Enquête

«Il est allé de reniement en reniement» : François de Rugy, du ministère de l’écologie à la désinformation sur Youtube 

François ressurgit. En 2019, François de Rugy était ministre de la transition écologique, numéro deux du gouvernement d’Édouard Philippe – avant la fameuse «affaire des homards». En 2025, il fait des vidéos sur Youtube où il minimise la dangerosité des PFAS et de l’acétamipride, l’insecticide «tueur d’abeilles». Enquête sur ce revirement qui surprend jusqu’à ses anciens compagnons de route.
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François de Rugy est de retour devant les caméras. Du moins la sienne, pour l’instant. Depuis le 31 janvier, cette ancienne figure écologiste, ministre de la transition écologique entre 2018 et 2019, pilote une chaîne Youtube intitulée «Et si l’économie sauvait l’écologie ?», lancée avec le journaliste télé Laurent Lesage, un ancien de M6.

À ce jour, quatre émissions ont été publiées. La première vante les mérites de l’intelligence artificielle dans la transition écologique. Les deux suivantes – qui cumulent respectivement 88 000 et 163 000 vues – dénoncent la loi qui prévoit l’interdiction des PFAS, ces polluants éternels persistant dans le corps et l’environnement, votée en février. La quatrième défend l’utilisation de l’acétamipride, ce puissant pesticide en passe d’être réintroduit en France par la loi Duplomb.

François de Rugy sur sa chaîne «Et si l’économie sauvait l’écologie ?» © Capture d’écran Youtube

L’objectif annoncé de la chaîne : «Lutter contre la désinformation en matière d’écologie et promouvoir une approche non plus militante, mais scientifique», explique à Vert François de Rugy. C’est aussi comme ça que la journaliste Géraldine Woessner – connue pour ses positions productivistes et elle-même invitée régulière de la chaîne – la présente dans les colonnes du Point.

Dans les faits, ces émissions minimisent la dangerosité des PFAS ou de l’acétamipride. Exemple avec la dernière. L’ancien ministre de l’écologie en résumait le propos sur Facebook, le 17 mai : «L’acétamipride [est] autorisée dans toute l’Europe sauf en France, alors qu’il n’y a pas de danger, ni pour les abeilles, ni pour la santé humaine.» Soit l’opposé de ce que conclut la science sur le sujet.

Fausses informations

Vert, des dizaines d’études à l’appui, avait fait le point le mois dernier sur la puissance de cet insecticide – dont la dose létale est microscopique pour les abeilles – qui peut avoir des effets nocifs sur la santé des pollinisateurs (perte de mémoire, de la capacité à voler…), mais aussi sur le cerveau humain.

Plusieurs études récentes (ici ou ) ont trouvé des traces du principal métabolite de l’acétamipride «à la base même du fonctionnement du système nerveux, qui pilote tout le corps humain», expliquait à Vert Jean-Marc Bonmatin, chimiste-toxicologue au CNRS d’Orléans et spécialiste mondialement reconnu de ces substances, alors que le produit s’attaque précisément au système nerveux des insectes. L’Efsa (une agence officielle qui rend des avis sur les risques des pesticides dans l’Union européenne) a reconnu l’an dernier des «incertitudes majeures» concernant la nocivité du pesticide.

Même constat pour les PFAS, qualifiés de «polluants éternels», nocifs pour l’environnement et la santé (cancers du rein et des testicules, maladies thyroïdiennes…). Dans les deux vidéos sur le sujet, François de Rugy, Laurent Lesage et Géraldine Woessner répètent les arguments des industriels avant le vote de la loi anti-PFAS le 20 février dernier. À savoir que certains PFAS ne seraient pas dangereux, et donc, qu’il serait inutile de les interdire.

François de Rugy, Géraldine Woessner et Laurent Lesage au terme de leur deuxième émission «Et si l’économie sauvait l’écologie ?» © Capture d’écran Youtube

Plusieurs député·es, contacté·es par Vert au moment des débats parlementaires, relevaient un lobbying intense mené par des groupes de pression, dont l’industriel Seb et sa marque Tefal, qui utilise un PFAS, le PTFE, pour le revêtement antiadhésif de ses poêles. «Sur les PFAS, il y a un acharnement sur un symbole français qui est la poêle Tefal, en dehors de toute considération scientifique», s’enflamme François de Rugy. Pour Laurent Lesage, co-animateur de la chaîne, les pollutions aux PFAS à proximité d’usines industrielles ne sont pas toujours nocives, «car un certain nombre de molécules ne sont pas dangereuses» et «ce n’est pas forcément une pollution, d’ailleurs.»

Pourtant, des enquêtes menées par un consortium journalistique coordonné par Le Monde ont battu en brèche ce discours. «Il est matériellement impossible d’étudier la nocivité de chacun des 10 000 membres de la famille des PFAS. Et les effets délétères de tous ceux qui ont fait l’objet d’études sont établis», écrit le quotidien, qui renvoie vers des publications scientifiques.

«Il a franchi un cap»

Questionné par Vert sur ces éléments, François de Rugy a démenti toute désinformation – «Nos propos s’appuient sur les études scientifiques.» – et a chargé Géraldine Woessner de répondre dans le détail. La rédactrice en chef du pôle société du Point estime au sujet de l’acétamipride que, «dans des conditions environnementales réelles, une abeille n’atteindra jamais la dose létale». Elle n’a rien répondu à propos des «incertitudes majeures» sur les humains. Sur les PFAS, elle s’est contentée de renvoyer vers le site internet de l’EPA, l’agence de protection environnementale des États-Unis.

Auprès de Vert, d’ancien·es collaborateur·ices de François de Rugy – quand il était président de l’Assemblée nationale en 2017, puis ministre de la transition écologique dès septembre 2018 – le décrivent comme un fin connaisseur des dossiers et impliqué sur les sujets écologiques. Mais quand on répète ses positions sur l’acétamipride à l’une de ses ex-collaboratrices, celle-ci tombe de sa chaise à l’autre bout du téléphone. Même surprise lorsque nous lui apprenons qu’il invite Géraldine Woessner dans ses émissions.

Pour Dominique Voynet, députée écologiste qui a rencontré François de Rugy en 1995 lors de son adhésion à EELV : «Il a franchi un cap» avec ces vidéos. Il est devenu «l’écolo de service de la droite, avec l’espoir de devenir enfin quelqu’un en 2027», estime la double candidate à la présidence de la République en 1995 et 2007.

François de Rugy, son parcours en quelques dates

→ Il débute la politique en 1991 chez Génération écologie. Il rejoint EELV à la fin des années 1990, jusqu’en 2015.

En 2017, il concourt à la primaire du parti socialiste (3,88%) en vue de l’élection présidentielle et rejoint Emmanuel Macron. Il devient président de l’Assemblée nationale.

→ Il est nommé ministre de la transition écologique en septembre 2018 après la démission de Nicolas Hulot.

→ Il démissionne à l’été 2019 après les révélations de Mediapart sur ce qui deviendra «l’affaire des homards».

En 2022, il ne se représente pas aux élections législatives et dit arrêter la politique bien qu’il conserve son mandat de conseiller régional des Pays de la Loire dans le groupe macroniste.

En 2025, il se rallie à la majorité régionale de Christelle Morançais (ex-LR, désormais Horizons) et devient 10ème vice-président, en charge de l’Europe.

Il annonce, début mars 2025, son soutien à Édouard Philippe pour la présidentielle 2027.

Comme il le jurait sur Facebook en novembre 2023, François de Rugy se défend de «replonger» en politique. Derrière ses émissions, «il n’y a aucun but politique non plus», assure-t-il à Vert. «Les circonstances politiques ont fait que j’ai été élu le 20 mars dernier vice-président de la Région [Pays de la Loire] en charge de l’Europe, détaille-t-il. Comme je l’ai dit à ce moment-là, je reprends du service pour rendre service, mais cela ne marque aucunement la volonté de revenir à la politique à plein temps. Je maintiens mes activités professionnelles [banquier d’affaires, NDLR] et c’est ma priorité personnelle.»

Inimitiés et crustacés

Julie Laernoes, députée écologiste de Loire-Atlantique, ne cache pas le «peu de respect» qu’elle a pour «un arriviste sans conviction». Selon elle, ce sont des collègues de François de Rugy (qu’il s’est mis à dos) qui ont soufflé à la presse les informations sur l’affaire des homards. À l’été 2019, Mediapart a révélé le train de vie fastueux du couple de Rugy – dont les fameux dîners aux homards – payé avec l’argent du contribuable. Le ministre de la transition écologique a démissionné le 16 juillet de cette même année.

Franck Nicolon, élu d’opposition à la région Pays de la Loire (PDL), qui a milité chez les Verts avec François de Rugy à la fin des années 1990, a son «idée sur le fil rouge» qui a guidé l’ancien ministre de la transition écologique, avec qui il partageait «pas mal de luttes» et les idées «antinucléaire et anti OGM» : «François ne supporte pas d’être dans une minorité. Il faut qu’il soit dans une majorité pour gouverner et être au pouvoir.»

L’élu écologiste poursuit : «Mais, à un moment donné, il y a la question du sens et des valeurs qui se perdent. Il est allé de reniement en reniement pour garder ses responsabilités.» Depuis son passage au gouvernement, «FDR» est devenu pro-nucléaire et souhaite relancer le débat sur l’utilisation des organismes génétiquement modifiés (OGM).

«J’ai choisi l’écologie contre le gauchisme, se justifie François de Rugy. Les Verts ont de leur côté clairement choisi le gauchisme au détriment de l’écologie.» Éric Fallourd, fidèle parmi les fidèles et directeur de cabinet de François de Rugy pendant plus de dix ans, abonde : «François est un écologiste, c’est ce qui le définit le plus. […] Il y a une cohérence dans sa démarche, y compris dans le fait de changer de pied sur des solutions : c’est parce qu’il s’adapte à la réalité. Il n’a pas de vision dogmatique.»

Au ministère, une ancienne collaboratrice décrit quelqu’un qui «aimait bien prendre le contre-pied des extrêmes. C’est-à-dire, pour lui, les écologistes classiques qui ne sont pas ses copains.» «Peut-être que cela l’a conduit plus loin qu’avant», suggère-t-elle à propos de ses dernières vidéos.

Ami d’un lobbyiste

Éric Fallourd, son ancien bras droit, confesse ne pas avoir regardé sa chaîne Youtube, mais en avoir parlé avec lui : «Il a toujours été obsédé par l’idée qu’il fallait démontrer qu’écologie et économie devait aller de pair pour financer la transition écologique.» L’ancien ministre précise à Vert que ce qu’il appelle son «think tank media» s’est auto-produit et va «maintenant lancer un appel aux dons pour financer nos prochains reportages».

Depuis deux ans, François de Rugy est aussi conseiller dans le cabinet de lobbying de son ami Marc Teyssier d’Orfeuil, qu’il présente lui-même comme «un lobbyiste décomplexé». Ce dernier, sur lequel le média Les Jours avait enquêté, est connu pour mettre en relation industriels et politiques.

Quel rôle a François de Rugy dans la boîte de lobbying et comment articule-t-il ce poste avec ses nouvelles activités politiques et ses émissions ? Il déclare : «Nous tenons à préciser que les activités professionnelles que nous avons par ailleurs ne sont pas impliquées dans cette aventure.»