Trafic ferroviaire interrompu, accès à Internet partiellement coupé, pannes d’ascenseur… Alors que le courant n’était pas encore revenu sur l’ensemble de la péninsule ibérique lundi soir, certains n’ont pas attendu de connaître les causes de la panne pour accuser les énergies renouvelables.
«On a été surpris par le traitement médiatique qui a, très rapidement, attribué la coupure aux énergies renouvelables (ER). Même le service audiovisuel public s’est permis d’inviter des opposants historiques aux ER», commente auprès de Vert Eva Morel, secrétaire générale de QuotaClimat. Cette ONG, qui lutte contre la désinformation climatique, a interpellé la chaîne d’information France info sur une séquence diffusée lundi à 23 heures.
Dans celle-ci, François Bouglé, invité en tant qu’«essayiste, expert en politique énergétique», et par ailleurs auteur d’un livre anti-éoliennes, a attribué le black-out aux énergies renouvelables – «panneaux solaires, éoliennes» –, présentées comme «très dangereuses pour la sécurité électrique de la France».

En plateau, la journaliste ne l’a pas contredit et a relancé un autre invité : «Est-ce que là, ce qui s’est passé en Espagne, même si on n’est pas totalement certain des causes, est-ce que ça veut dire que l’énergie solaire, les éoliennes, c’est pas bon ?»
Eva Morel commente : «D’une part, il n’y a pas de contradictoire. La journaliste approuve même que les renouvelables ne sont “pas bon”. Ce qui ne correspond pas au réel, rappelle-t-elle. Et ce n’est pas neutre d’inviter des personnes historiquement opposées aux énergies renouvelables – comme Fabien Bouglé, qui multiplie les prises de parole sur ce sujet, notamment dans Le Point et Sud Radio – et de ne pas le préciser.»
«Il est urgent de former vos présentateurs»
Pourtant, à cette heure, la cause de l’incident est toujours inconnue. L’attaque contre les énergies renouvelables a été lancée par la droite et l’extrême droite espagnoles qui se sont emparées de l’événement pour remettre en cause la politique énergétique du premier ministre socialiste, Pedro Sanchez, très favorable au développement des ER et à la sortie du nucléaire. Selon le Monde, dans son rapport annuel 2024, le réseau électrique espagnol (Red Eléctrica de España, REE) avait alerté d’un «risque à court terme de déconnexions» de l’électricité, pouvant être «graves», lié «à la forte proportion des énergies renouvelables».
Toujours cité par le quotidien français, Pedro Sanchez a annoncé mardi qu’«aucune hypothèse ne sera[it] écartée» tant que le réseau électrique n’aura pas été dûment analysé. Mais il a déjà balayé les pistes de ses opposants : «Il n’y a pas eu d’excès de production d’énergies renouvelables, ni un manque de couverture de la demande.» La justice a ouvert une enquête sur un éventuel sabotage informatique, alors que le gestionnaire du REE et le gouvernement portugais ont écarté la théorie d’une cyberattaque. Pour l’instant, pas de quoi désigner les énergies renouvelables comme coupables, donc.
Sur Instagram, Quota Climat a interpellé le groupe audiovisuel français : «France Télévisions : il est urgent de faire valoir le pluralisme dans la composition de ce type de plateaux et de former vos présentateurs aux enjeux environnementaux et énergétiques. Le résultat est, sinon, une cacophonie, particulièrement en période de crise».
France info n’est pas le seul média, en France ou à l’international, a avoir donné une tribune aux critiques des énergies renouvelables. Au Royaume-Uni, le quotidien conservateur The Daily Telegraph a titré en Une : «Net zero blamed for black out chaos» («Le zéro émission – les énergies qui n’émettent pas de CO2 – accusé d’être à l’origine du chaos des pannes d’électricité», en français).
«Une désinformation destinée à faire dérailler la transition mondiale»
«Je suis effaré de voir la multiplicité des réactions de spécialistes autoproclamés “experts” […] profiter de l’occasion pour prendre la lumière sur les plateaux télé, sans même savoir si les énergies renouvelables sont ou non à l’origine de la panne», a réagi Maxence Cordiez, ingénieur et expert associé énergie à l’Institut Montaigne, via Linkedin. Il a ajouté : «Il est de la responsabilité des médias de vérifier que les gens qu’ils invitent sur les plateaux pour donner une expertise technique ont l’expérience et les connaissances pour ce faire. Le fait d’avoir rédigé des livres militants ne constitue pas un gage d’expertise.»
À lire aussi
-
Sud Radio, CNews, mais aussi France Télévisions : 128 cas de désinformation climatique recensés depuis janvier
Mauvaise rumeur. Dans une étude inédite, QuotaClimat, Data for Good et Science Feedback dévoilent le rôle des médias audiovisuels dans la propagation de la désinformation climatique. Grâce à un nouvel outil basé sur l’intelligence artificielle, ces associations ont détecté en moyenne dix cas chaque semaine depuis le début de l'année. -
Une coalition d’États et d’organisations internationales contre la désinformation climatique
Épidéni. En parallèle du G20 qui s’est tenu à Rio de Janeiro (Brésil) lundi et mardi, le gouvernement brésilien a inauguré un mouvement contre les fake news sur le climat avec les Nations unies et l’Unesco.