C’est quoi le problème ?
Ces dernières années, plusieurs agences régionales de santé (ARS) ont mis en garde contre la consommation d’œufs issus de poulaillers domestiques dans différents territoires. En cause, la présence quasi systématique de plusieurs polluants organiques persistants (POP) aux conséquences néfastes sur la santé : perturbation endocrinienne, immunodépression, effets cancérogènes…
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Dans la liste des POP, on trouve les composés per- et polyfluoroalkylés (PFAS), ces «polluants éternels» persistants dans l’environnement et dans le corps humain. Les dioxines, ces résidus toxiques formés lors de la combustion du bois et des produits pétroliers. Les PCB, des dérivés chimiques du chlore, dont l’utilisation est interdite en France depuis 1987. Et le furane, un composé volatil organique incolore utilisé pour la fabrication de substances chimiques.
Quelles sont les zones concernées ?
Depuis 2023, l’ARS Île-de-France déconseille la consommation d’œufs domestiques dans l’ensemble des 410 communes de l’unité urbaine de Paris. Elle a étudié 25 sites volontaires, dont 14 situés à proximité des trois principaux incinérateurs de déchets autour de la capitale (Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne, Issy-les-Moulineaux dans les Hauts-de-Seine et Saint-Ouen en Seine-Saint-Denis) et 11 plus éloignés. Au moment des mesures, 23 échantillons dépassaient le seuil réglementaire qui s’applique aux œufs commercialisés pour au moins une des quatre catégories de polluants recherchés.

Mêmes recommandations de la part de l’ARS Auvergne-Rhône-Alpes dans plusieurs communes du sud de Lyon (Rhône), proches des usines des géants de la chimie Arkema et Daikin. La raison ? La présence de PFAS dans des quantités supérieures aux seuils réglementaires dans les poulaillers testés. En Haute-Savoie, des analyses sont en cours dans neuf communes autour de Rumilly, où se trouve l’usine Tefal, pour analyser les taux de PFAS dans les œufs des particuliers.
À Lomme (Nord), une étude menée par la mairie a montré une forte présence de dioxine dans les œufs domestiques du quartier du Marais, situé à proximité d’une fonderie. Une analyse de l’ARS est en cours.
Les communes proches d’incinérateurs et de sites industriels sont donc à risque. Mais aussi celles à proximité des grands axes routiers comme les autoroutes, des centres urbains (à cause du chauffage) ou encore des remblais avec des matériaux (gravats, etc.) contaminés. Comme le souligne l’ARS Île-de-France, il est possible pour les particuliers d’effectuer des analyses de dioxines, furanes, PCB et PFAS dans certains laboratoires, pour un coût d’environ 650 euros.
Qu’en est-il des œufs d’élevage ?
Les analyses menées par les différentes agences régionales de santé concernent uniquement les œufs domestiques, ceux issus d’élevages disposant de leurs propres contrôles. Dans les zones concernées par les alertes sanitaires aux POP, les tests menés par les directions départementales de la protection des populations (DDPP) n’ont mis en évidence aucun dépassement des seuils réglementaires dans les élevages.
Selon l’ARS Île-de-France, les pratiques professionnelles (notamment en termes d’alimentation des poules) et l’installation des élevages à l’écart des espaces urbains limitent le risque d’exposition des poules. Enfin, les œufs issus d’élevages en plein air ou bio sont statistiquement plus contaminés que les œufs de poules élevées en bâtiment, sans pour autant dépasser les seuils réglementaires européens.
Plusieurs ONG dénoncent une réglementation insuffisante pour contrôler les PFAS dans les aliments. «Au niveau européen, on a depuis 2023 des teneurs maximales pour seulement quatre PFAS : PFOS, PFOA, PFNA, PFHxS. Mais rien pour les milliers d’autres substances qui composent cette famille», constate Natacha Cingotti, responsable des campagnes chez Foodwatch international. De son côté, l’association Générations futures avait relevé dans un vaste rapport sur l’alimentation publié en juin la présence d’au moins un PFAS dans 39% des œufs analysés, issus de quatre pays européens. Les deux associations militent pour l’arrêt des rejets à la source, pour le renforcement de la surveillance alimentaire et pour le durcissement des normes sanitaires.
Des œufs contaminés par les salmonelles
La consommation d’œufs peut aussi aller de pair avec la contamination aux salmonelles. Ce sont des bactéries qui peuvent être hébergées dans l’intestin des animaux vertébrés et qui sont le plus souvent transmises à l’être humain par le biais d’aliments contaminés (viande, charcuterie, lait cru, fromages ou œufs). Les infections (salmonellose) se traduisent par des diarrhées, de la fièvre, des vomissements et des douleurs abdominales, pouvant avoir des conséquences graves sur les personnes fragiles. Santé publique France recense chaque année près de 198 000 cas de salmonellose. En octobre 2024, près de trois millions d’œufs ont été rappelés en raison d’un risque de contamination par des salmonelles.
Selon l’Agence de sécurité sanitaire (Anses), celles-ci étaient responsables de 39% des cas de toxi-infections alimentaires collectives (Tiac) confirmées en France en 2019. Les œufs et les aliments à base d’œufs crus (mayonnaise, crèmes, mousse au chocolat, tiramisu, etc.) sont à l’origine de près de la moitié des Tiac dues à la salmonelle.
Qu’en disent les experts ?
Dans le cas des œufs, cette contamination peut être interne ou externe. «Interne signifie que c’est la poule qui transmet la salmonelle directement à l’œuf. La bactérie est donc à l’intérieur, explique Marianne Chemaly, directrice scientifique sécurité sanitaire des aliments à l’Anses. Mais ce type de contamination reste rare, car les élevages commerciaux de type standard sont très contrôlés.»
En cas de contamination externe, la bactérie se trouve sur la coquille et provient de l’environnement : sol, poussière, plume, excréments des poules… «Dans ce cas-là, pour éviter l’infection, il faudrait respecter des mesures d’hygiène simples comme se laver les mains après avoir manipulé les œufs, éviter qu’un bout de coquille se retrouve dans le plat ou conserver la préparation au réfrigérateur», précise Marianne Chemaly.
Pour la contamination interne, il est plus difficile de s’en prémunir. L’experte conseille toutefois de conserver les œufs au frigo, car le froid ralentit la multiplication des bactéries. En cas de cuisson complète des œufs, le risque est supprimé parce que les hautes températures détruisent les salmonelles.
Le site gouvernemental Rappel Conso, qui informe les consommateur·ices sur les rappels de produits alimentaires, peut être une ressource utile en cas d’infection à la salmonelle dans certains élevages.
Les bons gestes
Il y a aussi des bonnes pratiques qui peuvent être adoptées. Tout d’abord, le marquage sur les œufs permet de connaître les conditions de vie des poules d’élevage. Sur chacun figure un chiffre allant de 0 à 3, les lettres du pays d’origine (FR pour la France) et le numéro de l’élevage. Le code 3 correspond aux œufs de poules élevées en cage (16 poules par mètre carré), le 2 à l’élevage au sol (9 poules par m2), le 1 à l’élevage en plein air (accès à l’extérieur, 9 poules par m2 à l’intérieur, 4 à 5 m2 par poule à l’extérieur) et le 0 à l’élevage bio (les poules doivent passer au moins un tiers de leur vie à l’extérieur, 6 poules par m2 à l’intérieur, 4 à 5 m2 par poule à l’extérieur).
À noter que, pour tous ces modes d’élevage, les poules sont abattues prématurément après un peu plus d’un an de ponte intensive. Le broyage des poussins mâles est interdit en France depuis 2023 pour la filière des poules pondeuses, qui recourt désormais à des méthodes pour déterminer le sexe de l’embryon dans l’œuf, afin d’éliminer les mâles. Le broyage reste toutefois pratiqué dans la filière viande, comme le dénonçait en octobre dernier l’association L214.
Par ailleurs, plusieurs règles sont à respecter pour éviter une intoxication. Tout d’abord, ne jamais laver les œufs avant de les stocker. «L’eau abîme la cuticule de l’œuf, une fine couche sur la coquille qui empêche les bactéries d’accéder à l’intérieur», explique Marianne Chemaly. Comme le précise l’Anses, les œufs peuvent être mangés plusieurs semaines après la date de durabilité minimale (DDM), «lorsque les règles d’hygiène ont été respectées et à condition qu’ils ne soient pas cassés ou fêlés».
Concernant la conservation : frigo ou température ambiante ? Les deux sont possibles, souligne Marianne Chemaly, qui recommande une conservation au frigo pour limiter le risque de salmonellose. Et d’ajouter : «Ce qui est important, c’est de ne pas avoir des changements de température pendant le stockage des œufs, la condensation pouvant altérer la cuticule et favoriser l’accès des bactéries à l’intérieur de l’œuf.»
Enfin, si vous possédez un poulailler domestique, vous trouverez des conseils dans ce guide sanitaire de l’autoconsommation, édité par le ministère de la santé.
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