Ire réelle. Donald Trump a toujours eu un rapport pour le moins problématique avec les mots et leur sens originel. Depuis son retour à la Maison-Blanche, celui qui jette ses «fake news» et autres «faits alternatifs» à la face de ses adversaires, a entrepris une destruction de plus en plus méthodique du langage et des réalités qu’il décrit. Florilège et analyse de cette fascisation de la langue.
Zelensky est un «dictateur», Trump est «pour la paix»
Si beaucoup d’observateur·ices y voient une capitulation, pour Donald Trump, couper l’aide à l’Ukraine, qui tente de résister à l’invasion russe, ce serait être du côté de la «paix». Il a expliqué, sans trembler, que l’Ukraine était responsable du déclenchement de la guerre.
Il a aussi qualifié Volodymyr Zelensky, président ukrainien démocratiquement élu, de «dictateur». Lorsque le journaliste Hugo Travers (Hugo Décrypte) lui a demandé si ce qualificatif valait aussi pour Vladimir Poutine, Trump s’y est refusé : «Je n’emploie pas ces mots à la légère», a-t-il osé.

«La guerre, c’est la paix» : maintes fois rebattue depuis la parution de 1984 (en 1949), la célèbre formule du roman de Georges Orwell s’est rarement aussi bien appliquée.
«Golfe d’Amérique», «Fort Bragg», «Mont McKinley» : Trump réécrit l’Histoire
Cette histoire a fait le tour du monde : Trump a décidé tout seul de transformer le golfe du Mexique en «golfe d’Amérique» au mépris de ses alliés et de l’Histoire. Signe de la bascule idéologique du monde de la tech américaine, Google s’est exécuté sans broncher.

Mais ce n’est pas tout ! Trump a aussi rebaptisé la base militaire de Fort Liberty en «Fort Bragg», du nom d’un général confédéré esclavagiste. Idem pour le mont Denali, nommé ainsi par des peuples amérindiens, qui s’appelle à nouveau «Mont McKinley», en hommage à un ancien président des États-Unis.
En changeant le nom de ces lieux, Donald Trump réécrit l’Histoire, invisibilise les peuples autochtones et glorifie un général qui détenait des esclaves.
Les médias, «fake news» et «ennemis du peuple»
Dans le monde parallèle de Trump, les médias traditionnels avec des vrai·es journalistes sont automatiquement considéré·es comme des «fake news». Pire, il qualifie ce contrepouvoir vital en démocratie d’«ennemi du peuple».
Trump a restreint l’accès à la Maison-Blanche pour les professionnel·les de l’information, et ouvert les portes à des blogueur·ses, podcasteur·ses et influenceur·ses d’extrême droite pour «rendre le pouvoir au peuple». Conspirationnistes, masculinistes… les conférences de presse présidentielles promettent de se transformer en foire à la désinformation.
La «liberté d’expression», mais seulement pour lui et les siens
La «liberté d’expression» selon Trump, c’est le droit de mentir, insulter, harceler, diffamer sans aucune limite. C’est la loi du plus fort.
Cette loi du plus fort, en réalité, restreint la liberté d’expression des personnes issues des minorités (cibles d’attaques de plus en plus violentes). Mais aussi de toutes celles et ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter des médias ou des réseaux sociaux. Comme Elon Musk, qui souffle le chaud et le froid sur X ou Jeff Bezos, qui vient d’annoncer que les pages «opinions» du Washington post, qu’il détient, ne parleraient plus que de la défense des libertés personnelles et de l’économie des «marchés libres».
En revanche, Donald Trump goûte moins la liberté d’expression quand il s’agit de celle des journalistes. Il menace maintenant de poursuivre celles et ceux qui utiliseraient des sources anonymes dans leurs articles. Or, cette protection des sources est un principe vital qui permet aux citoyen·nes de s’exprimer et témoigner librement sans crainte de représailles.
«Femme», «LGBT», «minorité» : des mots interdits
L’administration Trump a interdit aux scientifiques d’utiliser plus de 120 mots dans leurs recherches, comme «femme», «LGBT», «équité», «polarisation», «oppression», «ségrégation», sous peine de perdre leurs financements publics. Une attaque absolument gravissime et sans précédent qui va faire disparaître des pans entiers de la recherche scientifique.
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Assiste-t-on à une transformation fasciste du langage ?
Pour Cécile Alduy, sémiologue et professeure de littérature et de civilisation française à l’université Stanford (États-Unis), il n’y a pas de doute : «C’est une composante essentielle du nazisme et du fascisme, que de transformer la langue».
Cette spécialiste de l’extrême droite et autrice de l’essai La langue de Zemmour (Seuil, 2022) explique : «Mussolini, lui aussi, avait cette volonté de contrôler les discours, de les réduire à un discours hégémonique. Il avait une phrase gravée ou imprimée sur beaucoup de supports différents, qui était “Le Duce [le surnom du leader fasciste, NDLR] a toujours raison”». Et peu importe la réalité des faits.
Pour Cécile Alduy, en supprimant les mots qui permettent de penser ce qui dysfonctionne dans la société américaine (racisme, changement climatique, LGBT, etc.), Donald Trump fait sienne une pratique nazie décrite dans le livre La langue du troisième Reich (1947), écrit par Victor Klemperer : «philologue juif et donc interdit d’être à l’université, il note dans ses carnets la manière dont le régime nazi déforme et progressivement détruit la langue allemande pour imposer une autre langue fondée sur les hyperboles […], sur l’exagération et la violence.»
«Cette simplification à l’extrême, cette réduction, poursuit la chercheuse, elle empêche de penser tout simplement. Parce que c’est avec le langage qu’on pense et plus le langage est pauvre, plus il est réduit à des simplismes, à des manichéismes, moins on peut réfléchir avec nuance, avec complexité».
Une destruction de la langue qui menace la démocratie américaine, mais pas seulement : «Trump n’est qu’un exemple exacerbé d’un processus qui se déroule aussi en France, où l’on trouve de nombreux exemples à l’extrême droite mais pas seulement. Il est très, très urgent aujourd’hui de s’interroger sur la destruction du langage.»
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