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À l’université de Rouen, une machine surpuissante unique en Europe révolutionne la traque des PFAS et autres polluants

Un problème, une pollution. L’université de Rouen vient de se doter d’un outil révolutionnaire pour débusquer et comprendre la pollution environnementale. Un instrument de mesure d’une puissance inédite en Europe, capable de trouver la totalité des substances chimiques – y compris les PFAS – dans l’eau ou le sol.
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Lorsque l’on traque les polluants dans l’environnement, il existe un adage bien connu : «On ne trouve que ce qu’on cherche.» Cette limite des techniques de détection des contaminants oblige à avancer avec des œillères, dans une Europe où près de 150 000 substances (pas toutes toxiques) sont inventoriées – et seulement quelques centaines surveillées régulièrement.

Depuis quelques années, la progression des connaissances et des technologies de mesure a rendu visibles des contaminations à grande échelle de l’eau potable par des résidus de pesticides et des PFAS, qui étaient jusqu’ici passées sous les radars des autorités sanitaires. Toutefois, aujourd’hui, 20 «polluants éternels» – ultra-persistants dans l’environnement et toxiques pour les humains – sont activement scrutés, alors que cette famille de molécules compte au moins 12 000 membres. Une goutte d’eau dans un océan.

Le spectromètre de masse, installé à l’université de Rouen, est décoré de motifs multicolores représentant certains projets scientifiques du laboratoire CARMeN. Ils ont été dessinés par l’artiste local Simon Le Cieux. © Nicolas Cossic/Vert

Mais la partie immergée de l’iceberg pourrait bien être révélée au grand jour. Début 2025, l’université de Rouen (Seine-Maritime) s’est dotée d’un spectromètre de masse à transformée de Fourier, équipé d’un aimant supraconducteur [qui permet d’obtenir un champ magnétique élevé et stable, NDLR] de 18 teslas – l’unité de mesure des champs magnétiques. Un nom barbare qui désigne un instrument de mesure surpuissant, capable de détecter l’intégralité des substances présentes dans un mélange comme l’eau ou le sol. Unique en Europe – et quasiment sans pareil dans le monde –, cet outil «sera à la chimie moléculaire ce que le télescope James Webb est à l’exploration spatiale», assure l’établissement.

L’engin, de près de huit tonnes, financé à hauteur de 7,5 millions d’euros par des fonds publics et privés, trône sur le campus de Mont-Saint-Aignan, une commune de l’agglomération rouennaise, au sein de l’institut CARMeN. Des chercheur·ses membres de ce laboratoire normand ont été parmi les premier·es à enquêter sur les conséquences de l’incendie du site industriel de Lubrizol, classé Seveso seuil haut, dans lequel 10 000 tonnes de produits chimiques sont parties en fumée, le 26 septembre 2019, à Rouen.

Comprendre les impacts des mégafeux

Ce type d’accident industriel est un bon exemple des applications possibles du spectromètre. À l’époque de l’incendie, l’université disposait déjà d’une sorte de version miniature de l’instrument de mesure ultra-performant. «En analysant les suies retombées sur des ballons d’enfants, on s’est vite rendu compte qu’il y avait une quantité de composés organiques qu’on ne connaissait pas, retrace Carlos Afonso, enseignant-chercheur à l’université de Rouen au sein de l’institut CARMeN.

Avec les méthodes classiques, on ne retrouvait pas beaucoup d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) [des polluants chimiques produits lors d’une combustion incomplète, NDLR]. Mais nos analyses ont montré la présence de beaucoup d’autres HAP, inconnus, créés lors de l’incendie par recombinaison des molécules des additifs chimiques incendiés.» À présent, le tout nouveau spectromètre rendra ce travail plus exhaustif, plus précis et, surtout, beaucoup plus rapide. L’outil sera notamment mobilisé pour l’analyse des résidus de mégafeux et leur impact sur l’eau potable.

«Chercher une aiguille dans une botte de foin»

Cette ouverture du champ des possibles permettra d’améliorer les connaissances sur la présence de contaminants dans l’environnement. Parmi les défis : l’identification des substances per- et polyfluoroalkylées – les fameux PFAS. «On parle de 12 000 substances, mais si on ajoute leurs produits de dégradation dans la nature, cela pourrait être beaucoup plus», note Carlos Afonso. Pour les traquer, le spectromètre peut différencier les PFAS des autres molécules uniquement via leur poids, ce qui était impossible jusqu’alors.

«Avec les analyses ciblées de routine, toute pollution inconnue au préalable passe inaperçu et n’est pas détectée. Alors que, là, on trouve tout à la fois, grâce à une résolution extrême», résume le scientifique. Une avancée majeure qui peut aussi faciliter la mise en évidence «de traces de pesticides dans le sol – un milieu extrêmement complexe dans lequel il existe des millions de molécules. C’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin», illustre-t-il.

Une vigie

Dans le domaine de la surveillance environnementale, le spectromètre jouera un rôle de vigie. «C’est un instrument unique. Aucune réglementation ne demandera d’utiliser un appareil aussi cher pour les analyses de routine, complète le scientifique de l’institut CARMeN. Mais, avec cet outil, nous pourrons dresser un état des lieux des substances présentes dans des échantillons d’eau ou de sol. […] Notre objectif est aussi de développer de nouvelles méthodes d’analyse qui pourront ensuite être reproduites par d’autres laboratoires. Y compris avec des appareils moins performants.»

Au-delà de ses applications environnementales, le spectromètre servira aussi pour la recherche sur les énergies renouvelables, la santé et même la planétologie. Son utilisation sera accessible, sur demande, à la communauté scientifique – bien au-delà des frontières normandes.