Désordres de grandeur

Qui sont les climatosceptiques en France et combien sont-ils vraiment ?

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Déni-oui-oui. L’appellation «climatosceptiques» est un grand fourre-tout qui regroupe des familles bien différentes, dont l’organisation Parlons climat vient de brosser le portrait comme jamais auparavant. Sont-ils forcément d’extrême droite ? Plutôt masculins ? Quelles sont leurs préoccupations et comment leur parler ? Tour d’horizon d’un sujet brûlant.

Qu’est-ce que climatosceptique veut dire ?

Il existe plusieurs degrés : on est climatosceptique si l’on pense qu’il n’y a pas du tout de changement climatique ; qu’il n’est pas causé par les humains, mais par des phénomènes naturels ; si l’on ne sait pas s’il existe ou si l’on pense qu’on ne peut pas savoir.

«Il y a encore un amalgame entre être climatosceptique et ne pas croire au changement climatique, alors que cette position concerne une minorité de personnes», explique à Vert Amélie Deloffre, coautrice de la vaste enquête sur les climatosceptiques en France menée par Parlons climat, publiée début novembre. Celle-ci rappelle notamment que l’on nomme «dénialiste» cette part marginale de personnes qui mettent en doute le dérèglement climatique.

Grâce à l’analyse de plusieurs sondages préexistants et à 24 entretiens menés avec des climatosceptiques, l’organisation Parlons climat, qui veut ouvrir la transition écologique aux publics les moins engagés, a distingué deux positionnements principaux.

→ Les climatosceptiques «mous». Elles et ils n’ont pas d’avis prononcé sur la question et pensent que l’origine du changement climatique est mixte, à la fois due aux activités humaines et aux cycles naturels. Elles et ils ne sont pas opposé·es aux politiques environnementales tant que leur mode de vie n’est pas remis en cause.

→ Les climatosceptiques «durs», sont plus souvent masculins, motivés par une opposition politique et une antipathie à l’égard des écologistes. Elles et ils mettent en cause la parole scientifique qu’ils jugent exagérée. Certain·es sont dénialistes, voire adoptent une posture complotiste.

Combien de Français·es sont climatosceptiques ?

En 2024, on compte 38% de Français·es climatosceptiques, selon le dernier baromètre de l’Agence de la transition écologique (Ademe) sur les représentations du changement climatique publié fin octobre 2024. 30% pensent que le changement climatique est un phénomène naturel : «un pic», relève Anaïs Rocci, sociologue à l’Ademe. 6% n’ont pas d’avis et 2% nient le changement climatique.

Un chiffre comparable à celui de la vaste étude Fractures françaises réalisée par Ipsos/Sopra Steria, qui avait estimé à 43% le nombre de climatosceptiques en 2023.

La part de celles et ceux qui voient dans les désordres climatiques des phénomènes naturels est en hausse : en 2024, le taux a augmenté de sept points par rapport à l’année dernière et de douze points par rapport à 2020, selon l’Ademe. Comment expliquer ce retour des climatosceptiques, alors que les derniers rapports du Giec, qui compilent des milliers d’études, ne laissent plus de place au doute sur les causes du changement climatique ? Pour Anaïs Rocci, «les désordres climatiques sont entrés dans le quotidienà tel point qu’ils peuvent apparaître comme quelque chose de normal, auquel il faudrait s’adapter… Cela va presque jusqu’à dire que la nature est devenue folle et en oublier que ça vient des activités humaines.»

Qui sont les climatosceptiques ?

Les climatosceptiques sont davantage représenté·es chez les plus de 65 ans (un tiers des personnes de cette tranche d’âge le sont, selon Parlons climat). On en trouve dans toutes les catégories socio-professionnelles, mais elles et ils sont moins nombreux·ses au sein des personnes très diplômées (20% chez celles et ceux qui ont un parcours universitaire, selon Parlons climat contre 32% chez les non-diplômé·es). Les climatosceptiques «durs» sont, eux, plus souvent masculins. Le rapport de Parlons climat note que le lieu d’habitation (urbain ou rural) n’a pas une grande influence.

Le climatoscepticisme est-il plutôt de gauche ou de droite ?

«Tous les chiffres montrent un lien entre le fait d’être d’extrême droite – et dans une moindre mesure de droite – et le climatoscepticisme», explique Amélie Deloffre. Selon Parlons climat, 30% des personnes qui se déclarent de droite sont climatosceptiques, contre seulement 13,5% des individus qui se disent de gauche.

Les positions varient radicalement d’un bout à l’autre du spectre : 79 % des personnes qui se classent «très à gauche» sont certaines de l’origine anthropique du changement climatique, contre 49% des personnes «à droite», d’après l’Ademe.

Le rapport de l’Ademe met en lumière une «vraie polarisation politique autour du climatoscepticisme, qui s’est accrue ces dernières années», détaille Anaïs Rocci. Elle ajoute :  «On observe une forme de radicalisation de ceux qui sont les plus sceptiques et les plus réfractaires aux discours écologiques, avec un vrai clivage entre les partisans de la droite et de la gauche sur la conviction du caractère anthropique [humain, NDLR] du changement climatique».

Les élu·es locaux·les sont à peine moins climatosceptiques que la moyenne : 27 % pensent que le changement climatique est un phénomène naturel, selon le baromètre de l’Ademe. Elles et ils sont tout aussi concerné·es par le clivage gauche/droite : à gauche, 93% sont convaincu·es de l’origine anthropique de la crise climatique, contre 52% à droite. Plus surprenant : 12% des individus qui se disent proches des partis écologistes sont identifiés comme des sceptiques «mous», selon Parlons climat.

Le déni climatique vient-il de l’ignorance ?

Contrairement à une idée répandue, le climatoscepticisme «ne puise pas son origine dans une défiance envers la parole scientifique, ni même dans un manque de connaissances sur le sujet», indique le rapport de Parlons climat. Il s’agit plutôt d’«une réaction à ce qui est perçu comme une menace». Cette menace peut être la remise en cause de modes de vie ou d’activités en particulier (la voiture, par exemple, cristallise le plus les colères), mais aussi le sentiment d’impuissance face à un phénomène d’ampleur mondiale. Le manque de moyens d’action va en pousser certain·es à adopter une posture de déni.

Parlons climat montre que plusieurs biais cognitifs déterminent la manière dont chaque individu appréhende le sujet. Par exemple :

→ le «biais de confirmation» nous fait privilégier les informations qui renforcent nos convictions personnelles ;

→ «l’effet retour de flamme» est un mécanisme que l’on développe pour rejeter les preuves qui contredisent nos croyances.

Résultat : «La désinformation alimente et légitime le climatoscepticisme, mais elle n’est pas à son fondement, souligne Amélie Deloffre. Les opposants politiques comme les jeunes d’extrême droite reçoivent plus d’information que de désinformation, mais ils choisissent cette dernière. Ils écoutent l’ensemble des médias, ils connaissent les infos du Giec[Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, NDLR], mais ils citent CNews pour justifier leurs positions.»

Chez les sceptiques «durs», il s’agit surtout d’«une opposition politique et une envie d’être en contradiction avec le discours dominant», relève Amélie Deloffre. «Parmi les “durs”, être anti-écologiste est la principale motivation au climatoscepticisme. Dans les entretiens menés pour l’étude, on entend beaucoup des phrases comme “les écolos nous cassent les pieds donc, si ça se trouve, l’Homme n’est peut-être pas à l’origine du changement climatique”.»

Les climatosceptiques risquent-ils de ralentir l’action contre le changement climatique ?

Douter des faits scientifiques ne signifie pas automatiquement refuser de lutter contre la crise climatique. «On peut être climatosceptique et vouloir des politiques environnementales fortes», relève Anaïs Rocci. 72% des Français·es, par exemple, sont favorables à la limitation de la circulation des véhicules les plus polluants et 84% à l’interdiction des publicités de produits à fort impact écologique. Une part de la population qui inclut donc des personnes climatosceptiques.

Les sceptiques «mous», hésitant·es sur les causes du changement climatique, mais qui reconnaissent son existence, «sont de potentiels alliés contre la crise climatique et ont à peu près les mêmes visions d’une société souhaitable que les non-climatosceptiques», indique Amélie Deloffre. Pour rappel, il s’agit de 30% de la population française.

Ce n’est pas le cas des climatosceptiques «durs», soit 10% des Français·es, qui s’opposent de manière virulente à toute politique écologiste. Elles et ils prônent parfois des solutions fondées sur la technologie, afin d’éviter de bouleverser leurs habitudes.

Pour Parlons climat, plusieurs mesures permettraient de limiter les positionnements climatosceptiques «durs». Parmi elles : diversifier les profils qui parlent d’écologie, pour que ce ne soit pas seulement les catégories sociales aisées et/ou urbaines qui y soient associées ; ne pas pointer du doigt les sceptiques «mous», qui partagent une même envie d’agir.

Parlons climat invite à lutter contre le sentiment d’impuissance, dont elle montre qu’il est un moteur du climatoscepticisme. Amélie Deloffre invite pour cela à ce que «partout dans le monde et autour de nous, des gens s’organisent» et à parler «des manières de s’engager collectivement et pas seulement individuellement».

Photo de couverture : Getty images/Unsplash