Décryptage

Vidéos générées par IA sur TikTok, faux comptes sur X… le mal-être des agriculteurs instrumentalisé sur les réseaux sociaux

Allumer le faux. Depuis le début des manifestations agricoles le 12 décembre, des comptes inondent les réseaux sociaux de contenus fallacieux ou générés par intelligence artificielle. Loin de porter les revendications des paysans, ils utilisent la crise pour servir leur intérêts. Qui sont-ils ? Vert fait le point.
  • Par

Un vieil agriculteur, béret vissé sur le tête, pleure sous la pluie devant ses vaches mortes ; un autre hurle sa colère entouré de ses brebis au rayon boucherie d’un supermarché en lançant les barquettes de viande au sol ; le youtubeur fitness Tibo Inshape manifeste avec des agriculteurs qui aspergent l’Élysée et les forces de l’ordre de lisier… Toutes ces images sont fausses, générées par intelligence artificielle (IA) et publiées sur le réseau social TikTok.

Depuis le début des mobilisations agricoles, le 12 décembre, à la suite de l’abattage d’un troupeau de bovins touché par la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) en Ariège, de nombreux contenus faux et trompeurs inondent les réseaux sociaux – jusqu’à invisibiliser la parole des vrais agriculteur·ices.

Plusieurs fausses vidéos, générées avec IA, pendant la crise agricole. © Capture d’écran Tiktok/Montage Vert

À l’origine du succès de ces faux contenus se cachent deux types de profils. En premier, celles et ceux qui espèrent surfer sur la crise agricole pour faire le buzz, le nombre de visionnage étant monétisé sur les réseaux sociaux. Plusieurs de ces comptes demandent d’ailleurs de s’abonner ou de repartager la vidéo «pour soutenir les agriculteurs».

Mais on retrouve aussi nombre d’internautes proches de l’extrême droite et des sphères complotistes. Sur X (ex-Twitter), ces communautés ont récupéré la crise agricole pour pousser leurs idées : critique du gouvernement ou demande de destitution d’Emmanuel Macron, sortie de la France de l’Union européenne, etc. Elles ont recours notamment à des pratiques «inauthentiques», comme l’utilisation de faux comptes automatisés, pour repartager des centaines de fois le même contenu.

Comparaisons entre la dermatose nodulaire et le Covid-19

L’agence Agoratlas, spécialisée dans l’analyse des dynamiques sur les réseaux sociaux, a étudié 492 413 tweets en lien avec le sujet de la dermatose, qui cumulent près 4,1 milliards de vues. L’étude montre que deux communautés «ont instrumentalisé cette crise à des fins politiques»écrit Agoratlas sur LinkedIN.

«Il y a une sphère complotiste, qui a émergé notamment pendant le Covid-19, et une sphère de soutiens de Reconquête», le parti d’extrême droite d’Éric Zemmour, détaille Clément Hammel-Cazenave, directeur général de Agoratlas, contacté par Vert. Ces deux communautés «écrasent complètement le débat, et inondent X de leur propre narratif».

Dans la première, l’une des personnalités les plus présentes est Florian Philippot, président du parti Les Patriotes. L’ancien numéro deux du Front national (devenu Rassemblement national en 2018) et son entourage cumulent «plus d’interactions [publications, reposts, commentaires, etc., NDLR] que l’intégralité des autres figures politiques réunies», précise Clément Hammel-Cazenave. Depuis le Covid-19, il a adapté son discours pour séduire les militant·es antivax et élargir son audience, comme le racontait Le Monde.

Dans ses publications récentes, il n’hésite pas à faire le parallèle entre la pandémie et la DNC sur les bovins : «Exactement la même chose que pendant le Covid, les mêmes mensonges et manipulations»écrit-il ce mercredi, avant d’ajouter «dehors Macron, Frexit, sauvons l’agriculture française !».

Soutiens d’Éric Zemmour et bots d’extrême droite

«Ils se servent de cette tribune-là pour pousser des messages anti-gouvernement, analyse Clément Hammel-Cazenave. Les contenus des agriculteurs eux-mêmes sont complètement invisibilisés par cette amplification. Seuls les aspects favorables à ces sphères-là sont poussés». Agoratlas a aussi identifié des comptes automatisées (on appelle ça des «bots») qui partage les mêmes liens des centaines ou des milliers de fois.

La pétition Reconquête, hébergée sur un site nommé soutien-agriculteurs.fr. © Capture d’écran

Un des liens les plus partagés sur X est une pétition, hébergée sur le site soutien-agriculteurs.fr, contre l’accord de libre-échange du Mercosur. Une fois signée avec son e-mail, cette pétition renvoie… sur le site ericzemmour.fr où il est proposé de faire un don au polémiste d’extrême droite, condamné pour «provocation à la haine».

Un site «trompeur quant à son affiliation» dénonce Agoratlas : le nom du parti n’apparaît pas dans le texte de la pétition. Il est mentionné seulement au moment de signer, pour accepter de «recevoir des informations de Reconquête». Une manière de récupérer des adresses e-mail, le nombre de signatures n’apparaît même pas sur la page. Deux jours après avoir signé la pétition pour en comprendre le fonctionnement, Vert a reçu un courriel d’Éric Zemmour pour nous souhaiter un joyeux Noël et nous proposer de soutenir le candidat malheureux à la présidentielle 2022.

💚 Un petit Vert et ça repart !

Cette année, le paysage politique, médiatique et climatique a été plus bouleversé que jamais. Mais il y a une bonne nouvelle : en 2025, grâce à vos dons, l’équipe de Vert a bien grandi, produit des contenus encore meilleurs et a touché beaucoup, beaucoup de monde.

En 2026, plus que jamais, nous sommes déterminés à poursuivre notre mission en toute indépendance, pour imposer l’écologie et ses enjeux vitaux dans le débat démocratique.

Sans milliardaire ni publicité, Vert vit de vos dons. Pour nous permettre d’être plus forts et d’informer toujours plus de monde, nous avons besoin de vous. Tous les dons sont déductibles de vos impôts à 66%.

Chaque don compte et servira à 100% à financer une production journalistique indépendante et de qualité. Faisons la différence ensemble !