Reportage

Filtres dans les écoles, comité de veille sanitaire : à Brignais, dans le Rhône, le combat exemplaire d’une commune contre les PFAS

Ça PFAS ou ça casse. Au sud de Lyon, Brignais tente de regagner du terrain sur la contamination par ces polluants éternels qui empoisonnent la région. Vert s’est rendu dans cette commune de 12 000 âmes, dont les choix pourraient inspirer d’autres collectivités.
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En cette fraîche matinée de mai, le Garon est agité. De fortes pluies ont réveillé cette petite rivière chargée de PFAS , des polluants ultra-persistants dans l’environnement, présentant des risques pour la santé. Le Garon traverse en effet la commune de Brignais (Rhône), à une dizaine de kilomètres de la vallée de la chimie, au sud de Lyon. Le quotidien de cette petite ville est perturbé depuis les révélations d’une contamination d’ampleur aux PFAS, autour des usines Arkema et Daikin.

Pour produire leurs polymères fluorés, ces groupes chimiques installés sur la plateforme industrielle d’Oullins-Pierre-Bénite ont déversé pendant des années des polluants éternels dans l’environnement. La nappe du Garon, qui fournit 80% de l’eau potable des quelque 12 000 Brignairot·es, a déjà présenté des concentrations en PFAS supérieures à la limite de qualité de 100 nanogrammes par litre (ngl/l) : 121 ng/l en janvier 2024, par exemple.

Le Garon, qui traverse Brignais avant de rejoindre le Rhône, est pollué aux PFAS. Sa nappe fournit 80% de l’eau potable des 12 000 habitant·es de cette commune. © Lucas Martin-Brodzicki/Vert

«J’ai entendu parler d’Arkema à la télé, avec Elise Lucet, mais j’ignorais que Brignais était concerné», s’étonne Isabelle. Cette retraitée est en quête de nouvelles lectures devant une boîte à livres, à quelques pas du Garon. Ses yeux s’écarquillent lorsque nous lui apprenons que la préfecture recommande de ne pas consommer les œufs issus des poulaillers d’une quinzaine de communes, dont Brignais – et ce depuis deux ans.

«Nous sommes toujours soumis à cette recommandation, sans que ce soit des teneurs en PFAS énormes comme à Oullins-Pierre-Bénite, où sont situées les usines», précise calmement Jean-Philippe Gillet. L’adjoint en charge de la transition écologique de Brignais, ingénieur chimiste à la retraite, a pris en main le dossier à l’échelle communale. «C’est pour l’interview sur les PFAS ? Vous allez voir, c’est un spécialiste», nous lance avec fierté le maire Serge Bérard (divers droite), qui passe une tête dans le bureau.

Une commune face aux PFAS

Brignais est en effet un cas d’école de ce que peut faire une petite ville, dans la limite de ses compétences, face à une pollution environnementale de cette ampleur. Elle dispose d’un comité de veille sanitaire (CVS) sur les PFAS, qui se réunit deux fois par an. Une structure rassemblant entre 20 et 30 personnes (parents d’élèves, membres associatifs, monde agricole, élu·es), mise en place pendant la période Covid et «réactivée» sur la thématique des PFAS. «J’y présente l’état d’avancement des sujets en cours, en me focalisant sur les centres d’intérêt pour les habitants, comme l’eau ou les œufs», explique Jean-Philippe Gillet, tableaux et PowerPoint à l’appui.

Jean Philippe-Gillet, adjoint en charge de la transition écologique à Brignais, et sa présentation lors du dernier comité de veille sanitaire sur les PFAS. © Lucas Martin-Brodzicki/Vert

Le dernier CVS, en février, a été l’occasion de présenter le succès d’une des décisions de la mairie : l’installation de quatre filtres à eau anti-PFAS dans les écoles primaires de Brignais durant l’été 2024. Ils sont reliés aux fontaines présentes dans les cantines et produits par une entreprise locale, Filtrabio. Son chiffre d’affaires a explosé depuis le début du scandale, rapporte Le Progrès.

Selon les analyses, l’eau ainsi filtrée contient désormais moins de 10 ng/l de PFAS, quand celle qui sert à la plonge, non filtrée, atteint encore 90 ng/l. «J’ai expliqué à tous les personnels ce qu’on avait installé. L’idée étant qu’ils remplissent les carafes pour les enfants», détaille Sylvain Hourlier, responsable des bâtiments à Brignais, devant l’une de ces bonbonnes noires filtrantes. Coût total de l’opération : 12 600 euros.

Sylvain Hourlier a géré l’installation de quatre systèmes de filtration anti-PFAS dans les cantines scolaires de Brignais. © Lucas Martin-Brodzicki/Vert

«La décision d’équiper les écoles est née dans ce fameux CVS, recontextualise Jean-Philippe Gillet. En 2023, des gens ont commencé à installer des systèmes de filtration à titre individuel. Des parents d’élèves ont demandé ce qu’il était possible de faire dans les écoles. L’eau restait potable, selon l’Agence régionale de santé, mais c’est un principe de précaution.»

Des habitant·es peu informé·es

Si les résultats sont là, un travail de communication reste à mener. Louise (le prénom a été modifié), habitante de Brignais depuis deux ans et maman d’une jeune fille de quatre ans scolarisée dans l’une de ces écoles équipées, admet ne pas être au courant. «Les polluants éternels, je sais juste que ce n’est pas bon pour la santé. On vit dans un monde pollué, je suis un peu résignée», lâche-t-elle en suivant du regard sa fille habillée d’un manteau rose qui gambade non loin. Travailleuse dans le milieu de l’enfance, elle regrette de ne pas avoir assez de temps pour «s’inquiéter de ça».

«Matériellement, on n’a pas les moyens de financer des filtres pour tous les habitants», admet Jean-Philippe Gillet, le «monsieur PFAS» de Brignais. Alors, au-delà des écoles, comment regagner du terrain sur la qualité de l’eau ? L’élu compte sur la coopération entre communes et sur le temps long. Depuis septembre 2024, l’eau distribuée à Brignais est diluée avec de l’eau de la Métropole de Lyon, peu touchée par la pollution. Grâce à cette interconnexion, l’eau qui sort des robinets de Brignais avoisine désormais les 70 ng/l. Elle dépassait légèrement la norme de qualité de 100 ng/l jusqu’à début 2024.

Vers le principe de pollueur-payeur

À moyen terme, une usine de traitement de l’eau doit voir le jour début 2026 pour dépolluer le captage de Ternay, en aval des usines, qui fournit 20% de l’eau de Brignais. Un chantier à 4 millions d’euros, pris en charge par le syndicat mixte Rhône-Sud. Enfin, la création de nouveaux captages dans des zones moins touchées est étudiée. Des opérations qui auront une répercussion sur la facture d’eau des usager·es, alors qu’elles et ils ne sont pas responsables. C’est là qu’intervient le volet juridique, dernier axe du plan anti-PFAS de la commune.

«Des actions en justice sont lancées pour déterminer qui est à la source de la pollution et le faire payer, développe Jean-Philippe Gillet, même s’il faudra sortir l’argent avant que la décision juridique n’intervienne.» L’élu représente Brignais dans la plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui, déposée en octobre 2023. Elle rassemble une quarantaine de communes, des associations de pêche et des personnes physiques. Cette plainte avait donné lieu à des perquisitions chez Arkema et Daikin en avril 2024.

En parallèle, une expertise indépendante visant à démontrer la responsabilité d’Arkema et Daikin dans la pollution est en cours. Elle a été ordonnée par la justice suite à un référé-expertise de la Métropole de Lyon et du syndicat mixte Rhône-Sud. Une procédure qui ouvrirait la voie à des recours en réparation, et donc à l’application du principe pollueur-payeur. Brignais pourrait, pourquoi pas, s’en saisir.

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