFOA comme «can­cérogène» et le PFOS comme «peut-être can­cérogène» ; deux pol­lu­ants éter­nels que l’on retrou­ve abon­dam­ment autour de nous.

«On veut vraiment savoir comment on est contaminés et les effets sur nos corps»

Début 2024, le par­ti Les écol­o­gistes a mené un prélève­ment de cheveux sur des représentant·es de divers­es pro­fes­sions. La per­son­ne la plus con­t­a­m­inée était un sapeur-pom­pi­er, avec trois types de pol­lu­ants éter­nels, sur les douze testés. «Ça fait peur, con­fie Sébastien Delavoux, respon­s­able fédéral de la CGT des pom­piers. On veut vrai­ment savoir com­ment on est con­t­a­m­inés et les effets sur nos corps».

Les élu·es écol­o­gistes ont organ­isé un nou­veau test sur 20 pom­piers avant le début de la man­i­fes­ta­tion qui s’est élancée jeu­di dernier de la place de la République. Sous le con­trôle d’un huissier, les prélève­ments de cheveux ont été envoyés en lab­o­ra­toire pour déter­min­er le niveau de con­t­a­m­i­na­tion aux PFAS.

Le prélève­ment des cheveux déter­min­era le taux de con­t­a­m­i­na­tion aux PFAS des volon­taires. © Alexan­dre Carré/Vert

Alar­mée par l’enquête de l’émission Vert de rage con­sacrée aux PFAS fin 2022 (notre arti­cle), Lau­re Mori­ot, sapeur-pom­pi­er à Elbeuf (Seine-Mar­itime) et volon­taire pour le test, assure qu’elle et ses col­lègues «sont de plus en plus con­scients des expo­si­tions tox­iques» et déplore «qu’aucun suivi n’ait été mis en place». Elle s’estime heureuse que les choses bougent enfin : «Ce genre de test devrait faire par­tie de nos procé­dures médi­cales, mais on nous répond qu’on n’a pas le bud­get. Je ne vois pas ce qu’il y a de plus impor­tant que notre san­té». Les résul­tats sont atten­dus avant le 30 mai.

Out­re la préven­tion à cette pol­lu­tion, les soldat·es du feu récla­maient égale­ment une meilleure recon­nais­sance par l’État de leurs mal­adies pro­fes­sion­nelles. «Aujourd’hui il est très dif­fi­cile d’attribuer un can­cer à son méti­er quand on est pom­pi­er, affirme Sébastien Delavoux de la CGT. Les procé­dures sont trop longues et trop com­pliquées. À tel point que cer­tains col­lègues décè­dent avant de les ter­min­er». Pour lui, «l’ignorance de leurs employeurs relève de la mise en dan­ger de la vie d’autrui.» La CGT a porté plainte con­tre X à ce titre le 1er décem­bre 2023.

Un obser­va­toire de la san­té des pom­piers a été lancé le 15 mai. Son rôle sera de faire le point sur toutes les études à men­er pour amélior­er et sys­té­ma­tis­er le traçage et la préven­tion de l’exposition des sapeurs-pom­piers. «Jusqu’ici nous n’avions pas de chiffres, ni de don­nées exactes pour déter­min­er le nom­bre de col­lègue qui sont ou qui ont été con­t­a­m­inés, explique Sébastien Bou­vi­er de la CFDT. Mais les procé­dures évolu­ent et vont dans le bon sens».

Pho­to de cou­ver­ture : Lors de la man­i­fes­ta­tion du 16 mai 2024 à Paris. Alexan­dre Carré/Vert