Débuté lundi, l’examen en première lecture de la proposition de loi Gremillet (du nom du sénateur Les Républicains qui l’a déposée) s’est terminé jeudi soir dans la confusion la plus totale. Profitant de l’absentéisme des autres groupes, l’extrême droite et ses allié·es ont massivement remanié son contenu.

Concoctée par la droite sénatoriale en 2024, la proposition de loi initiale mettait déjà les bouchées doubles sur la relance du nucléaire. Mais après cette «semaine de surenchères», les député·es ont forcé le trait «jusqu’à l’absurde», résume l’expert en énergie Nicolas Goldberg, qui dénonce «un sabotage en règle» du texte. «C’était terrible. Un spectacle lamentable de la démocratie», estime de son côté le président du Syndicat des énergies renouvelables, Jules Nyssen, encore sonné par la séquence.
Le nucléaire en roue libre
En tout, quelque 75 amendements ont été adoptés, la plupart signés du Rassemblement national ou de ses allié·es. Parmi eux, figurent plusieurs décisions irréalistes telles que le «redémarrage» de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), définitivement arrêtée en 2020. Ressusciter la doyenne des installations nucléaires est pourtant rigoureusement impossible, comme l’a rappelé l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) lors d’une conférence de presse jeudi.
D’une part, car le démantèlement des deux réacteurs est déjà entamé, de sorte que «plusieurs opérations irréversibles ont été réalisées, pour lesquelles il n’existe pas à ce jour de solution technique pour revenir en arrière». Ensuite, sur le plan réglementaire, «il n’existe pas de procédure pour remettre en service une installation définitivement arrêtée», ont expliqué les responsables de l’ASNR. Sans compter que les coûts pour relancer un tel projet seraient totalement disproportionnés. À ce stade, «il y a un problème de crédibilité de l’action politique», s’étonne Jules Nyssen.
Les renouvelables enterrées
Alors que l’amendement sur le redémarrage de Fessenheim est simplement inopérant, d’autres s’avèrent autrement plus dangereux. Sur proposition de la droite, les député·es ont ainsi adopté un moratoire (un accord sur la suspension d’une activité) immédiat sur l’instruction, l’autorisation et la mise en service de tout nouveau projet éolien ou solaire. Un vote «particulièrement grave» et une mesure à l’effet «dévastateur», a déploré le ministre de l’énergie, Marc Ferracci. «Du négationnisme technologique», assène de son côté le Syndicat des énergies renouvelables, alors que solaire et éolien sont «les deux filières renouvelables qui se développent le plus rapidement dans le reste du monde».
«Un moratoire sur les énergies renouvelables… Mais avec quoi comptent-ils produire l’électricité supplémentaire des 20 prochaines années ? Du gaz ? Du charbon ? De la magie ?!», a interrogé sur LinkedIn la députée écologiste Julie Laernoes. La réponse figure dans un autre amendement du Rassemblement national, pour qui toute sortie des énergies fossiles est «conditionnée au déploiement effectif de capacités pilotables bas carbone». En clair, le parti assume de continuer à compter sur le gaz, le charbon et le pétrole tant que de nouvelles centrales nucléaires n’auront pas pris le relai, soit au plus tôt en 2038.
Et après ?
Le texte sera soumis au vote solennel mardi 24 juin, où il pourrait finalement être rejeté par l’ensemble des député·es. Dans tous les cas, une deuxième lecture doit avoir lieu au Sénat (à partir du 8 juillet), puis à l’Assemblée nationale, avant une tentative de conciliation entre les deux chambres en commission mixte paritaire (sept député·es et sept sénateur·ices chargé·es de trouver un compromis entre les versions votées par l’Assemblée nationale et le Sénat). Alors que les chances sont grandes de voir le texte s’enliser dans cette navette parlementaire, le gouvernement pourrait décider de légiférer par décret. Mais le Rassemblement national a promis de le censurer si tel était le cas.