Elles et ils n’étaient que 51 à s’opposer à la proposition de loi «visant à protéger la population des risques liés aux substances per- et polyfluoroalkylées», les PFAS, votée jeudi 20 février à l’Assemblée. Parmi eux, cinquante député·es RN.
Adoptée avec 231 voix, la loi prévoit d’interdire dès 2026, la fabrication, l’importation et l’exportation de produits qui contiennent ces «polluants éternels» dans les textiles, les cosmétiques ou encore les farts de ski. Accompagné d’un député Les Républicains (LR), Philippe Juvin, les élu·es du Rassemblement national, seul groupe à s’être positionné contre le texte, ont tenté d’empêcher son adoption définitive. «Les représentants de l’extrême droite cèdent aux représentants des lobbys», s’est alors exclamé le socialiste Stéphane Delautrette dans l’hémicycle.
Jeudi dernier, à gauche de l’assemblée, les député·es ont fustigé une connivence entre les industriels et le parti de Marine Le Pen. «Les discours du RN sont ceux que j’entends de la bouche des industriels depuis trois ans», explique à Vert Nicolas Thierry, rapporteur de la proposition de loi. Il dénonce «une stratégie du doute qui consiste à dire que nous manquons de preuves, qu’il faudrait hiérarchiser les substances… La lecture des amendements ne laisse aucun doute sur le fait qu’ils sont le relais des industriels».
«Le degré zéro du lobbying»
La veille du vote, une vidéo publiée (ci-dessous) par l’activiste Camille Etienne sur Instagram avait nourri les suspicions. La militante a filmé le député Rassemblement national Frédéric-Pierre Vos en train de discuter avec deux représentant·es du groupe Seb, qui possède la marque Tefal – dont certaines poêles contiennent des PFAS. Interrogée par Vert, Camille Etienne estime que cette rencontre est la preuve d’une connivence entre les lobbyistes de Seb et les député·es les plus à droite : «Je n’étais pas surprise, mais faire cela au café Bourbon, [qui se situe juste en face de l’Assemblée nationale, NDLR], c’est le degré zéro du lobbying».
Auprès de Vert, le député RN assume totalement cette rencontre, qu’il a lui-même organisée, et s’interroge : «Donnez-moi l’article du Code pénal qui dit que nous n’avons pas le droit de discuter avec des gens qui sont les représentants d’une profession. Ou alors, nous n’avons pas le droit de discuter non plus avec les syndicats». Il explique ne pas être un expert des PFAS et avoir besoin de se renseigner : «Quand on me demande mon avis sur une question, j’essaye de comprendre, c’est la démarche la plus rationnelle.»
Contactés, l’industriel et sa marque Tefal n’ont pas commenté l’entrevue, mais ils indiquent «suivre avec attention les débats relatifs aux PFAS et travaillent, dans l’esprit du débat démocratique, avec les élus de tous bords». Un lobbying mené aussi par d’autres groupes de pression et que confirment les député·es contacté·es par Vert. «Nous avons tous reçu des e-mails ou des appels de fédérations professionnelles, nous invitant à voter contre ce texte, disant que ce serait destructeur pour l’économie française, que ça allait contribuer à délocaliser, à privilégier des produits concurrents à moindre prix», confie Stéphane Delautrette.
«On me dit qu’il y a des études scientifiques, je n’en ai vu aucune»
«Lorsque nous élaborons une proposition de loi, tout est basé sur un travail parlementaire en amont, avec des auditions dans lesquelles nous organisons des échanges avec toutes les opinions», précise le député socialiste Stéphane Delautrette, qui estime que les rencontres avec les lobbys doivent être encadrées. «Lorsque les industriels m’ont contacté pour me rencontrer, je l’ai fait dans le cadre de la loi, mais pas dans le but de recopier leurs arguments», ajoute Nicolas Thierry.

Frédéric-Pierre Vos insiste : «On me dit qu’il y a des études scientifiques [qui démontrent la dangerosité des PFAS, NDLR], mais je n’en ai vu aucune. Quand je regarde le dossier en commission du développement durable, il n’y a rien. Donc si je n’ai rien, il me faut une preuve», explique le député RN. «Ce n’est pas la faute du Rassemblement national si les services de l’Assemblée nationale font mal leur boulot», affirme l’élu, qui dit regretter de ne pas avoir reçu les enquêtes scientifiques. Un rapport préparé par le rapporteur de la loi, avec l’aide du personnel administratif du Parlement, a bien été remis aux député·es en commission. Plusieurs études sont mentionnées et sourcées dans ce document.
«Lobbys contre lobbys»
Pour le RN, il s’agirait d’un débat lobbys contre lobbys : «Vous aussi, vous discutez avec des lobbys, tout part d’une étude de Générations futures [une association qui lutte contre les pollutions aux pesticides ou aux PFAS, NDLR] qui est, lui aussi, un lobby écologiste», a asséné le député RN Pierre Meurin aux autres élu·es lors du débat parlementaire. «Oui, nous représentons des intérêts, mais des intérêts généraux, de santé publique, et non privés», répond à Vert le chargé de mission de l’ONG, Yoan Coulmont.
Une bataille sémantique désuète, selon Jordan Allouche, fondateur d’Ecolobby et auteur d’une étude sur les liens entre le Rassemblement national et les industriels. Lui-même se présente comme un lobbyiste écologiste : «Cela renvoie au même objectif, celui d’avoir un impact sur la décision politique. La différence, c’est la distorsion de concurrence immense. D’un côté du rapport de force, il y a des armées entières qui font du travail d’influence, de sape et de doute.»
Jordan Allouche estime que le véritable problème est que «le RN devient l’une des principales courroies de transmissions des lobbys dans les parlements [nationaux et européen, NDLR], parce que des forces économiques font le pari rationnel que ce parti va prochainement l’emporter dans les urnes et qu’ils ont besoin d’assurer leurs arrières. Des liens qui n’existaient pas il y a trois ans se nouent, et cela se voit dans les votes.»
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