Au sud de Lyon, la lutte contre les PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées) n’a pas pris de vacances. Plus de deux ans après la révélation de ce scandale sanitaire et environnemental – une contamination massive, historique et actuelle de l’eau, de l’air et des sols autour de la plateforme industrielle de Pierre-Bénite –, le sujet des «polluants éternels» a occupé la justice lyonnaise tout l’été.
Ce mardi 10 septembre, un nouvel épisode est attendu au tribunal administratif de Lyon. Il concerne le principal protagoniste du scandale : Arkema, producteur de ces molécules inventées par l’homme et prisées pour leurs propriétés anti-adhésives ou imperméables. Alors qu’elles inondent notre quotidien, elles persistent dans l’environnement et s’accumulent dans les organismes vivants. On les retrouve à des taux préoccupants dans les robinets d’au moins 200 000 personnes au sud de Lyon (relisez notre article sur les questions que vous vous posez au sujet des PFAS).
Une «usine très polluante», mais pas d’étude d’impact
«L’objet du recours est de réclamer la transparence sur l’évolution pendant 40 ans d’une usine très polluante», résume auprès de Vert Sébastien Bécue, avocat spécialiste du droit de l’environnement et représentant des requérant·es. En mai dernier, le géant de la chimie avait été autorisé, par arrêté préfectoral, à mettre en place un nouveau réacteur (une ligne de production) pour augmenter la production de son produit phare : le PVDF. Il s’agit d’un polymère fluoré, une sous-famille de PFAS. C’est aussi le cas, par exemple, du PTFE, plus connu sous le nom de Téflon, très utilisé par l’industrie dans le revêtement anti-adhésif des poêles (notre article sur les poêles Tefal pleines de «polluants éternels»).
L’industriel dit pouvoir enfin assembler son PVDF sans avoir recours à d’autres PFAS. Dernièrement, il utilisait encore du 6:2 FTS, un perfluoré, dans le processus. Cette molécule a été rejetée par centaines de kilos dans le Rhône. Avec ce nouveau procédé de fabrication du PVDF, Arkema espère ainsi éteindre la polémique. Cependant, aucune évaluation environnementale, ni étude d’impact, n’a été requise pour cette autorisation.
Dans leur communiqué, les requérant·es – avec le soutien juridique de Notre affaire à tous – demandent «la suspension immédiate de cet arrêté qui autorise de facto un industriel à produire plus, sans fournir de preuve de l’innocuité de cette nouvelle activité sur l’environnement et la santé environnementale sur un territoire déjà bien dégradé à ce sujet».
Contacté par Vert, Arkema n’a pas souhaité commenter une procédure judiciaire en cours. Néanmoins, le géant de la chimie avait, à sa demande et celle de la préfecture, obtenu un report de l’audience, qui devait initialement se tenir le 21 août.
Des cancers et un manque de transparence
«Il faut arriver à stopper ce processus où tout se fait dans l’opacité la plus complète», fulmine auprès de Vert Édith Metzger, membre du collectif PFAS contre Terre et requérante à titre individuel avec d’autres riverain·es. Le sang de cette habitante de Pierre-Bénite est fortement contaminé aux «polluants éternels». «Cet été encore, une de mes voisines m’a appris que son fils de 14 ans avait un cancer des testicules. À 14 ans ! Moi, je dis stop», ajoute cette figure locale de la lutte contre les PFAS.
«Depuis 40 ans, il y a eu énormément d’évolutions significatives dans la production du PVDF sans que l’exploitant soit questionné sur les risques associés, reprend Sébastien Bécue. C’est parce qu’il n’y a pas eu cette exigence de transparence qu’on s’est retrouvé avec une contamination généralisée aux PFAS». Or, comme l’a démontré France 3 Rhône-Alpes dans une série d’enquêtes, Arkema était informé des risques liés à l’utilisation et la fabrication des «polluants éternels» depuis des décennies.
L’avocat espère que ce référé-suspension — une procédure d’urgence qui permet de demander à un juge administratif de suspendre l’exécution d’une décision contestée — connaîtra la même issue victorieuse que celle contre Daikin, le voisin japonais d’Arkema. Le 20 juin, la justice avait suspendu l’exploitation d’une nouvelle unité de production de l’autre groupe chimique au cœur du scandale lyonnais. Là encore, un arrêté préfectoral avait pourtant autorisé Daikin à le faire, sans être soumis à une évaluation environnementale au préalable. «Une victoire importante en matière de lutte contre les émissions de PFAS», s’était réjoui Sébastien Bécue, ayant entraîné l’arrêt de la production. Mais pour combien de temps ?
Quand l’Etat vole au secours de Daikin
Car l’État n’a pas dit son dernier mot. Ce lundi 9 septembre en fin de journée, la préfecture du Rhône a annoncé le lancement d’une consultation publique sur l’extension de Daikin, par souci de «transparence complète». Avec, en ligne de mire, une nouvelle autorisation. Et quelques semaines après l’ordonnance mettant à l’arrêt une partie des activités de Daikin, le ministère de la Transition écologique avait annoncé se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat. En clair, il contestait la décision du tribunal, sans s’en expliquer. De quoi irriter les riverain·es. En cas de décision similaire concernant Arkema après l’audience de ce mardi, l’État pourrait donc à nouveau contre-attaquer.
Le dossier est hautement stratégique, comme le démontre cette enquête publiée en mai dernier par le média d’investigation local Mediacités. Sans attendre le début du scandale, Arkema avait cherché à se rendre essentiel aux yeux des autorités, en faisant preuve de greenwashing. Le PVDF qu’elle produit depuis des décennies serait désormais indispensable à la transition énergétique, en tant que composant clé des batteries électriques. Dans une autre enquête sur le sujet, France 3 s’interrogeait : «La contamination aux “polluants éternels”, le prix de la transition écologique ?». «On ne peut pas rester comme ça, tranche Edith Metzger. Ce n’est pas au prix de la santé de la population que l’on doit continuer à fabriquer des PFAS, même pour des batteries électriques».
Le débat est complexe. Et cette accumulation de procédures judiciaires, qui déterminera un avenir avec plus ou moins de PFAS, demandera encore de longs mois avant de livrer ses vérités. Une certitude concernant le passé a néanmoins émergé au beau milieu de l’été. Début août, la justice a ordonné une expertise indépendante sur la responsabilité des deux industriels dans la pollution aux PFAS. Le rapport est attendu avant fin 2025. «Une décision historique, première étape dans l’application du principe pollueur-payeur», selon Bruno Bernard, le président de la Métropole de Lyon, à l’origine de cette action en justice. Les associations et collectifs en lutte contre les «polluants éternels» y voient un «signal encourageant».
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