Melissa a frappé de plein fouet la Jamaïque, mardi soir, avec des vents estimés à près de 300 kilomètres-heure. C’est l’ouragan le plus puissant (depuis le début des relevés météorologiques) enregistré sur l’île des Caraïbes, laquelle a été déclarée par les autorités comme «zone sinistrée», ce mercredi. Dès mardi après-midi, alors que Melissa n’avait pas encore touché terre dans le pays, de fausses vidéos ont proliféré sur les réseaux sociaux, montrant des scènes de dévastation.

Le phénomène est tel qu’il a poussé la ministre jamaïcaine de l’information, Dana Dixon, à réagir : «Je vois toutes ces vidéos circuler. Beaucoup d’entre elles sont fausses.» Elle a appelé la population à se référer aux canaux de communication officiels des autorités. Le réseau social Tiktok avait annoncé lundi avoir supprimé plusieurs dizaines de fausses vidéos, après des signalements de l’Agence France-Presse. Vert vous donne trois conseils pour les débusquer.
1) Repérer les incohérences à l’image et le logo
L’une des vidéos les plus visionnées sur les réseaux sociaux montre des requins qui seraient entrés dans les rues jamaïcaines, ou dans la piscine d’un hôtel, à la faveur des flots. Elle a été générée par intelligence artificielle (IA). La prolifération récente de ces vidéos est notamment due à Sora 2, une application (dont Vert a déjà parlé ici) de la firme OpenAI, qui permet de créer en quelques minutes des contenus ultra-réalistes.

Premier conseil : repérer les choses bizarres à l’image. Ici, on voit qu’une petite partie de l’écran a été floutée, comme si l’utilisateur avait essayé de cacher une inscription. C’est certainement le nom du logiciel d’IA utilisé pour générer la vidéo. Comme sur cette vidéo débunkée par RFI où l’on voit un faux journaliste qui prétend couvrir la catastrophe en direct : le logo de Sora, mal caché en haut de l’image, est reconnaissable.
D’autres erreurs sont fréquentes dans les images générées par l’IA : les personnes à l’arrière-plan sont floues ou n’ont pas de visage, les mains ont des doigts en trop, etc. Toujours dans la vidéo décryptée par RFI, le micro du faux journaliste flotte en l’air sans qu’il le tienne.
2) Regarder le contexte de la vidéo
Deuxième conseil : regarder le contexte de la vidéo. Les comptes qui n’ont pas l’intention de tromper les autres utilisateurs précisent l’utilisation de l’IA avec une mention «générée par IA» – qui figure parfois dans les hashtags.
Les commentaires ou la date de publication permettent aussi de lever le doute. Sur la vidéo avec les requins dans la piscine de l’hôtel, plusieurs internautes rappellent qu’au moment de sa publication, lundi 27 octobre, l’ouragan n’avait pas encore atteint les côtes jamaïcaines.
Ce n’est pas la première fois que les requins sont associés aux ouragans. Ce mardi, le média britannique BBC a rappelé que cette rumeur était née il y a 14 ans lors du passage de l’ouragan Irene dans les Caraïbes. Plusieurs médias avaient alors été trompés par un photomontage – l’IA générative n’existait pas – d’un requin dans les rues inondées de Porto Rico (États-Unis). Depuis, cette fausse information revient régulièrement lors des ouragans.
3) Faire une recherche d’image inversée
Vert a également observé plusieurs vidéos reprenant des images de catastrophes plus anciennes. Comme celle où l’on voit un hangar au toit bleu, éventré en direct par les vents. Elle avait déjà été utilisée dans des vidéos similaires lors du passage du typhon Bualoi au Vietnam et aux Philippines en septembre ou lors des tornades au Texas en mars dernier.

Astuce : pour vérifier l’origine du contenu, il suffit de faire une recherche d’image inversée. Faites une capture d’écran de la vidéo en question puis rendez-vous sur Google images. Dans la barre de recherche, une petite icône à droite propose de «rechercher par image». Il faut y glisser la capture d’écran et le moteur de recherche va faire apparaître les images identiques déjà postées sur internet. On retrouve ainsi notre hangar au toit bleu dans des vidéos plus anciennes. La preuve que la vidéo n’a pas été filmée en Jamaïque cette semaine.
Quel est le risque avec ces fausses infos ?
Ces fausses vidéos monopolisent l’espace informationnel et risquent de court-circuiter les annonces de sécurité des autorités jamaïcaines. D’autres minimisent le danger : certaines fausses vidéos montrent des Jamaïcain·es faire du jet ski dans les rues.
Cet été, Louna Wemaere, responsable du plaidoyer européen pour l’ONG anti-désinformation climatique QuotaClimat, avait rappelé à Vert que la désinformation ampute «la capacité d’évacuation des gens et leur aptitude à se protéger eux-mêmes» lors des catastrophes : «Pendant l’ouragan Milton [aux États-Unis, il y a un an, NDLR], des gens ont refusé de quitter leur maison car ils ont été exposés à des campagnes de désinformation qui prétendaient que le gouvernement pourrait s’emparer de leur maison si jamais ils s’enfuyaient pour se protéger.»
En juillet dernier, l’ONG américaine Center for countering digital hate (CCDH), spécialiste dans la lutte contre la désinformation en ligne, avait montré que les réseaux sociaux boostent la désinformation pendant les événements climatiques extrêmes. Les dernières versions des logiciels d’intelligence artificielle générative comme Sora 2 et Veo III (l’IA de Google) semblent accentuer le phénomène.
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