Reportage

«Je veux savoir si ma terre est polluée» : au sud de Lyon, des citoyens mènent l’enquête sur les PFAS près de chez eux

PFAS à l’acte. 90 habitant·es de la région lyonnaise, où sont installées les usines de PFAS d’Arkema et Daikin, ont collecté des échantillons de sols afin de documenter leur contamination à ces «polluants éternels». De premiers résultats ont été dévoilés mercredi 18 décembre. Vert est allé à leur rencontre.
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Depuis le coin de sa rue, point culminant de la commune d’Oullins-Pierre-Bénite (Rhône), Christian Iafrate a une vue plongeante sur la plateforme industrielle d’Arkema, producteur historique de substances per- et polyfluoroalkylées (PFAS). Des molécules prisées pour leurs propriétés chimiques que l’on retrouve dans les batteries électriques, cosmétiques, poêles antiadhésives… Et dont les effets nocifs pour la santé sont nombreux : dérèglements du système immunitaire, cancers, etc.

«Ça fait 69 ans que je la vois, l’usine», persifle le moustachu. Souvent qualifiées de «polluants éternels» en raison de leur persistance dans l’environnement, ces molécules, relâchées en toute légalité dans l’air, ainsi que les rejets aquatiques des industriels durant des décennies, ont empoisonné le sud de Lyon (Rhône). Depuis deux ans et demi, les analyses et les révélations s’enchaînent sur l’étendue de cette contamination et ses conséquences locales. D’autant plus depuis que des citoyen·nes comme Christian Iafrate s’en mêlent.

Christian Iafrate dans son poulailler. © Lucas Martin-Brodzicki/Vert

De retour dans son salon, l’ancien employé municipal présente un tableur avec une quinzaine de dates et d’adresses. Jardins potagers, poulaillers, parcs publics, cour d’école maternelle… des lieux stratégiques de sa commune, où il a prélevé un peu de terre au printemps dernier. Comme 89 autres bénévoles, il a dû suivre un protocole précis élaboré par Ozon l’eau saine, le collectif citoyen à l’origine de cette étude de science participative. Il s’est équipé d’une paire de gants en nitrile, d’une cuillère à soupe, d’une bêche et d’un marqueur.

Au total, plus de 200 échantillons contenus dans des sachets ont été envoyés à Montréal, au Canada, afin d’être analysés dans le laboratoire du professeur en chimie environnementale Sébastien Sauvé, spécialiste des PFAS. Ce dernier a validé le protocole du collectif. «Ce sont des indications que j’aurais pu donner à un étudiant qui fait un stage ou une thèse. Il y a une grande valeur ajoutée à travailler avec des citoyens. Seul, il m’aurait été impossible d’obtenir 200 échantillons», se réjouit-il auprès de Vert.

La zone étudiée couvre 60 communes autour des usines d’Arkema et Daikin, l’autre producteur local de PFAS. Selon Louis Delon, porte-parole d’Ozon l’eau saine, il s’agirait donc de «la plus grande campagne de prélèvements d’échantillons de terre jamais réalisée en France pour cartographier la contamination des sols aux PFAS».

«Œuvrer pour le bien public»

Louis Caraes, 42 ans, vit avec sa compagne et ses enfants de huit et dix ans dans une maison avec jardin sur les hauteurs de La Mulatière, à trois kilomètres de la «cathédrale d’acier» d’Arkema, comme il l’appelle. Lorsque le quadragénaire a appris que la préfecture recommandait de ne pas consommer de fruits et légumes qui ont poussé dans un rayon de 500 mètres autour des usines, en mars dernier, il a eu «un choc» : «Je veux savoir si ma terre est polluée et si oui, à quel degré», affirme-t-il à Vert.

Sans attendre les résultats, il a remplacé une grande partie de son potager par de la pelouse. Ses tentatives d’atteindre une certaine autonomie alimentaire n’ont plus de sens à ses yeux. Les œufs de son voisin, que celui-ci a fait analyser, sont contaminés. «Je ressens de la colère et de l’impuissance», lâche le père de famille en regardant par sa fenêtre. Les industriels «continuent de polluer, de s’agrandir. Ils n’en ont rien à cirer.»

Louis Caraes n’a plus la motivation nécessaire pour continuer son potager depuis qu’il a appris que le secteur était contaminé aux PFAS. © Lucas Martin-Brodzicki/Vert

Louis Caraes s’est découvert un intérêt pour l’action collective depuis qu’il s’intéresse aux PFAS. «Le meilleur moyen de combattre ces gens-là, c’est d’en parler, de ne pas sombrer dans la fatalité. Avant, je n’étais pas militant pour un sou», confesse celui qui a rejoint le collectif citoyen PFAS contre Terre.

Christian Iafrate en fait aussi partie. Lui, a un riche passé militant, notamment au sein du Parti communiste français (PCF). Avec sa femme, ils continuent de manger les œufs de leur poulailler, malgré les risques – il est officiellement recommandé de ne pas les consommer dans 18 communes et arrondissements de la métropole lyonnaise. «Ça fait dix ans qu’on en mange, il nous en reste autant à vivre», soupire-t-il en tournant sa cuillère dans sa tasse de café.

Gilles Renevier s’est, lui aussi, laissé embarquer dans cette aventure de science participative. Le vétérinaire vit à Saint-Pierre-de-Chandieu, à une vingtaine de kilomètres à l’est de l’épicentre de la pollution. «Ici, l’eau potable ne semble pas contaminée. A priori, il n’y a pas de raison qu’il y ait des PFAS dans les sols», raisonne-t-il depuis un espace vert de la commune limitrophe de Toussieu, coincé entre un lotissement et un champ agricole. C’est ici qu’il a récupéré l’un de ses deux échantillons. Président d’une fédération d’associations environnementales locales, il a été emballé par la démarche d’Ozon l’eau saine : «mettre en place ces prélèvements, ça stimule les gens, c’est concret. Tout le monde aura eu le sentiment d’œuvrer pour le bien public.»

Des résultats inquiétants

Au soir du mercredi 18 décembre, le chercheur canadien Sébastien Sauvé est venu jusqu’à Mions, à environ 15 kilomètres d’Oullins-Pierre-Bénite, présenter les premières conclusions de cette étude. Gilles, Louis et Christian étaient là, comme plus de 300 personnes réunies dans la salle polyvalente de la commune. Sans grande surprise, leurs inquiétudes étaient justifiées : les résultats confirment une pollution massive, surtout à proximité de la plateforme industrielle.

Chaque point représente un prélèvement réalisé par un bénévole qui a participé à cette étude de science participative. © Ozon l’eau saine

En France, il n’existe toujours aucune réglementation applicable sur la présence de PFAS dans les sols. Face à cette absence de normes, le scientifique considère qu’on peut parler de contamination «préoccupante» d’une terre lorsque la concentration en PFAS est supérieure à 10 microgrammes par kilo (µg/kg). Or, certains prélèvements dépassent les 100 µg/kg pour la somme des 80 PFAS analysés. À l’école maternelle Henri-Wallon d’Oullins-Pierre-Bénite, la contamination grimpe à 114 µg/kg. Par ailleurs, 20% des prélèvements dépassent les 14 µg/kg. On retrouve des concentrations élevées plus éloignées sur l’axe nord-sud que d’est en ouest, ce qui correspond aux vents dominants. Ces données feront l’objet d’une publication scientifique officielle dans quelques mois, après la traditionnelle évaluation par les pairs.

En guise de conclusion, Sébastien Sauvé déconseille de manger les fruits et légumes des potagers qui se trouvent dans les zones contaminées. Quant aux œufs, ils sont «clairement à éviter». Selon une étude sur les produits alimentaires qu’il a réalisée au Canada, les végétaux sont moins susceptibles d’accumuler des PFAS que les protéines animales. À la sortie de la conférence, Christian Iafrate admet qu’il reconsidérera peut-être son choix de consommer les œufs de son poulailler.

Louis Delon, ancien chimiste reconverti en maraîcher et porte-parole du collectif Ozon l’eau saine, a lancé la soirée avec une présentation générale de ce que sont les PFAS. © Lucas Martin-Brodzicki/Vert

Dans quelques jours, il recevra les résultats détaillés de chaque prélèvement, comme les autres participant·es. Le retraité regardera avec une attention particulière la ligne qui correspond à son jardin. Quant au collectif Ozon l’eau saine, il compte s’appuyer sur ces nouvelles analyses pour continuer de vulgariser et lutter contre cette «pollution éternelle».

C’est en tout cas ce que projette l’infatigable Louis Delon : «grâce à cette collaboration avec des scientifiques de renom, nous avons pu produire des données fiables qui serviront à alerter les décideurs, faire appliquer le principe pollueur-payeur, et conforter l’urgence de légiférer sur la problématique des PFAS.»


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