Reportage

«Plus jamais confiance» : dans les Ardennes, des habitants privés d’eau du robinet après la découverte de taux records de PFAS

Eau de PFAS. La préfecture des Ardennes a interdit la consommation de l’eau du robinet pour près de 3 000 habitant·es de treize communes du département, forcé·es de changer leurs habitudes. En cause, la présence de PFAS dépassant largement les limites sanitaires. Reportage.
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«Du jour au lendemain, ne plus pouvoir boire l’eau du robinet alors qu’on l’a toujours utilisée pour tout, c’est vraiment effrayant», soupire Sylvie Gérard en regardant, pensive, la bouteille d’eau minérale posée à ses pieds.

Dans la cuisine, son fils Brice remplit le réservoir de la machine à café avec une autre bouteille en plastique. Au-dessus de lui, son chat, un maine coon, l’observe verser le reste du contenu dans sa gamelle. «Je pars du principe que si je ne peux pas boire l’eau du robinet, c’est que je ne peux rien faire avec dans la cuisine et mes animaux ne peuvent pas la consommer non plus», explique celui qui est adjoint à la maire de Malandry, commune de 80 habitant·es située dans les Ardennes.

Brice Gérard, adjoint à la maire de Malandry, donne à boire de l’eau en bouteille à son chat. © Dorian Mao/Vert

Près de 3 000 habitants interdits de boire l’eau du robinet

Comme ce duo mère-fils, la plupart des 3 000 habitant·es de douze communes des Ardennes situées dans le nord-est et le sud-est du département ont dû adopter de nouveaux gestes après la publication d’un arrêté préfectoral interdisant la consommation de l’eau du robinet «pour la boisson et la préparation des biberons», le 10 juillet (un treizième village a été ajouté en août).

Une mesure prise après la découverte, dans plusieurs réseaux d’eau potable du secteur, d’une quantité de PFAS, ou «polluants éternels», à des taux «3 à 27 fois supérieurs à la limite réglementaire, fixée à 100 nanogrammes par litre (ng/l) pour la somme des 20 PFAS jugés préoccupants par l’Union européenne», selon l’enquête publiée par Disclose et France 3 sur le sujet.

Regroupant plusieurs milliers de substances créées par l’industrie chimique, les PFAS (pour per- et polyfluoroalkylés) se dégradent difficilement dans l’environnement et s’accumulent dans les organismes, d’où leur surnom de polluants «éternels».

233 ng/l de PFOA dans l’eau du robinet à Malandry

Les maires et habitant·es des communes concernées estiment responsables de cette pollution une ancienne papeterie, située à Stenay dans la Meuse, à une vingtaine de kilomètres de Malandry. L’entreprise, qui a fermé ses portes en 2024, appartenait à la multinationale finlandaise Ahlstrom.

Si les services de l’État n’ont toujours pas confirmé l’origine de la pollution, les journalistes de Disclose et France 3 ont identifié trois zones de contamination aux PFAS. Séparées d’une vingtaine de kilomètres «de l’est des Ardennes au Nord de la Meuse», des boues industrielles issues de la papeterie y auraient été épandues pour la fertilisation des terres agricoles pendant plusieurs années.

Dans la commune de Malandry, les dernières analyses réalisées à la mi-juillet au niveau d’un point de captage situé en lisière de forêt, révèlent un taux de PFOA – un PFAS classé «cancérogène pour les humains» par le Centre international de recherche pour le cancer (CIRC) – de 233 ng/l, soit plus de deux fois la limite sanitaire.

«C’est vraiment révoltant et scandaleux. Vu les taux découverts dans les différentes communes, cette pollution ne date pas d’hier. Je suis sûr que certains savaient et n’ont rien fait. Nous ne pourrons plus jamais avoir confiance dans l’eau du robinet, le mal est fait», s’exclame Brice Gérard.

Dans le sellier de Sylvie et Brice, les bouteilles se frayent une place parmi les autres aliments. © Dorian Mao/Vert

Sa mère ouvre le cellier, laissant apparaître une dizaine de bouteilles en plastique entreposées entre différents aliments et l’essuie-tout : «Il faut tout adapter : le budget et la fréquence des courses au supermarché, la cuisson des aliments ou encore le fait d’aller jeter les bouteilles dans la borne centrale du village pour ne pas qu’elles s’entassent, déjà que l’on n’a pas beaucoup de place pour les ranger…».

«Il souhaite arrêter toute utilisation de l’eau du robinet»

De l’autre côté de la rue, Yolande, 70 ans, ne s’inquiète pas pour elle ou pour sa mère de 92 ans, doyenne du village, mais pour les adultes de demain : «Ma mère a toujours bu l’eau du robinet sans jamais avoir de problèmes de santé et elle continue malgré l’arrêté, comme si de rien n’était. Moi, je le respecte, mais bon, à nos âges, ce n’est plus vraiment une problématique. Par contre, pour les générations futures, tout ça n’annonce rien de joyeux. J’aime mieux avoir vécu que d’avoir à vivre jeune aujourd’hui.»

Quelques maisons plus loin, ambiance différente dans le foyer d’Aurore, habitante de Malandry depuis 18 ans. La situation est une véritable source de stress pour son fils : «Il est en boucle sur le sujet depuis la mise en place de la restriction, explique-t-elle. II a vraiment peur, il veut arrêter toute utilisation de l’eau du robinet. J’essaye de lui expliquer qu’il en boit depuis qu’il est petit, et que malheureusement, il est trop tard pour paniquer. Il faut rester lucide et ne pas s’inquiéter, mais c’est difficile».

Des maires unis, mais dans le flou

Un pragmatisme partagé par la maire de Malandry, Annick Dufils, et les maires des communes voisines de Villy, Richard Philbiche, et de la Ferté-sur-Chiers, Etienne Malcuit. Le trio est devenu inséparable depuis la publication de l’arrêté préfectoral (la commune de la Ferté-sur-Chiers a rejoint la liste des communes concernées dans un nouvel arrêté paru vendredi 1er août).

La place de l’église et de la mairie du village de Villy. © Dorian Mao/Vert

Pour remplacer l’eau potable du robinet, tous trois ont choisi de rembourser l’équivalent de deux litres d’eau en bouteille par jour et par habitant·e dans leurs communes respectives pour une durée de quatre à six mois, en attendant de trouver une solution pérenne. «Nous n’avions pas les moyens financiers et logistiques de faire les choses autrement. Nous nous serrons les coudes entre maires, mais clairement, nous naviguons à vue», indique la maire de Malandry.

D’une seule voix, elle et ils dénoncent l’inaction des services de l’État et «un sentiment d’abandon» : «Si nous recevons un véritable soutien des habitants, la préfecture ne fait plus rien depuis la mise en place de l’arrêté. Pire, les agents de l’État nous culpabilisent en nous donnant l’impression que tout est notre faute dans cette histoire», se plaint Annick Dufils.

Richard Philbiche rebondit : «Les années passées, lorsqu’il y avait un problème X ou Y, on nous passait un coup de téléphone. Depuis notre dernière rencontre à la préfecture mi-juillet, c’est silence radio. On gère tout de A à Z seuls.» Interrogée sur l’accompagnement des communes face à la situation, la préfecture des Ardennes n’a pas répondu aux questions de Vert.

Appliquer le principe pollueur-payeur

Dans la commune de Villy, un taux de 2 729 ng/l de PFAS a été relevé dans l’eau du robinet en février dernier, le plus haut taux jamais enregistré en France au moment de l’écriture de ces lignes. «Notre source est condamnée, il faut en trouver une nouvelle», explique Richard Philibiche.

Benoît et Myriam vivent à Villy depuis 11 ans et hébergent régulièrement leur petite-fille. © Dorian Mao/Vert

David Bodson vit dans ce village depuis 30 ans, à quelques pas de la mairie. Très énervé par la situation, il souhaite que les autorités appliquent le principe du pollueur-payeur : «C’est un scandale. L’eau, c’est un bien vital. Il faut trouver les responsables de la pollution et les faire payer.»

En plein tri de déchets dans son jardin, Benoît Zimmerman regarde plutôt du côté de la responsabilité de l’État : «Nous allons nous rendre compte que la problématique est bien plus large que notre petit secteur, ce n’est que le début. Les services de l’État ont fait des erreurs en ne surveillant pas les PFAS, c’est à eux de payer l’addition pour régler les problèmes d’eau potable. Nous avons le record de France de la plus haute contamination, mais jusqu’à quand ?»

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