Une heure et 26 minutes. C’est le temps de débat qui aura été accordé dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale à l’explosive proposition de loi (PPL) «visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur». Avant même l’ouverture des discussions ce lundi après-midi, la droite et le camp présidentiel ont déposé une motion de rejet préalable du texte.

Cette procédure permet le rejet du texte sans débat et son passage potentiel (si le gouvernement le souhaite) à l’étape suivante du parcours législatif. Elle a été adoptée quelques instants après le début de la séance, par 274 voix contre 121, avec le soutien du Rassemblement national. Méconnue du grand public, cette stratégie a été pensée pendant le week-end par les partisans de la PPL Duplomb – du nom de son co-rédacteur, le sénateur (Les Républicains) Laurent Duplomb – qui s’inquiétaient de l’obstruction de la gauche.
3 500 amendements avaient été déposés la semaine dernière, dont la moitié venant des écologistes et plus de 800 de La France insoumise (LFI). «Avec plusieurs milliers d’amendements, le texte ne pourra pas aboutir. Il faudra trouver les techniques qui permettent de “forcer” un débat parlementaire», avertissait Marc Fesneau, ancien ministre de l’agriculture et aujourd’hui président du groupe Les Démocrates (MoDem).
«Ce ne sont plus les députés qui légifèrent, c’est la FNSEA qui fait sa loi»
Une conférence exceptionnelle des président·es de groupe parlementaire a été organisée ce lundi à 15 heures pour trouver une solution, alors même que les syndicats agricoles majoritaires manifestaient depuis le matin devant les portes du Palais Bourbon.
Les écologistes ont proposé de retirer une partie de leurs amendements, en vain. Chef de file de la droite sur les questions agricoles et rapporteur du texte, Julien Dive a dénoncé «un sabotage organisé par LFI et les écologistes, qui refusent le débat dès lors qu’ils ne l’auraient pas acquis». Selon lui, de nombreux amendements visaient seulement à changer des dates ou des noms de départements. «Vous avez fait du droit d’amendement un droit d’enlisement», a renchéri la ministre de l’agriculture, Annie Genevard.
«Aucun de nos amendements ne sert à faire de l’obstruction, ce sont vraiment des amendements de fond, a contesté Benoît Biteau (Les Écologistes). On voulait saisir l’opportunité pour avoir un vrai débat sur l’avenir de l’agriculture et des agriculteurs.» «Vous êtes en train de créer un précédent extrêmement dangereux, a lancé dans un hémicycle chauffé à blanc Mathilde Panot, cheffe des député·es insoumis·es. Ce ne sont plus les députés qui légifèrent, c’est la FNSEA qui fait sa loi». Elle a annoncé le dépôt d’une motion de censure contre le gouvernement.
Seul⸱es cinq député⸱es du bloc central ont voté contre la motion de rejet préalable, et six autres se sont abstenu⸱es. À l’image de Sandrine Le Feur, présidente de la commission du développement durable, qui a dénoncé à la tribune un «cheval de Troie pour affaiblir nos exigences environnementales», sous les applaudissements nourris de la gauche.
Quatorze parlementaires auront le sort du texte entre leurs mains
Lundi après-midi, dans une lettre adressée à l’ensemble des député·es (sauf celles et ceux du RN), le Collectif Nourrir (qui rassemble 51 organisations écologistes et paysannes) alertait sur «un véritable passage en force et un contournement dangereux du débat démocratique». «Une majorité de député·es (de la droite au RN) vient de museler l’Assemblée nationale en refusant toute possibilité d’amendements de cette loi dangereuse, qui incarne une attaque frontale contre les valeurs de justice écologique, de réelle souveraineté alimentaire et contre une large partie du monde agricole», a quant à elle réagi Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace France.
Soutien farouche du texte, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) a quant à elle salué l’adoption de la motion de rejet préalable. «Les tracteurs rentrent à la ferme», a annoncé sur BFM-RMC son président, Arnaud Rousseau, pour annoncer la suspension de la mobilisation.
En résumé, les partisans de la proposition de loi Duplomb ont donc rejeté le texte… pour mieux le faire adopter. Le gouvernement va désormais le faire passer en commission mixte paritaire (CMP), un organe chargé de trouver un consensus entre député·es et sénateur·ices. La mouture finale sera ensuite soumise à un ultime vote des deux chambres. En rejetant ce dossier explosif sans le moindre débat à l’Assemblée nationale, la droite et le camp présidentiel jouent un jeu risqué : quatorze parlementaires (sept député·es et sept sénateur·ices) devront négocier sur la base de la version adoptée par le Sénat il y a quatre mois.
La chambre haute, dominée par la droite, pourra peser avec l’extrême droite pour proposer une loi plus dure, par exemple sur les conditions de réautorisation de néonicotinoïdes «tueurs d’abeilles» (dont l’acétamipride, notre article) ou encore sur l’affaiblissement de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses, chargée de l’autorisation ou non des pesticides en France).
«Il y a peu d’espoir que le texte qui en sortira nous convienne, a concédé le député paysan Benoît Biteau. Mais si la CMP va trop loin et remet en place le texte du Sénat, il ne passera pas à l’Assemblée [qui devra adopter ou non la version finale conçue par la CMP, NDLR]». Plusieurs membres du camp présidentiel ont déjà fait part de leur réticence à réautoriser sous conditions certains néonicotinoïdes.