Il se présente comme «le plus important groupe de réflexion soutenant le scepticisme à l’égard du changement climatique d’origine humaine» : le Heartland Institute, champion de la désinformation sur le climat aux États-Unis, vient d’ouvrir son premier bureau en Europe. Inauguré à Londres en présence du politicien d’extrême droite Nigel Farage, Heartland UK annonce sa volonté d’interpeller les politiques au Royaume-Uni et au-delà pour défendre ses positions. Dans les médias, sa directrice s’indigne des mesures du gouvernement britannique pour réduire l’exploitation pétrolière en mer du Nord. La même position que Donald Trump : le climato-dénialisme à l’américaine est-il en train de prendre pied en Europe ?
Fondé en 1984, le Heartland Institute se donne pour mission de «développer et promouvoir des solutions de libre marché aux problèmes sociaux et économiques». Avec un budget annuel d’un peu plus de quatre millions de dollars, une vingtaine de salariés et des dizaines de contributeurs présentés comme des experts, le think tank travaille donc sur une variété de sujets. Mais il s’est surtout distingué comme fer de lance de la bataille contre les politiques climatiques : en 2016, il revendique ainsi avoir fourni des argumentaires à la Maison-Blanche, à la demande de l’équipe de Donald Trump, pour former le nouveau président à la «vérité sur le climat».
Ce décryptage a été réalisé par nos ami·es du magazine Socialter. Vert est partenaire de leur dernier numéro sur l’éco-complotisme. Plus d’infos juste ici.
Des emails ont aussi révélé que William Happer, membre du Conseil de sécurité nationale de cette première administration Trump, est allé chercher conseil directement auprès de l’institut pour développer des arguments réfutant l’urgence climatique. Cette obsession anti-climat peut être liée aux bailleurs de l’institut. Par le passé, il a en effet reçu des fonds de l’industriel du charbon Murray Energy ou d’ExxonMobil : entre 1998 et 2007, le géant pétrolier aurait versé au moins 676 000 dollars au think tank.
Ce dernier essaie aujourd’hui de prendre ses distances avec ces donateurs gênants, mais il est toujours financé par des fondations très opaques, qui ne révèlent pas les noms de leurs contributeurs. Et surtout, il reste hyperactif dans la promotion de toutes sortes de théories plus ou moins farfelues contre l’action climatique. Les newsletters et autres publications du Heartland Institute vous plongent ainsi dans un monde où les dérèglements climatiques n’existent pas, ou ne sont pas liés aux activités humaines.
Et s’il y a des changements, ils seraient finalement positifs : le CO2, c’est très bien, les plantes en ont besoin ! Pour les «experts» de l’institut, il n’y a pas de problème de sécheresse, les ours blancs se portent à merveille, et les récifs coralliens s’épanouissent dans des eaux plus chaudes. Des fake news en série, reprises dans des manuels scolaires envoyés à des milliers d’enseignants américains, ou diffusées sur les réseaux sociaux, que ce soit via une application climatosceptique ou les vidéos de Linnea Lueken, spécialiste climat du think tank. Avant de le rejoindre, cette diplômée en ingénierie pétrolière travaillait sur des navires de forage en eaux profondes dans le golfe du Mexique.

Toutes ces affirmations ont été largement contredites par la communauté scientifique, mais «il est facile de semer le doute quand on communique sur des données scientifiques qui sont forcément complexes», analyse Maxwell Boykoff, professeur à l’université du Colorado qui suit l’institut depuis plus de dix ans. En outre, elles permettent de dépeindre un monde rassurant, puisqu’il serait débarrassé des risques associés au chaos climatique. Pour Boykoff, «la crise climatique implique qu’il faut changer nos vies, ça peut être très décourageant. Je pense que les discours climatosceptiques fonctionnent sur une partie de la population car ils offrent une possibilité d’échapper à cette réalité, d’échapper à des questions compliquées auxquelles il faudrait faire face.»
Théories du complot anti-climat
Pour les climatosceptiques, qui se qualifient de «climato-réalistes», ce qui est dangereux, c’est la transition énergétique. Elle imposerait de se priver du pétrole, présenté comme indispensable, au profit d’énergies renouvelables accusées de tous les maux : polluantes, inefficaces et, pour les éoliennes offshores, menaçant la survie des baleines. Là encore, une fausse information que les négateurs des dérèglements climatiques répandent à travers le monde entier. L’action climatique est présentée comme un délire d’«alarmistes». Mais aussi comme un moyen pour les scientifiques de capter du pouvoir et des financements. Et pour les politiques et militants, d’imposer un agenda «gauchiste», au mépris de l’économie et des libertés. Bref, une manigance pour entraver le libre marché, dont le Giec serait complice.
Dans le cadre d’entretiens menés lors d’une conférence organisée par le think tank en 2021, Maxwell Boykoff constate une porosité entre les climatosceptiques du Heartland Institute et les théories complotistes autour du Covid : refus de porter le masque, opposition au vaccin… Dans les deux cas, une certaine notion de la liberté s’oppose à la science. Sur X (ex-Twitter), Steve Milloy, membre du conseil d’administration du Heartland Institute, lancera d’ailleurs la rumeur d’un «confinement climatique» que certains dirigeants pourraient vouloir imposer après celui lié au Covid. Une théorie du complot devenue virale, qui sera ensuite instrumentalisée, par exemple pour s’opposer en 2023 à une politique de réduction du trafic automobile dans le comté d’Oxford au Royaume-Uni.
Là encore, la réalité sera déformée jusqu’à affirmer que cela conduirait à enfermer les habitants dans leurs quartiers, alors que la politique en question vise simplement à réduire la circulation de certains véhicules.
Trumpistes et réactionnaires européens contre le climat
À côté de sa communication tous azimuts, le Heartland Institute mène aussi un lobbying intense auprès des décideurs américains, et fait partie des organisations qui ont participé au «Project 2025», un programme de gouvernement taillé sur mesure pour la seconde présidence Trump, qui recommande d’«arrêter de faire la guerre au pétrole et au gaz».
Le nouveau chef d’État américain ayant lui-même affirmé que les changements climatiques étaient un canular, les climatosceptiques ont de quoi se sentir galvanisés par son élection. «Il revient, et ça va être merveilleux, avec le momentum ici en Europe», se réjouit James Taylor, président du Heartland Institute lors d’une conférence à Vienne à l’été 2024. Le momentum en question : la montée de partis populistes de droite et autoritaires sur le Vieux Continent, qu’il voit comme une opportunité de combattre le lavage de cerveau que subiraient les Européens autour de la crise climatique.
Si l’ouverture d’un bureau à Londres est une nouvelle étape, le Heartland Institute noue depuis des années des contacts avec des Européens, plutôt très à droite de l’échiquier politique. Le think tank est ainsi proche de l’organisation allemande EIKE, dont le président Michael Limburg est membre de l’AfD, le parti d’extrême droite outre-Rhin.
Au Royaume-Uni, il est en relation avec des personnalités liées au Parti pour l’indépendance (Ukip), eurosceptique et anti-immigration. Nigel Farage était l’invité d’honneur de la soirée des 40 ans du think tank en septembre 2024, à laquelle assistait aussi Harald Vilimsky, député européen autrichien d’extrême droite, qui siège dans le groupe présidé par Jordan Bardella.

En mars 2024, Vilimsky avait invité James Taylor, président du Heartland Institute, à venir présenter «Climate at a glance» («le climat en un coup d’œil») au Parlement européen à Strasbourg, où des contacts auraient été noués avec des élus hongrois. En 2023, c’est le premier ministre polonais de l’époque, Mateusz Morawiecki, que Taylor rencontrait à Varsovie pour échanger sur la manière de contrer les politiques environnementales de l’Union européenne.
Côté français, le Heartland Institute semble surtout avoir des liens avec des think tanks et organisations participant à influencer le débat public. Le mathématicien Benoit Rittaud, président de l’association des «climato-réalistes», a participé en 2017 et 2019 à des conférences du Heartland Institute et dit avoir «beaucoup appris».
Par ailleurs, le think tank américain a aussi longtemps été un partenaire de l’Atlas Network, un réseau qui vise à soutenir des think tanks conservateurs partout dans le monde, y compris en France. Deux organisations françaises elles aussi liées à ce réseau – Contribuables associés et l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref) – diffusent également des contenus contestant les effets des dérèglements climatiques ou critiquant les énergies renouvelables pour leur coût ou les pollutions qu’elles engendrent, alors qu’ils ne soulèvent pas ces questions s’agissant du pétrole ou du nucléaire.
Parmi les contributeurs de ces organisations, il y a par exemple Alain Mathieu, qui écrivait en mars 2023 que «l’augmentation de la température de l’atmosphère est due principalement à des causes naturelles, l’augmentation du CO2 n’y jouant qu’un rôle marginal».
Cet entrepreneur a aussi été vice-président de la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques (Ifrap), très présente dans les médias et qui, si elle ne fait pas du climat son cheval de bataille, va s’opposer aux objectifs européens de développement des énergies renouvelables ou se montrer très critique de la loi climat ou de la fin de la vente des véhicules thermiques.
En se basant sur des arguments économiques ultra-libéraux, qui occultent les risques et coûts liés à la crise climatique. Faut-il y voir d’autres «têtes de pont» de l’offensive climato-dénialiste en Europe ?
Selon un récent baromètre de l’Ademe, le scepticisme à l’égard de la réalité du réchauffement climatique d’origine humaine augmente en France : l’activisme de tous ces think tanks mérite sans doute d’être tenu à l’œil.
À lire aussi
-
Haarp, chemtrails… les théories climato-complotistes à la mode en 2025
Complots tristes. Est-ce vraiment une surprise en ce début d’année marqué par l’allégeance des géants de la tech à Donald Trump ? Les théories complotistes autour du climat ont le vent en poupe sur internet. Décryptage. -
«Dictateur», «liberté d’expression», mots interdits… Comment Trump atomise le langage pour détruire le réel et la démocratie
Ire réelle. Donald Trump a toujours eu un rapport problématique avec les mots et leur sens originel. Depuis son retour à la Maison-Blanche, celui qui jette ses «fake news» et autres «faits alternatifs» à la face de ses adversaires, a entrepris une destruction méthodique du langage et des réalités qu’il décrit. Analyse.