«Parlons vrai». Les deux mots sont inscrits quasi systématiquement lorsqu’apparaît le logo rouge et noir de Sud Radio. Son slogan, à lui seul ou presque, résume la volonté de la radio privée du milliardaire Christian Latouche de paraître proche du peuple. Il annonce qu’ici – contrairement à ailleurs – les choses seront dites sans ambages. Pourtant, rien ne sonne plus faux que Sud Radio quand il s’agit de parler du climat.
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Depuis janvier, parmi les 18 principaux médias audiovisuels français, Sud Radio est de loin l’endroit où la désinformation climatique s’invite le plus souvent au micro. C’est ce que montre une analyse publiée ce mercredi, réalisée par les associations QuotaClimat, Data for Good et Science Feedback. Sur cette station, une fake news est prononcée toutes les 40 minutes de programme dédié au climat. C’est encore pire que la chaîne de Vincent Bolloré CNews, qui compte un cas toutes les heures en moyenne. Dans l’analyse publiée ce mercredi, les deux médias sont classés comme des «relais proactifs de la désinformation», à l’instar des radios Europe 1 et RMC. Toutefois, Sud Radio «fait figure d’exception par l’ampleur du phénomène».
Auprès de Vert, un journaliste de cette station depuis plusieurs années explique ne pas être surpris : «Je sais qu’ils ont pris ce créneau parce qu’ils ont constaté que ça attirerait des auditeurs qu’ils n’attireraient pas forcément d’une autre manière.» Il nuance : «Quand je dis “ils”, je parle surtout de Bercoff.» Interrogée sur la désinformation climatique de Sud Radio, une autre journaliste assure essayer «d’aborder les sujets liés au climat le plus objectivement possible». Pour elle aussi, la source du problème «est à chercher dans le 12-14h de Bercoff, pas plus loin».
Micro ouvert aux climatosceptiques
André Bercoff, 84 ans, ancienne figure du journalisme dans les années 1980, invite désormais dans son émission «Bercoff dans tous ses états» des personnalités aux propos controversés sur le climat, sans contradiction.
Ainsi, le climatosceptique Christian Gérondeau disserte sur «la température de la Terre [qui] baisse» – une information qui est bel et bien fausse. L’essayiste anti-énergies renouvelables Fabien Bouglé peste contre l’inefficacité du solaire et de l’éolien – rien ne permet d’affirmer cela. Le patron de l’association Action Écologie, Bertrand Alliot, qui pense (à tort) que «la biodiversité ne s’effondre pas en Europe», s’insurge au micro de la censure dont il s’estime victime. Dernier exemple avec François de Rugy (notre enquête à son sujet). L’ex-ministre de la transition écologique minimise à l’antenne la dangerosité des PFAS, ces «polluants éternels» omniprésents et nocifs pour la santé humaine. Tout cela avec l’assentiment d’André Bercoff, pourtant censé maîtriser l’antenne et assurer l’honnêteté de l’information. C’est ce que stipulent les règles déontologiques – voir ici – de l’Arcom, le gendarme de l’audiovisuel.
«Bercoff est un trumpiste, ses positions sont en défaveur du climat. Cela déteint sur l’émission… qui est complètement orientée», estime une ex-chargée de communication de Sud Radio. Selon plusieurs interlocuteur·ices passé·es par la station, l’octogénaire choisit lui-même ses invité·es. Et ceux-ci reviennent souvent.
«Le programmateur de Bercoff n’a pas beaucoup de boulot», ironise un journaliste qui a régulièrement collaboré avec le média. «C’est un éditorialiste, il déroule son idée et il accueille des invités qui la confirment», estime une autre. Selon les données rassemblées par QuotaClimat, Data for Good et Science Feedback, 55% de la désinformation climatique recensée sur cette antenne a été prononcée par des invité·es, sans contradiction de la part des journalistes en plateau.
En mai 2024, Sud Radio avait reçu une mise en garde de l’Arcom pour des propos climatosceptiques – une première dans les médias s’agissant de désinformation climatique. Le controversé physicien François Gervais avait déclaré dans «Bercoff dans tous ses états» que le réchauffement climatique est «un bien», car «le froid tue beaucoup plus […] qu’un peu de chaleur».
Avec près de 500 000 auditeur·ices chaque jour, Sud Radio est très loin derrière les sept millions de France inter, première radio du pays. Mais l’essentiel est ailleurs : tout est filmé en plateau à destination des réseaux sociaux. Chaque émission génère plus d’une dizaine d’extraits, et le potentiel de viralité qui va avec. Sur Youtube, la chaîne de Sud Radio compte 1,02 million d’abonné·es, soit presque autant que… France inter (1,3 million).
Selon le décompte de Vert, parmi les 50 vidéos les plus populaires de la chaîne, 40 sont à attribuer à André Bercoff. «La direction laisse le champ libre à Bercoff car c’est un peu la poule aux œufs d’or de la radio», estime un journaliste toujours en poste.
«Climato-réalistes»
Interrogé par Vert sur le nombre d’invité·es aux propos problématiques sur le climat, Patrick Roger, le directeur de l’information de Sud Radio, répond : André Bercoff «n’en a pas invité beaucoup, c’est trois ou quatre, en fait, sur plusieurs mois». Toutefois, il reconnaît que certains, comme Christian Gérondeau, sont venus «deux, trois fois». «Ce sont surtout des scientifiques qui se disent “climato-réalistes”», justifie-t-il encore. Une notion qu’emploie aussi le très climatosceptique think tank américain Heartland Institute (notre article) pour décrire ses propres contenus, voulus comme la réponse à une science climatique jugée trop alarmiste.
«On lui a dit qu’on pouvait inviter [ces personnes] mais qu’il fallait apporter de la contradiction, reprend Patrick Roger. À partir de là, il y a des choses qui n’ont pas été respectées, donc on a fait évoluer l’émission.» Depuis le 6 octobre, André Bercoff a rejoint le média Tocsin, proche de l’extrême droite et des thèses complotistes. Alors qu’il était sur Sud Radio tous les jours de la semaine depuis 2016, il n’anime désormais plus qu’une émission hebdomadaire le vendredi, d’un «commun accord» avec la direction.
Mais André Bercoff n’est pas le seul responsable : son émission comptabilise la moitié des cas de désinformation recensés sur Sud Radio. Les autres ont été débusqués dans la matinale ou dans l’émission de débats «Mettez-vous d’accord». Même si l’on ignorait tous les propos fallaciux attribués à André Bercoff, la radio serait toujours classée comme «relai proactifs de la désinformation» par les associations QuotaClimat, Data for Good et Science Feedback.
«La direction laisse faire»
Dans la matinale de Sud Radio, Élisabeth Lévy – chroniqueuse qui a aussi son rond de serviette chez CNews – évoquait le 17 février l’origine humaine du réchauffement climatique : «Là-dessus, je suis navrée, il n’y a pas un consensus scientifique absolu.» Une position climatosceptique partagée par 30% des Français·es, selon l’Agence de la transition écologique (Ademe). Pourtant, ce consensus scientifique existe : selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les activités humaines sont «sans équivoque» responsables du réchauffement de la planète.
Pour un journaliste en interne, la différence entre Sud Radio et les autres médias sur le sujet s’explique par le fait que «la direction laisse faire». «Puisqu’ils laissent faire Bercoff parce que ça attire d’autres auditeurs, alors ils n’interviennent pas quand d’autres journalistes se font avoir [par leurs invités] sur les questions climatiques», juge-t-il.
Eva Morel, secrétaire générale de QuotaClimat, considère que «la densité des cas de désinformation est suffisamment forte pour considérer que, si ce n’est pas volontairement encouragé, ce n’est pas découragé non plus». Elle explique cette ligne éditoriale par une volonté de se distinguer, de donner la parole à des voix que l’on n’entend pas ailleurs dans les médias – quitte à être à rebours du consensus scientifique sur le climat.
Faux experts
«Ce sont des choses qu’honnêtement on voit dans très peu d’autres médias français, c’est vraiment une spécificité de Sud Radio, estime encore Eva Morel. Le problème est que ça participe à faire monter des experts qui n’en sont pas vraiment et qui, par la suite, se retrouvent dans d’autres médias beaucoup plus crédibles.»
Fabien Bouglé, invité régulier de l’émission d’André Bercoff et connu pour ses positions anti-énergies renouvelables, s’est ainsi retrouvé sur le plateau de France info au lendemain de la panne d’électricité géante en Espagne, le 28 avril dernier. Il a alors qualifié, sans preuve, les énergies renouvelables de «responsables» de ce black-out… sans être contredit par la journaliste (notre article).
Pour le directeur de Science Feedback, Emmanuel Vincent, il y a une certaine ligne qui consiste à donner la parole «à des personnes qui peuvent se prétendre expertes et qui ne le sont pas forcément et, en parallèle, à ne pas inviter des experts qui le sont».
Christian Latouche, un patron qui a flirté avec l’extrême droite
Patrick Roger assume donner la parole à des figures minoritaires : «C’est pas parce qu’on est minoritaires qu’on a tort.» Même si, sur le climat, il reconnait une «réalité du réchauffement climatique en grande partie d’origine humaine» et un «consensus scientifique autour des recommandations du Giec». «Après, ce n’est pas une raison pour que, s’il y a des personnes qui s’expriment différemment, on ne puisse pas les entendre. Par contre, si on les entend, on doit leur apporter la contradiction. Je suis d’accord», tempère-t-il.
La radio est détenue par le groupe Fiducial, géant de l’expertise comptable, propriété du milliardaire Christian Latouche. Ce dernier a flirté avec le Front national de Jean-Marie Le Pen au début des années 2000. «On a une indépendance éditoriale totale», balaye Patrick Roger. L’antenne a aussi compté Robert Ménard parmi ses chroniqueurs. La saison dernière, le maire de Béziers (Hérault) et ancien soutien du Rassemblement national apparaissait dans la matinale. «Nous n’avons pas de positionnement politique clair, ce n’est pas notre rôle de choisir un camp», rétorque le directeur de l’information de Sud Radio.
En guise d’amélioration, il assure que la station a inauguré plusieurs émissions depuis la rentrée, «notamment en réaction aux échanges que nous avons eus avec QuotaClimat». Le dimanche, dans l’émission «Planète demain», une heure est désormais consacrée aux innovations «éco-technologiques». Et, dans la matinale, la chronique «Comment va la planète ?» est à présent dédiée aux enjeux environnementaux. «Ils ont conçu des émissions pour faire un petit peu la balance, témoigne un journaliste en interne. Maintenant, on ne va pas se leurrer, ça n’a pas du tout le même impact».
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