Enquête

Pompages illégaux, mares remblayées, abattages d’arbres… le chantier de l’A69 collectionne les irrégularités

Travaux pas la peine. Derrière le tracé de l’autoroute qui doit relier Toulouse à Castres se cache un chantier truffé de plus de 50 irrégularités environnementales. Vert a enquêté sur un projet qui avance au mépris des règles… et du vivant.
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15 jours. C’est le temps dont dispose le concessionnaire de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres, Atosca, pour réparer les dégâts constatés sur la commune de Soual (Tarn). Au point kilométrique 52, la «zone de compensation écologique» prévue dans les plans du chantier ne remplit pas sa fonction essentielle : contrebalancer la perte de zones humides, détruites lors de la construction du ruban autoroutier.

Plus précisément : le bassin conçu pour recueillir l’eau des crues du Bernazobre, un cours d’eau voisin, est dysfonctionnel ; un diagnostic a révélé que «le fond de cette zone [ce bassin, NDLR] est placé sous le niveau de la nappe phréatique», précise un document que Vert s’est procuré. Résultat : il est constamment rempli d’eau et ne peut pas jouer son rôle de tampon en cas de crue.

Pour ce manquement, la préfecture du Tarn a mis en demeure Atosca, le 28 août dernier. L’entreprise devait fournir des plans corrigés, au plus tard le 15 septembre, et réaliser les travaux nécessaires avant le 30 du même mois. Passé ce délai, une amende quotidienne de 4 500 euros pourrait être appliquée, a prévenu la préfecture.

Un ouvrier sur le chantier de l’autoroute A69, près de Castres, le 27 février 2025. © Ed Jones/AFP

Cette défaillance n’est qu’un exemple parmi la cinquantaine que compte le chantier de l’A69 depuis le début des travaux, en mars 2023. En janvier dernier, l’association France nature environnement avait pointé qu’Atosca était visé par 42 rapports de manquement administratif et 15 arrêtés préfectoraux de mise en demeure. Ces rappels à l’ordre administratifs sont établis à la suite de détections d’irrégularités lors de visites inopinées des autorités.

Trop d’eau pompée dans les nappes phréatiques, des travaux réalisés pendant la période de reproduction des espèces… Ces non-conformités peuvent avoir de lourdes conséquences sur l’environnement si des moyens ne sont pas rapidement mis en œuvre pour en limiter les effets. D’après les documents et témoignages auxquels Vert a eu accès, certains manquements déjà pointés les années précédentes ne sont toujours pas régularisés, et la liste des nouvelles irrégularités ne fait que s’allonger.

Un chantier mal engagé

Tout commence le 6 mars 2023. À cette date, Atosca annonce le lancement officiel des travaux, quelques jours après avoir obtenu les dernières autorisations environnementales des préfectures de Haute-Garonne et du Tarn. Le concessionnaire tente alors de rassurer les opposant·es au projet : il promet d’«insérer de manière exemplaire l’autoroute A69 dans son environnement, en concertation avec les acteurs du territoire». Et il assure que «de nombreuses mesures seront mises en œuvre afin que cette liaison réponde véritablement aux enjeux de transition énergétique et écologique».

Ces promesses s’effritent très vite. Trois mois à peine après le démarrage du chantier, de premières infractions sont relevées. Le 14 juin 2023, des agent·es de l’Office français de la biodiversité (OFB) constatent que des travaux ont été menés dans une zone strictement interdite car à fort enjeu biologique, au moment même où certaines espèces protégées, comme les chauves-souris, sont en pleine période de reproduction. D’autres constats suivront rapidement. Le 5 décembre 2023, la Direction départementale des territoires du Tarn (DDT) relate que divers travaux peuvent mettre en danger les ruisseaux du Melou et du Verdier, dans la commune de Castres.

Ce ne sont là que les premiers problèmes d’une longue liste. Au fil des mois, les signalements provenant des autorités et des associations s’accumulent : abattages d’arbres en dehors des périodes autorisées, destruction de mares abritant des amphibiens, dissémination d’espèces végétales invasives, déversements de chaux à proximité des habitations ou des cultures… Le chantier de l’A69 semble avancer à marche forcée, sans considération réelle pour les obligations environnementales pourtant inscrites dans le droit.

Au 16 septembre 2025, la préfecture du Tarn, sollicitée par Vert, dénombre 50 rapports de manquement administratif (RMA) émis par les services de l’État depuis le début du projet. Ces rapports sont le fruit de contrôles menés essentiellement par la DDT ou l’OFB et signalent, à chaque fois, une infraction au code de l’environnement ou aux prescriptions préfectorales. Sur la base de ces constats, 15 arrêtés préfectoraux de mise en demeure ont été pris, au total, pour obliger Atosca à se mettre en conformité.

Un arrêté de mise en demeure datant du 12 juin 2024. © DR

Contacté par Vert, l’OFB n’a pas souhaité commenter ces chiffres. Selon la préfecture du Tarn, «ces procédures sont classiques dans la vie d’un chantier autoroutier où l’exécution des travaux est finement contrôlée». Pour Jérôme (il n’a pas souhaité communiquer son nom), membre du collectif anti-A69 La Voie est libre et hydrologue de formation, la situation devient intenable : «Plus le chantier avance, plus les infractions sont graves. Certaines relèvent désormais clairement du délit environnemental.» Il s’inquiète tout particulièrement des atteintes à la ressource en eau, dans une région déjà marquée par les sécheresses estivales.

L’eau souterraine, ressource sous pression

Plusieurs rapports, dont un particulièrement accablant, qui fait suite à une visite du 14 février 2025, révèlent des prélèvements illégaux dans les nappes phréatiques d’au moins trois communes du Tarn situées sur le tracé : Bannière, Villeneuve-les-Lavaur ou encore Cuq Toulza. À certains endroits, des pompes ont été retrouvées en fonctionnement sans aucune autorisation préfectorale. Pire encore, les volumes d’eau extraits ont parfois largement dépassé ceux déclarés (l’un des compteurs utilisés à Bannière affiche 999 000 mètres cubes d’eau extraits, contre 290 000 mètres cubes demandés).

Le même jour, selon un second document, les inspecteurs se rendent dans la commune de Soual et ne trouvent pas de pompes. Ils constatent en revanche des ouvrages dont la réalisation serait tout simplement impossible sans un pompage massif. L’un d’eux conclut, non sans une pointe d’ironie : «Absence de prélèvement le jour du contrôle. Le constructeur «devra néanmoins expliquer comment les ouvrages ont pu être réalisés sans pompage».

Un ouvrage potentiellement réalisé grâce à un pompage illégal dans une nappe phréatique sur le chantier de l’A69. © Direction départementale des territoires

Jérôme, observateur attentif du chantier, explique : «Pour couler une dalle de béton, Atosca est obligé de creuser. Mais, très souvent, le concessionnaire tombe sur les nappes d’accompagnement des cours d’eau. Alors, il pompe.»

Pour l’hydrologue Charlène Descollonges, ces pompages illégaux, quelle que soit leur ampleur, représentent une menace «grave». Les milieux aquatiques «sont déjà fragilisés par la sécheresse. Il y a un risque que cela impacte d’autres usages de l’eau, alerte-t-elle. Les nappes d’accompagnement sont connectées aux rivières. Si on les pompe, on peut rompre cette connexion et assécher les rivières en été.»

Autre inquiétude : la gestion des eaux pluviales par Atosca. Plusieurs arrêtés de mise en demeure pointent l’absence de bassins provisoires, pourtant prévus dans les autorisations environnementales. Ces dispositifs sont censés contenir les eaux de ruissellement chargées de polluants issus du chantier. «À l’origine, les plans communiqués pour obtenir l’autorisation environnementale mentionnaient 100 bassins provisoires, pointe Jérôme. Dans la réalité, ils sont souvent absents, ou mal conçus.»

Un arrêté préfectoral met en cause un déversement direct dans le Girou, un cours d’eau traversant la commune de Puylaurens. «C’est très préoccupant. En cas de fuite d’un engin de chantier, une pluie suffit à faire ruisseler des hydrocarbures ou des métaux lourds jusque dans la rivière», alerte l’hydrologue de La Voie est libre.

Par ailleurs, parmi les bassins qui ont effectivement été construits, plusieurs sont jugés par les autorités comme étant «non conformes», mal dimensionnés ou inefficaces.

Des irrégularités, mais aucune sanction réelle

Comment expliquer une telle accumulation d’irrégularités ? Pour Jérôme de La Voie est libre, le problème est structurel : «Il existe un comité de suivi des mesures compensatoires. Mais il est composé de jeunes agents peu expérimentés.»

Autre facteur clé, l’absence de sanctions concrètes. «Cela fait des mois que la préfecture menace Atosca. Pourtant, une seule astreinte a été réellement appliquée depuis le début du chantier», souffle le membre de La Voie est libre. Contacté, Atosca n’a pas souhaité répondre aux sollicitations de Vert. La préfecture du Tarn a quant à elle assuré qu’«Atosca avait répondu dans les délais prévus à chacun des rapports de mise en demeure».

Dans l’espoir que le concessionnaire soit jugé pour tous ces manquements, le collectif La Voie est libre et l’ONG France nature environnement ont déposé le 23 juin dernier une citation directe auprès du tribunal de Toulouse contre le concessionnaire Atosca. Cette procédure vise 18 infractions environnementales présumées.

Les dates clefs

→ 6 mars 2023 : l’entreprise Atosca annonce le lancement officiel des travaux.

→ 19 juin 2023 : 14 requérants déposent un recours juridique sur le fond du projet devant le tribunal administratif de Toulouse.

→ 27 février 2025 : l’audience sur le fond du dossier conclut à une illégalité du chantier. L’État et le constructeur font appel.

→ 15 mai 2025 : le Sénat adopte une «loi de validation» qui vise à accorder après coup l’autorisation environnementale de la liaison autoroutière.

→ 25 juin 2025 : la commission mixte paritaire adopte la version du texte initialement votée par le Sénat. Le texte doit repasser par la case Sénat et Assemblée d’ici à novembre.

→ Novembre 2025 : l’audience en appel doit avoir lieu.


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